Réalisé par Alexander Payne
Avec
Jack Nicholson, Hope Davis et Dermot Mulroney
Édité par Metropolitan Film & Video
« Monsieur Schmidt » ne ressemble à aucun autre film. Voilà
comment résumer en une phrase l’impression que vous laisse
cette rencontre (du 3ème type ?). Inutile de chercher de
fumeuses comparaisons, le propos, la réalisation,
l’interprétation, tout concourt à ce que « Monsieur Schmidt »
entre au panthéon des oeuvres originales. Et ça commence dès
l’introduction dans laquelle Payne (réalisateur jusqu’ici
méconnu du grand public), sans perdre une minute, filme un
Schmidt le nez rivé à son horloge, attendant la dernière
seconde pour partir en retraite. Ensuite, tout s’enchaîne à
la manière de ces bandes dessinées underground.
Schmidt au dîner de départ en retraite, Schmidt à la maison,
Schmidt sur la route, Schmidt et sa future
belle-famille… enfin bref du Schmidt en veux tu en
voilà ! Autour de lui, une galerie de personnages
extravagants, proches de la caricature utilisée pour forcer
le trait d’existences absurdes, vides, engluées dans un
misérable quotidien, incapables de la moindre sollicitude.
Porté par un scénario extensible qui associe émotion, gags et
action, « Monsieur Schmidt » vacille entre fable humaniste et
road movie. Chemin faisant, il en profite pour ménager de
courtes plages réservées à la comédie et s’attaque de plus
bel au sujet qui l’obsède ; la crise du sexagénaire à la
retraite. Humaniste oui, optimiste non ! Autant le dire
tout de suite, « Monsieur Schmidt » n’a rien de l’oeuvre
légère et enlevée. Habité par un héros (?) fataliste, le film
profondément introspectif s’obstine à traiter des rapports
qu’entretiennent l’homme et ses congénères face à la
vieillesse, la solitude et la mort. Et si le sujet ne vous a
pas plombé le moral, l’interprétation se charge de le faire.
Du coup, ce qui devait n’être qu’une comédie sur la crise du
sexagénaire retraité vire rapidement au drame satyrique
maladivement cynique. Schmidt seul, trop seul, si seul,
déprimerait un régiment entier de comiques troupiers.
D’autant, qu’à peine mis au rancard à travers cette retraite
forcée, sa situation ne fait qu’empirer sans qu’il ne puisse
jamais y remédier. Ni paix intérieure, ni bonheur, ni joie,
Schmidt est condamné à la solitude, à la dépression et au
malheur.
Le couple Payne / Nicholson déploie toute son énergie à
noircir le tableau. Vexations, obstacles, incompréhension,
trahison et brimade, Schmidt est loin des héros
hollywoodiens. Ici, on s’attache à la vraie vie de vrais gens
avec de vraies réactions face à de vrais problèmes. Façon
Camus tendance Zola, Payne oscille entre une écriture
sociale-réaliste et psychanalytique. Le Monde vu par Monsieur
Schmidt. Tel est l’objet de lettres faussement naïves
rédigées par l’intéressé. On pense immédiatement ici à
Montesquieu. Ces Lettres (persanes) en forme de pamphlets
ajoutent à la satyre sociale d’un pays, celle d’un monde
occidental tourné vers son ego et qui a le culot de se poser
en modèle. Le contenu en atteste ! Schmidt s’épanche
sans aucune retenue ni pudeur sur les aléas de son existence
sans se préoccuper de celle de cet enfant du Tiers-Monde
qu’il s’est proposé de parrainer. En envoyant de l’argent, il
n’est ni question d’aider, ni de comprendre ce que son
filleul endure ou a enduré mais bien d’épargner de coûteuses
séances de psy en abreuvant un inconnu d’images sibyllines
sur la vie, le monde et son petit univers.
« Monsieur Schmidt » est un égoïste. Il l’a toujours été. Sa
femme, sa fille, ses amis le lui reprochent assez. Mais au
crépuscule de sa vie, il sent le besoin d’être entouré, aimé,
reconnu pour ce qu’il est ou voudrait être. Trop tard, cette
société qu’il a contribué à fabriquer lui renvoie la monnaie
de sa pièce et le confine à une solitude plus cruelle et plus
larvée que ce qu’il n’aurait jamais imaginé. « On se voit
bientôt ». « Si tu as besoin de quelque chose, n’hésite pas à
m’appeler ». « Si tu passes dans le coin, viens nous saluer ».
Des formules de politesses qui, une fois mises à
exécution, embarrassent ceux qui les ont formulées. Que
faire d’un homme triste, vieux, sur qui le malheur s’abat et
qui s’accroche à la compagnie des gens ? Rien, c’est la
misérable réponse apportée par nos sociétés « civilisées ».
Que voulez-vous en faire ? Il a servi, il doit
comprendre qu’il n’est plus d’une très grande utilité.
D’ailleurs, en son temps, il l’a bien fait comprendre à ses
proches qui réclamaient un peu de son temps et de sa
compagnie. « Monsieur Schmidt », c’est le Japon qui alloue un
programme spécial pour expatrier ses retraités. Ce sont les
Etats-Unis qui parquent les personnes âgées sur des îles ou
dans des bâtisses isolées. C’est la France qui, un été de
trop, a oublié le sens du mot solidarité, et révèle au monde
avec quelle indignité elle traite sa mémoire, son Histoire,
son passé.
Le film pointe lourdement cet abandon des anciens, arguant
qu’il est le fruit de l’individualisme, du matérialisme et
sonne la déliquescence du tissu familiale. (cf. le dîner avec
la belle-famille). Pas un instant, Payne ne cesse de
stigmatiser la dénaturation des rapports humains qui conduit
les Etats-Unis (comme d’autres pays) à envisager l’individu
comme un bine de consommation, une marchandise. Dis-moi
combien tu gagnes, je te dirais qui tu es ! Jeter les
hommes comme on se débarrasse de simples objets (cf. la scène
des archives). En ce sens, « Monsieur Schmidt » est un film
utile qui camoufle son « coup de gueule » derrière
l’interprétation lunaire d’un Nicholson au sommet. Toutefois,
le propos aurait gagné à n’être pas autant dilué par une
réalisation un poil trop contemplative. Les plans
s’éternisent, le cut se fait attendre et ce rythme
(reproduction répétitive de la lancinante existence du héros)
peine à véritablement captiver. Quant à la caricature
présente dans le film, elle confine à une marginalité pesante
et condamne les personnages (pourtant bien développés) à ne
jamais évoluer. Du début à la fin, Schmidt est un clown
blanc, héros triste par excellence, ennemi du mieux qu’il
pourrait trouver.
Mais après tout, pourquoi pas ? Payne a le mérite de
ficeler un film engagé, original qui n’a d’autre écho que
l’implacable réalité que décrit son propos. Un film vrai,
attachant et terrible comme l’est souvent la vie. A
découvrir !
L’éditeur a tenu à ce que l’édition DVD fût à l’image du film.
Sans doute dérouté par l’étrange originalité de l’oeuvre,
Seven 7 a préféré se tourner vers le réalisateur. Les menus
animés, le contenu et même la définition des suppléments
portent sa marque si singulière. Première réalisation à
succès, Payne tente de nous révéler les contours de ce film
qu’il porte en lui depuis une bonne dizaine d’années et nous
entraîne avec beaucoup d’humilité dans son voire ses
univers.
Jack Nicholson, abonné absent des éditions DVD, dessert par
son silence une oeuvre qui aurait eu bien besoin de son
expérience et de son talent. Nul doute que l’éditeur ait tout
fait pour bénéficier de sa présence, mais à compter ses
apparitions, big Jack pourrait bien finir par lasser.
Rappelons pour la énième fois que les bonus incitent à la
vente des DVD et que, plus qu’un simple bonus, ils servent
aux cinéphiles, que sont les acheteurs de DVD, à décoder les
oeuvres.
Un commentaire ou une simple interview signée Jack Nicholson
aurait transformé cette simple édition en événement DVD et
prolongé l’intérêt du film. Il faudra remettre à plus tard et
se contenter d’une édition qui brille par la seule
originalité d’une oeuvre décalée, accompagnée de sympathiques
suppléments beaucoup trop sommaires.
Juste la moyenne pour saluer le travail de l’éditeur dans sa
démarche de faire sans l’aide de son acteur principal.
Toutefois, l’absence d’un vrai making of et d’un utile
commentaire audio demeure frustrante. L’origine décalée des
bonus peine à pallier ce florilège certes classique mais
essentiel à toute bonne édition DVD. Quant aux interminables
transitions qui composent les menus, elles rendent
l’interactivité laborieuse. Au final, l’ensemble souffre d’un
manque de contenu évident que ni les efforts de l’éditeur, ni
la bonne volonté du réalisateur ne parviennent à masquer. Ni
une édition prestige, ni une édition simple… un entre-deux
intriguant… à l’image du film !
Interview avec Alexandre Payne (7’05 VOST)
Enlevez les extraits de film qui ponctuent l’interview et il
ne reste que 5 minutes à Alexandre Payne pour nous parler de
son oeuvre. Il faut dire que Payne a le goût du défi… et pas
la langue dans sa poche le garçon !!! Il qualifie son
film de Comédie (ça laisse quelque peu rêveur), parle de ses
influences et motivations tout en admettant avoir fait un
film difficile dont il a eu du mal à accoucher et qu’aucun
studio ne voulait. Le projet ne s’est concrétisé que parce
que Jack Nicholson (et optionnellement Kathy Bates) avaient
donné leur accord pour jouer. Ajoutez à cela un aplomb
délirant lorsqu’il affirme avoir frôlé la caricature sans
jamais être tombé dedans et vous aurez ici les grandes lignes
de l’interview la plus gonflée qu’il ait été donné
d’entendre. Manquerait plus qu’il conseillât le film aux
personnes stressées et déprimées et Payne aura accompli le
total challenge de faire passer un drame satyrico-pessimiste
pour la dernière folie de Mel Brooks. Ce qui le rend fort
attachant est sa grande humilité et son inattaquable
sincérité. Rien que pour le fun, l’interview d’Alexandre »
Just do it » Payne vaut d’être regardée !
Scènes coupées (28’ environ - VOST)
Montées, bruitées et (idée ô combien excellente) encadrées
par celles présentes dans le film pour les remettre dans le
contexte, ces scènes vous sont toutes présentées par un
carton (idée moins excellente) explicitant les raisons pour
lesquelles elles ont été tournées puis coupées. Et pourquoi
n’avons-nous pas un commentaire du réalisateur
lui-même ? Etait-il (lui aussi) trop occupé ? On ne
peut que regretter que la plupart d’entre elles aient été
abandonnées tant elles auraient apporté un rythme et une
cohésion au film. Voici le détail :
- Le repas du 3ème âge
- Schmidt et son successeur
- Déjeuner entre mari et femme
- Réveil brutal et souvenir fumeux : la meilleure de
toutes !!!
- Vol a l’étalage : pas mal non plus !
- La Voisine
- Visite au Village des Pionniers
- Le contrôle de Police
- L’arrêt au snack
Au nombre de 9, elles valent toutes (chose rarissime) le
détour.
Reportage sur la véritable histoire du petit NDugu en
Tanzanie (5’09 VF)
Ce reportage prend la forme d’une gigantesque publicité pour
Plan Internationale, une ONG qui officie dans le village du
petit Abdallah, l’enfant qui a servi de modèle à NDugu. Payne
montre ici sa grande générosité et son attachement à défendre
les valeurs d’une autre Amérique. Une Amérique à l’écoute des
pays les plus démunis. Une Amérique dont on ne parle jamais.
Que les journaux français préfèrent oublier. L’Amérique dont
on aimerait voir un peu plus souvent le visage. Ce reportage
en dessine les contours.
5 court-métrages
C’est le genre de petit plus qui rend l’édition
particulièrement sympathique. Comme il avait beaucoup trop de
rushs pour réaliser la séquence d’ouverture et qu’Alexander
Payne souhaitait inclure les différentes prises de vue qui
lui avaient été rapportées, il a imaginé un supplément inédit
et particulièrement enthousiasmant. 5 groupes de techniciens
ont eu chacun la charge de réaliser un court-métrage qui
aurait pu remplacer la scène d’ouverture. 5 montages
différents, 5 ambiances qui montrent combien la musique et le
montage contribuent à l’atmosphère mais également au sens du
film. Petite leçon de cinéma entre amis… et clins d’yeux aux
chefs d’oeuvre du 7ème Art… de Citizen Kane à
Pour une poignée de dollars.
Bande-annonce (2’23 VOST)
Seven 7 a l’habitude de remplir ses DVD de délicates
attentions. La bande-annonce en est une non négligeable
puisqu’elle nous permet de redécouvrir les morceaux choisis
de cette oeuvre ô combien étrange qu’est « Monsieur Schmidt
« . La qualité de l’image est toutefois un peu trop
approximative pour que le plaisir soit complet. Elle aurait
mérite un contraste beaucoup plus appuyé !
Bien que le film ne fasse preuve d’aucune véritable prouesse
visuelle, l’éditeur lui a réservé un traitement de faveur.
Contours précis, nuances des tons, harmonie des couleurs, »
Monsieur Schmidt » est techniquement très réussi. Toutefois,
très certainement à la demande du réalisateur, l’oeuvre a
conservé un aspect décoloré a dominante froide (gris bleu,
vert pâle, blanc ivoire… ).
Le rendu sur l’image traduit parfaitement l’état d’esprit du
personnage principal et l’aide considérablement à noircir le
tableau. (cf : la caravane sous la pluie). Seven 7 joue
la carte de la sobriété en livrant un master respectueux de
cett ambiance volontairement voulu par le réalisateur. Ni
tâche, ni bruit, ni sur-luminosité et une couleur qui par
moment rappelle étrangement celle gris bleutée chère à
Michael Mann.
« Monsieur Schmidt » saura vous procurer quelques intenses
émotions visuelles (cf le départ en retraite) qui capteront
votre attention par un anti-conformisme assumé qu’il est
assez rare aujourd’hui de retrouver.
Evitez la VF ! Malgré toute l’affection que vous aurez
pour la doublure de Jack Nicholson, la VF est la véritable
déception de cette édition DVD. D’une platitude atterrante,
elle transforme la vision de cette oeuvre déjà très difficile
en un véritable calvaire. Certes, les canaux sont tous
utilisés, certes le film ne se prête à aucune performance en
particulier mais avec la VF (pourtant dolby digital 5.1) se
sera l’assoupissement garanti.
Mixée 2 tons en dessous de la VO, la VF a en plus le mauvais
goût de vous priver de la chaleur et de l’intensité des voix
originales. Ecoutez Jack Nicholson en VO et vous comprendrez
quel performance d’acteur il réalise (cf : la scène du
jacousie ou bien celle du mariage). Chaleur de voix et
poétique musicalité de la bande-son, deux arguments de poids
pour vous faire passer à la VO.
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Monsieur Schmidt