Les Contes de la lune vague après la pluie (1953) : le test complet du DVD

Ugetsu monogatari

Réalisé par Kenji Mizoguchi
Avec Masayuki Mori, Machiko Kyô et Kinuyo Tanaka

Édité par Films sans Frontières

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Le 12/06/2017
Critique

Les Contes de la lune vague après la pluie

Japon, région du lac Biwa, au seizième siècle, à la fin de l’ère Muromachi. Constatant que la guerre civile est propice à leurs affaires, deux potiers décident de monter en ville vendre leur production, au prix de la traversée périlleuse d’un lac fréquenté par des pirates. Genjiro rêve de devenir un artisan reconnu, riche et respecté, capable d’offrir à son épouse de beaux kimonos. Tobei rêve de devenir un soldat renommé en achetant armure, lance et casque avec l’argent des poteries. Le destin va cruellement punir ces deux orgueilleux avant de ramener finalement la paix dans leurs âmes.

Les Contes de la lune vague après la pluie (Ugetsu monogatari) (Jap. 1953) de Kenji Mizoguchi fut tourné pour la Daiei après La Vie d’O’Haru, femme galante (Saikaku ichida onna) (Jap. 1952) qui lui avait rapporté l’année précédente un Lion d”argent du Festival de Venise, avant Les Musiciens de Gion (Gion Bayashi) (Jap. 1953). Les Contes de la lune vague après la pluie obtint à nouveau un Lion d’argent. Raison pour laquelle ce titre de 1952 et ce premier titre de 1953 sont sans doute, encore aujourd’hui, les deux plus connus chez nous de la filmographie de Mizoguchi.

Chef-d’oeuvre classique, Les Contes de la lune vague après la pluie est un « jidai-geki » (film historique) librement adapté de deux nouvelles d’Akinari Ueda (1734-1809) (*) et d’une nouvelle de Guy de Maupassant, toutes trois remaniées et assez considérablement modifiées par le scénariste Yoda qui les rassembla en une intrigue historique ample, sur fond de guerre civile et d’aventures picaresques aboutissant à une peinture poétique de la condition fragile de l’homme. Il ajoute aux qualités structurelles habituelles du cinéma de Mizoguchi un ingrédient dont nous sommes friands : le fantastique. On ne peut certes pas écrire, comme le font imprudemment certains auteurs anglais et américains, que Les Contes de la lune vague après la pluie est un film fantastique : c’est aussi un comédie dramatique et un conte moral peint d’une manière soigneusement réaliste, doté d’un volet fantastique qui n’en est pas le coeur mais seulement un des aspects. Ce titre relève donc de plusieurs genres à la fois. Mizoguchi méprisait injustement le cinéma fantastique d’exploitation de son pays et il se moquera cruellement en 1955 de l’une de ses meilleures actrices de L’Impératrice Yang Kwei Fei (Yokihi) (Jap. 1955) parce qu’elle avait interprété « Kuroneko », le chat noir classique des « Kwaidan eiga » ou « Kaidan eiga » (films de fantômes). Ce mépris ne l’empêche pourtant pas de servir ici le genre avec une retenue et une finesse, une poésie et un sens de l’inquiétante étrangeté dans l’épisode célèbre de l’invitation du marchand d’étoffe chez les femmes fantômes. Vertu anonyme de la tradition ou génie inspiré ? Il est difficile à l’historien occidental de trancher, dans la mesure où certains éléments se retrouvent tels quels dans d’autres classiques du genre. Ainsi, l’idée de la femme abandonnée, une fois morte, devenant fantôme. Ainsi encore l’idée des tatouages de paroles de Bouddha sur la peau, destinés à protéger un être humain des fantômes. Ces deux éléments, sans parler de la beauté des « renardes » fantômes de la littérature fantastique japonaise et chinoise, se retrouvent dans Kwaidan (Histoires fantastiques) (Jap. 1964) de Masaki Kobayashi et dans bien d’autres films classiques du cinéma fantastique japonais.

Les Contes de la lune vague après la pluie

Les Contes de la lune vague après la pluie constitue en outre, d’un point de vue historique et esthétique, la meilleure introduction à la dernière période classique (1950-1956) de Mizoguchi dans la mesure où les techniciens prestigieux de son âge d’or de la Daiei y sont tous rassemblés : son directeur de la photographie Kazuo Miyagawa, son compositeur Fumio Hayasaka, son scénariste Yoshikata Yoda), sans parler des actrices (notamment Machiko Kyo et Kinuyo Tanaka) et des acteurs (Masayuki Mori). Seul le décorateur n’est pas Hiroshi Mizutani mais Kisaku Itoh qui a su disposer les éléments matériels, épurés et réalistes à la fois, d’un inquiétant manoir fantôme. La séquence du lac, justement célèbre, fut tournée en extérieurs naturels dans des conditions éprouvantes pour les techniciens qui avaient de l’eau jusqu’au cou. On peut consulter, à son sujet, le remarquable documentaire de Kaneto Shindo sur son maître Mizoguchi. Ironie du sort : Kaneto Shindo, en dépit de son attachement mizoguchien au réalisme, réalisera en 1964 Onibaba puis en 1968 Le Chat noir (Kuroneko) devenus tous deux des classiques du cinéma fantastique, ce genre que méprisait son maître.

En quoi le style de Les Contes de la lune vague après la pluie est « nouveau », comme indiqué par le petit texte liminaire de son générique d’ouverture, on peut aisément le mesurer. Mizoguchi, privilégiant les longs plans-séquences, privilégiant aussi les plans d’ensemble ou de demi-ensemble, se passe pratiquement du gros plan durant toute la continuité. Le plan le plus serré est le plan demi-rapproché ou rapproché. La caméra est, en outre, d’une mobilité surprenante. Et puis, comme souvent chez Mizoguchi, les rôles féminins sont aussi importants que les rôles masculins, traités à égalité. Cinéma féministe, sans doute, mais ce féminisme n’est pas le féminisme européen formaliste des deux derniers siècles : il s’agit d’un féminisme originel presque matriarcal. C’est d’ailleurs un fantôme féminin qui a le dernier mot, se réjouissant d’avoir façonné, selon l’idéal qu’elle en avait, son époux encore vivant. Fantôme féminin à la fois mère-soeur-épouse spirituelle veillant désormais sur lui et leur enfant. Cette fin poétique et fantastique annonce, d’une certaine manière, celle de L’Impératrice Yang Kwei Fei, qui confirmera le romantique amour d’outre-tombe d’une morte pour un vivant.

(*) NB : une nouvelle fantastique classique de l’écrivain Akinari Ueda, Le Chaudron de Kibitsu, fut traduite en français et intégrée au Domaine japonais de l’admirable Anthologie du fantastique - 60 récits de terreur établie par Roger Caillois, éditions Club français du livre, Paris 1958 puis éditions revue chez Gallimard-NRF en deux volumes, Paris 1965.

Les Contes de la lune vague après la pluie

Présentation - 4,0 / 5

Un DVD Pal zone 2, édité par Film Sans Frontières, collection « Auteurs », section « Mizoguchi ». Durée vidéo PAL du film : 93 minutes environ. Image au format respecté 1.37 en N&B, compatible 4/3. Son mono japonais en VO ou VOSTF ou VOSTA, au choix. Un fragment d’une affiche japonaise au recto, deux extraits de critiques françaises et une fiche technique, ainsi qu’un résumé de scénario, au verso de la jaquette, par-dessus un boîtier Amaray standard. Les DVD des films de Mizoguchi édités par Films sans Frontières bénéficient de copies chimiques mieux nettoyées et de masters vidéo d’une qualité supérieure à celle des anciennes éditions DVD sorties en 2004 par Opening puis en 2006 par Aventi.

Bonus - 3,0 / 5

Au verso de la jaquette, deux extraits d’une critique d’Eric Rohmer parue dans les Cahiers du cinéma et d’une critique anonyme parue dans Le Nouvel Observateur. Dans la section bonus, sont proposés de riches informations : contexte historique soigneusement décrit sur une dizaine de pages-écrans, témoignage du scénariste Yoda d’une dizaine de pages aussi, prélevé dans ses Souvenirs de Mizoguchi édités par les Cahiers du cinéma, apparat critique, biographie succincte de Mizoguchi, sa filmographie. L’apparat critique est intéressant si on le replace dans une perspective d’histoire de la critique française : on lit à la suite des extraits de André Bazin, Cinéma 53 à travers le monde (éditions du Cerf), de Henri Agel, Les Grands cinéastes que je propose (éditions du Cerf), de René Gilson, Cinéma 59 (mai 1959), de Luc Moullet, Cahiers du cinéma (mai 1959 aussi). Le seul capable d’apporter une information historique précise est Luc Moullet qui sait que c’est Masaichi Nagata qui poussa Mizoguchi à la concision dynamique qui caractérise Les Contes de la lune vague après la pluie, afin que ce titre puisse obtenir non plus seulement un Lion d’argent mais un Lion d’or chez les Occidentaux du Festival de Venise. Mais l’ironie du sort est que Moullet en tire un jugement esthétique qui me semble erroné : la concision en question caractérise les autres films de Mizoguchi à l’identique, y compris La Vie d’O’Haru, femme galante. En somme, la demande de Nagata est un fait historique dont on peut tenir compte, qu’il est intéressant de connaître mais qui n’a fondamentalement rien changé au style de Mizoguchi. On peut juste regretter l’absence du jeu de photos d’exploitation japonaise d’origine et l’absence de témoignages vidéo de première main mais on trouvera ces derniers à profusion dans l’ample documentaire de Shindo sur son maître Mizoguchi, édité en bonus dans l’édition collector Films sans frontières de Le Héros sacrilège.

Image - 4,0 / 5

Format 1.37 N&B compatible 4/3. Copie chimique (plus aucune griffure ni rayure, plus aucune poussière négative ni positive sauf sur les premiers plans de la première bobine dont le début est souvent plus endommagé que le reste d’une copie) dans un état supérieur de restauration, master vidéo (compression, encodage, définition, contrastes) dans un état supérieur aussi, à ceux des anciennes éditions Opening et Aventi sur DVD Pal zone 2 sorties en 2004 puis 2006. Qu’on n’attende pas, cela dit, la qualité d’un bluray mais on dispose, avec cette édition, de la meilleure image actuellement disponible chez nous, de ce grand classique.

Son - 4,0 / 5

Son mono japonais d’origine en VO ou VOSTF ou VOSTA, au choix. Le souffle a été convenablement réduit sans altérer la sonorité originale des voix de la piste mono d’origine. Là aussi, progrès évident par rapport aux pistes sonores de l’ancienne édition Opening. Effets sonores et musique bien restitués. Inutile de regretter une VF d’époque qui n’a jamais existé : le film fut exploité dans le circuit Art et Essais en France, qui exigeait la VOSTF mais ne nécessitait pas la VF, afin de permettre aux distributeurs français de diminuer les frais de sortie.

Les Contes de la lune vague après la pluie

Crédits images : © Films Sans Frontières

Configuration de test
  • Téléviseur 16/9 Panasonic FullHD
  • Sony BDP-5350
  • Ampli Sony
  • TEST EN RÉSOLUTION 1080p