Réalisé par Pierre Boutron
Avec
Michel Serrault, Michel Blanc et Thomas Jouannet
Édité par TF1 Studio
1ère partie de la critique
TV-réalité n’a pas toujours rimé avec imbécillité.
Souvenez-vous ? C’était il n’y a pas si longtemps que ça ?
Avant que la guerre entre M6 et TF1 n’engendre ces âneries
télévisées sans scénario, sans message, sans réflexion…sans
intérêt et que les belles promesses d’une télévision tournée
vers la culture ne soient définitivement enterrées au profit
de l’audimat…véritable sésame des revenus issus de la
publicité. La télé-réalité a bel et bien existé sous diverses
formes. Qu’il s’agisse du documentaire, du reportage, de
l’interview ou d’une figure fort peu éloignée de la
reconstitution journalistico-policière…le téléfilm. Si les
autres formes apparaissent aujourd’hui bien moribondes, le
téléfilm obtient tous les suffrages. D’abord, parce qu’il
concilie habilement fait divers et spectacle. Ensuite, parce
qu’il permet de développer un point de vue romanesque
(difficilement défendable avec le documentaire, l’interview
ou le reportage) et étaye sa thèse au moyen d’interprétations
plus vraies que nature. Enfin, le téléfilm, formidable
instrument de vulgarisation, permet (autour d’affaires
complexes) de simplifier considérablement les faits et de se
faire (en apparence) une idée sur des sujets polémiques.
Non seulement, « l’Affaire Dominici » n’échappe pas à la
règle mais, de surcroît, clame haut et fort son parti pris.
Quel est-il ? Obtenir la réouverture du dossier au travers
d’un sensationnel réquisitoire sur l’une des affaires
contemporaines les plus explosives. TF1 confie la réalisation
à Pierre Boutron, réalisateur de télévision chevronné. Les
rôles titres sont distribués à deux poids lourds du cinéma
français : Michel Serrault dans le rôle de Dominici et Michel
Blanc dans celui du commissaire Sébeille. Les deux épisodes
légèrement supérieurs à un format de 90 minutes sont diffusés
sur la chaîne les lundis 13 et 20 octobre et remportent un
véritable triomphe en atteignant des scores d’audimat
records. La suite est moins connue ! Enfants, petits-enfants,
écrivain, soutenus par la chaîne, exigent la réouverture du
procès afin d’innocenter Gaston Dominici et d’obtenir un mea
culpa de la justice et de la police française. La presse,
principalement soucieuse de se payer TF1 et sa programmation
jugée « racoleuse », s’acharne, pour sa part, à démonter
l’argumentation développée par le téléfilm et jette le
discrédit sur la thèse du règlement de compte entre espions,
niant par conséquent toute utilité de rouvrir le procès.
Si « l’Affaire Dominici » établit un fait certain, c’est
qu’elle est on ne peut plus d’actualité et divise avec
toujours autant d’intensité les français. D’abord, parce
qu’admettre l’innocence de Gaston Dominici serait reconnaître
la faillibilité de notre système judiciaire et policier.
Cette reconnaissance conduirait à une profonde remise en
cause du pouvoir judiciaire dans un contexte fort peu
favorable à ce genre de questionnement. 2003 laisse planer
plus que de sérieux doutes sur les deux autres pouvoirs que
sont le législatif et l’exécutif. Ce faisant, la société
française revendique un pouvoir judiciaire fort. Le
fragiliser, serait fragiliser la pierre angulaire de nos
institutions au vu et au su de la population, qui perdrait
alors (certains le pensent encore) l’inébranlable optimisme
qui est le sien. Léquation à maintenir au yeux de la masse
est simple : A tout crime correspond un coupable. Cette
culpabilité doit apparaître comme évidente, fruit d’un motif
simple lié à l’argent, à la haine, au pouvoir ou à la
sexualité. Il devient ainsi plus facile d’expliquer à ces
masses pourquoi tel coupable a accompli tel geste et quel est
le châtiment « exemplaire » qu’il lui est reservé…la nation
peut ainsi dormir tranquille. Dominici, coupable idéal,
bouc-émissarisé de par son appartenance au monde rural (en
guerre avec le monde urbain) et son origine italienne.
Immigré, paysan, avec des terres…bref le profil du coupable
rêvé ! « L’Affaire Dominici » maintient constamment la
pression. Le face à face Blanc / Serrault entre dans
l’Histoire et dépeint magnifiquement le combat de cette
famille contre la folie des hommes et leurs préjugés.
2ème partie de la critique
Rouvrir le procès pour juger Gaston Dominici innocent
reviendrait aussi à rouvrir de caverneuses blessures dont
personne ne veut plus entendre parler. 1952. La France essaie
d’oublier la guerre, les allemands, la collaboration. Tous se
réclament de la Résistance, armes à la main, témoignages à
l’appui. Des chiffres officiels sont même publiés ; la France
compte moins de 2% de collabos. Les français n’aspirent qu’à
une seule chose : la réconciliation et la paix. Le meurtre de
cette famille anglaise vient outrageusement perturber cette
tranquillité. Si la thèse d’une superpuissance étrangère
impliquée dans ce meurtre était avérée, le gouvernement
reconnaîtrait publiquement sa participation à un autre
conflit, larvé celui-ci que l’on nomme Guerre Froide. Le
gouvernement de René Coty ne peut publiquement admettre son
implication. Cela troublerait la quiété d’un pays en pleine
reconstruction et diviserait à nouveau les français
(pro-soviétiques contre anti-soviétique) comme elle l’a fait
autrefois (collabos contre résistants). Alors pas de
coupable ? Si un…il le faut ! Les alliés anglais l’exigent,
la DST aussi. Emberlificoté dans ses histoires de famille,
Gaston Dominici s’est trouvé là au mauvais moment. Il a de
surcroît le bon goût et la mauvaise idée d’être issu du monde
paysan. Ca tombe à point nommé. La France, tournée vers la
reconstruction, veut camoufler ses racines.
L’industrialisation et le progrès sont favorisés. Le monde
paysan, considéré comme au mieux barbare, au pire arriéré,
doit disparaître. Avec Gaston Dominici, c’est l’héritage
encombrant du monde rural que la France veut mener à
l’échaffaud.
Aujourd’hui, le monde paysan continue d’être l’objet
d’absurdes préjugés et paient le prix fort d’une stratégie
politique portée sur la division. Au même titre que le
gouvernement actuel profite d’une guerre bien mal inspirée
entre service publique et privé, la discorde entre ruraux et
urbains alimentée par les politiques successives perdure.
» Réhabiliter un salaud de paysan, mais vous n’y pensez
pas ??? Tout le monde vous le dira, ces gens-là boivent,
tuent pour un lopin de terre…ce sont des profiteurs
« …voilà dans quel état d’esprit » ouvert » les citadins
dépeignent encore aujourd’hui (en 2004, au XXIème siècle)
l’univers paysan. Et puis, sans trop s’appesantir….le
téléfilm effleure un autre terrain miné. Au sortir de la
Seconde Guerre Mondiale, la France a été l’un des pays
européens (côté Est du Rideau de fer) les plus truffés
d’espions gagnés à la cause de l’URSS. Hé oui, la bonne
vieille thèse du complot qui ne manque ni de rocambolesque,
ni de faits tangibles et qui laisse (bizarrement) la presse
sans voix, excepté lorsqu’il s’agit de règlement de compte
politique par journaux interposés. Pourtant, si les noms de
ceux qui ont profité de cette manne venue du froid devait
être révélés, ils relègueraient la liste noire de Mc Carthy
au rang de simple mémo. Pas de panique !!! Ca n’arrivera
jamais…parce que plus que la vérité, nous désirons la paix.
Quel qu’en soit le prix à payer !!!
Malgré les maladresses partisanes associées au propos du
film, TF1 nous offre avec « l’Affaire Dominici » un
divertissement de qualité. Ce faisant, la chaîne obtient la
preuve (formelle) qu’il n’est nul besoin de racoler pour
intéresser les foules. Dommage que la presse n’ait pas su
apprécier la portée de cette haletante reconstitution. Trop
occupée à enfouir à nouveau cette affaire dont personne ne
veut entendre parler, elle a préféré regarder le doigt plutôt
que d’observer la Lune. Une inconduite qui pose de nombreuses
questions. Boutron n’a pas à rougir de sa réalisation, il a
su parfaitement capté, comme l’auraient fait un Truffaut,
toute la complexité (mélange de dureté sensible) du
personnage. Habilement, il a opté pour une réalisation aussi
discrète que soignée ; Champ / contre-champ, épaule dans les
scènes d’action, ralentis choisis pour figer le temps et
montage cut sans fioritures ni transitions. Toute la beauté
et la simplicité d’un drame social dont la trame dépasse de
loin les plus passionnantes fictions et qui s’appuie sur la
relation viscérale entre les Hommes et la Terre. Il montre
ainsi sa relation viscérale au projet. Avec savoir-faire,
implication et passion, il signe un téléfilm à faire pâlir
bon nombre d’adaptations ciné.
Poignant, instructif, « L’Affaire Dominici » donne envie
d’aller plus loin, d’enquêter soi-même, de s’immerger
davantage dans les méandres de cette atroce mais néanmoins
fascinant triple homicide. En deux mots, une incontestable
réussite !!!
L’éditeur est réputé pour son traitement « light » des oeuvres
dont il a la charge. « L’Affaire Dominici » ne démentira pas
cette méchante rumeur tant la pénurie de suppléments se fait
cruellement sentir. C’est d’autant plus incompréhensible que
le téléfilm a obtenu des scores d’audiences records et que
TF1 ambitionne de le voir servir de base à la réouverture
d’une instruction judiciaire. On ne peut que demeurer
interdit et frustré par ce choix résolument minimaliste !
Rien qu’à voir le packaging, on aurait pu s’en douter !
Côté son et image, l’éditeur a fourni de considérables
efforts pour offrir au dévédéphile une qualité qui rende très
clairement hommage au support. Alliant poésie visuelle et
sonore, « L’Affaire Dominici » prend ici une autre dimension.
Celle du film décomplexé de son origine. Le DVD réussit à
gommer la frontière entre télévision et cinéma pour ne
laisser subsister qu’une oeuvre au décor et à la mise en
scène particulièrement soignés.
Je tiens à préciser que la notation exclut le livret joint
avec le DVD. L’éditeur ne nous l’ayant pas transmis pour
réaliser la critique des suppléments. Seul autre bonus
présent sur cette édition : un making of de presque 30
minutes. De prime abord, on se dit qu’il faut bien cela pour
sinon démêler au moins éclairer cette épineuse affaire. En y
regardant de plus près, on se demande bien pourquoi l’éditeur
s’est limité à un making of. Il aurait largement pu glissrr
un autre documentaire d’une durée équivalente sur les
coulisses de l’affaire. La notation est même carrément
indulgente au vu des potentialités qu’auraient offerte une
véritable édition DVD collector. Il y avait largement
matière. L’éditeur s’est contenté d’une édition simple DVD
qu’il a hésité à appelé édition spéciale. Sage décision !
Making of (26’52 VOST)
Malgré les bonnes intentions évidentes des participants, le
making of (puisqu’on doit l’appeler ainsi) est une immense
déception. Ni un documentaire sur ce qui s’est passé, ni un
reportage sur les coulisses du tournage, il prend toutes les
directions et veut trop interroger de monde. Résultat : on ne
sait plus bien où on est. Patchwork entre documents
d’archives, scènes tournées, prises et interviews, on
questionne tous azimuts acteurs, réalisateur, scénariste,
auteur du livre et petit-fils de Gaston Dominici. Où veut-on
en venir ? Il aurait bien évidemment fallu distinguer entre
le tournage à proprement parler et les faits réels dont le
téléfilm s’inspire. A trop vouloir en faire, ce
mini-documentaire ne traite ni l’un ni l’autre et finit par
agacer en empruntant des accents polémiques sans fondement ni
objet. Jamais la partie adverse n’est interrogée, jamais
aucun document ne nous est présenté, jamais aucune véritable
reconstitution ne nous est proposée. Une peu de rigueur
journalistique n’aurait pas fait de mal à ce documentaire.
Rappelez-vous la base ! Qui, quand, où, pourquoi, comment et
avec qui, preuves à l’appui ! ! ! Enfin, autre déception de
taille ; On n’aperçoit que furtivement Michel Serrault qui
n’intervient pratiquement jamais. Avec son humour et son
franc-parler, il aurait très certainement apporté un peu
d’ambiance à ce qui ne vole pas plus haut qu’une gentille
petite featurette. Distrayant tout au plus !
Côté image, les progrès réalisés par l’éditeur sont
considérables. Transfert soignée, couleurs contrastées, grain
quasi imperceptible…et piqué très précis qui arrive même à
approfondir le champ (évidemment plus réduit qu’un format
cinéma). TF1 vidéo a offert un traitement royal à cette
« Affaire Dominici ». Jaune des blés, gris de la prison, bleu
de la nuit font preuve d’une nuance qui pose une ambiance
nerveuse et léchée.
Et lorsque le mouvement de caméra imprime soudain une
ambiance cahotique (cf : les photographes, la foule qui
hurle…) on constate avec bonheur une compression de très
haut niveau qui nous prive fort heureusement des stries,
floutés et autres désagréments souvent présents en cette
occasion. L’éditeur s’est efforcé de gommer à l’image les
différences entre le format cinéma et le format TV. Une
nouvelle fort réjouissante qui semble vouloir confirmer les
bonnes résolutions prises par TF1 Vidéo. A suivre…
La bande-son est très clairement le parent pauvre de cette
édition DVD. Ni Dolby Pro-Logic, ni Dolby Digital 5.1, ni
DTS…bref aucun des formats récents que le support DVD
autorise. L’éditeur nous gratifie d’office d’un Dolby
Digital…2.0. Sortez vos grammophones, vos postes radio, vos
disques de Charles Trenet…c’est la séquence nostalgie chez
TF1 Vidéo. Pourquoi un tel retour en arrière ? Surtout
lorsque un éditeur fait autant d’effort au niveau de l’image.
Il fallait continuer sur cette belle lancée et nous offrir un
format digne d’un Blockbuster. C’est de » L’Affaire Dominici
» dont on parle, pas du dernier épisode de » Navarro « .
Enfin, passé le cap de la surpise, vous constaterez que le
mixage est de très bonne qualité avec des voix bien claires,
des basses bien présentes et de la musique bien chargée
d’émotions. Et puis, l’histoire est tellement captivante
qu’on en oublie les surrounds l’espace d’un instant. Quelques
minutes seulement car on souhaiterait tout de même plus de
force et d’intensité dans la mélodie…mais bon y a pas de
5.1, y a pas de 5.1…qu’est-ce que vous voulez qu’on vous
dise. Pour une éventuelle édition ultimate ? ? ?
Un DVD à vous procurer d’urgence…excellente affaire à
toutes et tous !