La Rue de la honte (1956) : le test complet du DVD

Akasen chitai

Réalisé par Kenji Mizoguchi
Avec Machiko Kyô, Aiko Mimasu et Ayako Wakao

Édité par Films sans Frontières

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Le 25/10/2016
Critique

La rue de la honte

Japon, Tokyo 1956 : le destin des prostituées du bordel « Le Rêve », situé dans le quartier Yoshiwara, va basculer à la faveur de la réforme abolitionniste de la loi régissant leur activité.

Ultime film du maître, mort d’une leucémie quelques mois après son tournage, et son testament spirituel comme esthétique, annonciateur des films possibles qu’il aurait pu nous donner.

Dès son panoramique sur Tokyo accompagné par la musique de Toshiro Mayuzumi, étrange et inquiétante, mélancolique, un peu dodécaphonique, on sait qu’on a affaire au chef-d’oeuvre absolu. Testament qui doit être vu aussi comme un instantané d’une évolution : sous nos yeux un nouveau Mizoguchi naissait qui accomplissait à la perfection son passé esthétique et dramatique tout en comprenant l’avenir du cinéma.

Peinture déchirante, désespérée, brûlante, au néo-réalisme hallucinant, du quartier rouge Yoshiwara de Tokyo à travers le destin de quelques prostituées d’un bordel très ironiquement nommé « Le Rêve ». Tourné alors que la réforme de la loi sur la prostitution était en discussion au Japon, qui se situait alors dans le camps des pays « réglementaristes », le film est d’une telle cruauté, l’émotion y est portée parfois à un degré si insoutenable que, encore en 1967, plus de dix ans après sa réalisation, il était cité en exemple pour sa rigueur documentaire par les avocats et policiers spécialistes français du proxénétisme et de la prostitution, dans le petit volume de la collection « Que sais-je ? » des Presses Universitaires de France, consacré à ce sujet. Admirable interprétation du moindre rôle : Machiko Kyo qui avait été L’Impératrice Yang Kwei Fei l’année précédente est, ici, méconnaissable et très très étonnante. Ayako Wakao est remarquable bien qu’on apprenne dans le passionnant documentaire de Kaneto Shindo que Mizoguchi n’était pas satisfait, selon elle, de sa prestation. Et les autres actrices sont non moins surprenantes : Aiko Mimasu, Yasuko Kawakami, Hiroko Machida, etc. Vision certes néo-réaliste mais aussi psychanalytique, voire parfois clinique de cas psychopathologiques, vision fataliste et révoltée de l’abandon de la femme à la pauvreté et au vice dans le Japon d’après-guerre, débouchant sur la mort et la folie, et sur un désespoir quasi-fantastique et surréaliste. Mizoguchi retrouve la virulence qu’il avait déjà manifesté, à ce sujet, dans Les Femmes de la nuit (1948).

Mizoguchi amorce ici, du point de vue stylistique, le début d’un nouveau style plus nerveux et agressif de mise en scène, doté de la même pureté symbolique, de la même poésie noire et qui n’est pas seulement l’accomplissement - par force majeure - de l’oeuvre entière du cinéaste. Il faut visionner La Rue de la honte en dernier, après tous les autres signés par le même cinéaste, pour mesurer la puissance absolue, novatrice qu’il y manifeste, la maîtrise et la profondeur à laquelle il était parvenu. Mizoguchi savait d’ailleurs que ce film marquait le début d’une ère nouvelle pour lui. À noter que la « nouvelle vague érotique » donnera de Akasen chitai une variation intéressante mais inférieure : Rue de la joie (Akasen tamanoi nukerarematsu) (Jap. 1974) de Tatsumi Kumashiro.

La rue de la honte

Présentation - 3,0 / 5

Un DVD Pal zone 2, édité par Film Sans Frontières, collection « Auteurs », section « Mizoguchi ». Durée vidéo PAL du film : 82 minutes environ. Image au format respecté 1.37 en N&B, compatible 4/3. Son mono japonais en VO ou VOSTF ou VOSTA, au choix. Boîtier Amaray standard, au verso, outre de petites photos de plateau N&B, le résumé du scénario et les spécifications techniques usuelles, on trouve un extrait d’une critique des Cahiers du cinéma. Les DVD des films de Mizoguchi édités par FsF bénéficient de copies chimiques mieux nettoyées et de masters vidéo d’une qualité supérieure à celle des anciennes éditions DVD sorties en 2004 par Opening puis en 2006 par Aventi. Suppléments : contexte historique, témoignage du scénariste.

Bonus - 2,0 / 5

D’abord des extraits historiquement intéressants de la monographie de Daniel Serceau (citant notamment l’historien du cinéma japonais Tadao Sato) sur Mizoguchi (éditions du Cerf, collection 7ème art) à propos de l’origine du scénario, refusé par Yoda (qui considérait qu’il avait épuisé le sujet, ayant déjà écrit pour Mizoguchi Les Femmes de la nuit en 1948), finalement écrit par Mashahige Narusawa, inspiré par le roman de Yoshiko Subaki, La Femme de Suzaki, Serceau applique l’usage japonais lorsqu’il cite les noms japonais : il cite systématiquement le nom de famille avant le prénom, ce qui, pour un lecteur français ignorant l’histoire du cinéma japonais, peut être une source perpétuelle d’erreur et de confusion dans la mesure où plusieurs générations de critiques et d’historiens français du cinéma japonais ont adopté - comme c’est naturel - l’usage national du prénom suivi du nom. J’ai autrefois suffisamment expliqué pourquoi il fallait au contraire se tenir à l’usage français adopté d’ailleurs aussi par les meilleurs historiens japonais francophones tels que madame Hiroko Govaers. Puis suivent des extraits critiques des monographies sur Mizoguchi, celles de Vê-Hô (éditions universitaires, collection Classiques du cinéma n°14, dirigée par Jean Mitry, Paris 1963) et de Michel Mesnil (éditions Seghers, collection Cinéastes d’aujourd’hui) consacrés à La Rue de la honte. L’ensemble est un peu léger mais ce n’est pas une édition collector ni même une édition spéciale mais simplement une bonne édition standard, ce qui constitue déjà un progrès par rapport aux éditions antérieures DVD.

Image - 4,0 / 5

Format 1.37 N&B compatible 4/3. Copie chimique (pratiquement plus aucune griffure ni rayure, plus aucune poussière négative ni positive) dans un état supérieur de restauration, master vidéo (compression, encodage, définition, contrastes) dans un état supérieur aussi, à ceux des anciennes éditions Opening et Aventi sur DVD Pal zone 2 sorties en 2004 puis 2006. Qu’on n’attende pas, cela dit, la qualité d’un bluray mais on dispose, avec cette édition, de la meilleure image actuellement disponible chez nous en DVD, de ce grand classique.

Son - 4,0 / 5

Son mono japonais d’origine en VO ou VOSTF ou VOSTA, au choix. Le souffle a été convenablement réduit sans altérer la sonorité originale des voix de la piste mono d’origine. Là aussi, progrès évident par rapport aux pistes sonores de l’ancienne édition Opening. Effets sonores et musique bien restitués. Inutile de regretter une VF d’époque qui n’a jamais existé : le film fut exploité dans le circuit Art et Essais en France, qui exigeait la VOSTF mais ne nécessitait pas la VF, afin de permettre aux distributeurs français de diminuer les frais de sortie.

La rue de la honte

Crédits images : © Films Sans Frontière

Configuration de test
  • Téléviseur 16/9 Panasonic FullHD
  • Sony BDP-5350
  • Ampli Sony
  • TEST EN RÉSOLUTION 1080p