Réalisé par Carlos Saura
Avec
Geraldine Chaplin, Ana Torrent et Conchita Pérez
Édité par Carlotta Films
Dans une grande maison madrilène vivent trois fillettes, entourées de leur père, de leur grand-mère paralytique, leur bonne et leur tante, qui essaie de combler le vide laissé par la mort de leur mère. L’une des soeurs, Ana, dix ans à peine, échappe à l’atmosphère étouffante en se réfugiant dans un monde de rêves. Un jour, le père meurt dans les bras de sa maîtresse. Ana est persuadée que c’est la conséquence de son pouvoir magique. Refusant le monde des adultes, elle continue de s’enfermer dans son imaginaire, en faisant revivre le souvenir de sa mère.
Hoy en mi ventana brilla el sol
Y el corazón
Se pone triste contemplando la ciudad
Porque te vas…
Grand Prix Spécial du Jury au Festival de Cannes en 1976, Cría Cuervos reste à juste titre le film le plus emblématique de la carrière de Carlos Saura. D’une part parce qu’il dénonce une période noire de l’histoire espagnole, la dictature franquiste, représentée dans le film par le père de la petite Ana (Ana Torrent et son regard inoubliable), d’autre part car la mise en scène de Saura restitue avec une infinie délicatesse et poésie l’esprit tourmenté d’une fillette confrontée très tôt à la mort de ses parents. Durant un été interminable, dans la grande, ancienne et étouffante maison familiale madrilène, seule, ou avec ses deux soeurs, elle parvient à se réfugier dans son imaginaire pour échapper à cette triste réalité et à la douleur, en écoutant à tue-tête la chanson Porque te vas de Jeanette.
Le miroir de la mère (Geraldine Chaplin) protectrice et adorée, porteuse de l’amour qu’elle n’a désormais plus, lui apparaît régulièrement, comme si le temps avait figé ces moments où Ana se faisait coiffer par sa maman et lui embrassait le cou. Les rêves et fantasmes d’Ana se chevauchent constamment avec la réalité et le présent (dont les bruits de rue nous parviennent par la fenêtre) et à travers les yeux de cette petite fille de neuf ans, quasi-mutique, ce sont les thèmes de la mort, du souvenir et de la mémoire qu’aborde de front le réalisateur.
Cría Cuervos est une oeuvre profonde, politique, limpide, dense et mélancolique, qui bouleverse toujours autant le spectateur malgré les années qui passent. Un véritable chef d’oeuvre intemporel qui n’a eu de cesse de faire des émules, dont le somptueux Labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro.
Le test a été réalisé sur un check-disc. Le menu principal est sobre mais beau, fixe et musical.
Pour cette sortie de Cría Cuervos en Blu-ray, l’éditeur reprend l’entièreté de l’édition DVD sortie en 2007 :
L’album d’Ana, une mémoire de l’Espagne (27’) :
La parole est donnée à Claude Murcia, professeur d’études
cinématographiques et de littérature comparée. D’origine
espagnole, l’intervenante analyse en profondeur les différents
thèmes abordés par Carlos Saura dans son film. Cría Cuervos
atteint une dimension politique et historique dans le sens où
le réalisateur a souhaité aborder les thèmes du franquisme et
de la dictature espagnole. Son film, réalisé au milieu des
années 1970, use de la métaphore et des symboles pour évoquer
ces thèmes qui étaient toujours susceptibles d’être censurés,
malgré la mort de Franco en 1975. Sont ensuite évoqués les
différents personnages du film, centrés autour d’Ana, la
petite fille (jouée par Ana Torrent) qui a perdu ses parents
et qui voit la mort rôder partout autour d’elle. Chaque
personnage, explique Claude Murcia, renvoie à un thème
particulier. C’est le cas du père, ancien militaire de
carrière, décédé, qui renvoie directement aux sombres
événements qui ont secoué l’Espagne.
Chez Carlos Saura (42’) :
Filmé en août 2007, Carlos Saura ouvre les portes de sa
demeure madrilène pour un long entretien sur sa perception du
cinéma. Il revient évidemment longuement sur Cría
Cuervos, l’idée de départ (explorer la relation des
enfants avec les adultes) et les thèmes de la mort, de la
mémoire, du souvenir qui planent sur le film. L’entretien
rapporte des anecdotes en tous genres, des photos prises par
Saura lui-même qui sont dans le film en passant par le lieu de
tournage (la maison familiale du film se situait à l’époque en
face de celle de Carlos Saura), et le choix de la chanson
Porque te vas. Le cinéaste parle ensuite de ses
inspirations, de sa rencontre avec le producteur Elías
Querejeta, du succès du film en France et dans le monde. Ce
n’est qu’à la toute fin de l’interview qu’il évoque la période
noire du franquisme, mais le réalisateur préfère ne pas
s’attarder là-dessus. L’interview demeure passionnante et
permet de se faire une idée plus précise du cinéaste toujours
en activité et considéré comme l’un des plus grands metteurs
en scène avant-gardistes de son époque.
Entretien avec Elías Querejeta (18’) :
Beaucoup de questions posées à Carlos Saura dans le segment
précédent reviennent dans cet entretien, c’est donc pourquoi
les propos de notre interlocuteur peuvent paraître redondants
avec ce qui a été entendu précédemment. Egalement filmé en
août 2007, cette figure mythique du cinéma espagnol
indépendant revient sur son expérience de producteur sur
Cría Cuervos, ainsi que sur les difficultés de produire
ce film à une époque où sévissait encore la dictature. Parmi
ses grandes influences cinématographiques, il cite volontiers
Le Voleur de bicyclette de Vittorio de Sica, une oeuvre
ayant bouleversé la vie de nombreux cinéastes.
Pour compléter cette série d’entretiens, il aurait été intéressant d’avoir l’avis d’Ana Torrent…
L’interactivité se clôt sur les credits, la bande-annonce d’époque, un teaser réalisé en 2007 et la bande-annonce 2007 du film. Vous retrouvez également une partie Blu-ray-ROM, comprenant un dossier pédagogique d’une quarantaine de pages sur Cría Cuervos.
En 2007, Carlotta nous avait proposé une édition DVD extrêmement soignée de Cría Cuervos. Ce master Haute définition 1080/24p (AVC) contient encore quelques points, griffures, poussières, surtout durant la première partie du film, mais ces défauts tendent à s’amenuiser au fil du visionnage. La copie proposée dans son format 1.66 respecté retrouve une certaine fermeté, surtout dans ses contrastes, une clarté plaisante et une densité indéniable, le piqué et la gestion du grain particulier original restent aléatoires. Un très léger bruit vidéo demeure notable (sur les visages surtout), un effet de clignotement peut agacer, tandis que diverses séquences sortent du lot et se révèlent particulièrement belles. La superbe photo signée Teo Escamilla, constituée de clairs-obscurs et d’ambiances monochromes, qui met en avant les teintes froides et ternes du décor principal, retrouve une nouvelle jeunesse.
Deux pistes sonores d’époques restaurées et proposées en DTS-HD Master Audio 1.0. La piste espagnole est fort heureusement la plus réussie ne serait-ce qu’au niveau de la délivrance des dialogues, plus clairs et moins étouffés qu’en français. Les bruits environnants comme les sons provenant de l’extérieur de la maison (la rue, les voitures), sont soigneusement restitués sur les deux pistes. L’incontournable chanson Porque te vas qui revient comme un leitmotiv durant tout le film est quant à elle parfaitement restituée et vivante sur le mixage original et légèrement plus sourde en français. Dans les deux cas, n’hésitez pas à monter le volume, même si un souffle persiste, afin de bénéficier au mieux des échanges entre les personnages.
Crédits images : © Carlotta Films