Réalisé par Park Chan-wook
Avec
Lee Byung-hun, Lee Young-aeh et Song Kang-ho
Édité par CTV International
La Zone Commune de Sécurité (Joint Security Area alias JSA)
se trouve à Panmunjom, petit village coréen situé près du
38ème parallèle à la frontière des 2 Corées. Dès octobre
1951, ce même village servira de zone neutre aux multiples
rencontres entre les représentants de l’ONU et les sino-
Coréens. Après d’âpres négociations, un armistice sera enfin
signé en juillet 1953. Toutefois, le pays restera coupé en
deux. Côté Nord, les Coréens convaincus par le modèle
communiste et soutenus par le régime de Moscou. Côté Sud,
d’autres Coréens séduits par le modèle capitaliste et appuyés
par Washington.
La source de tension entre les deux camps est extrême et dans
ce contexte, la moindre étincelle peut faire basculer non
seulement les deux pays mais également le monde dans la
guerre. En bref la théorie des dominos (un pays entraînant un
autre pays allié dans la guerre et ainsi de suite) comme si
vous y étiez ! La matière est d’une extraordinaire richesse
et Sang-Yun Park, auteur de « DMZ » le roman duquel est tiré le
film, le sait. Il lui a suffit d’utiliser cette tension pour
servir une histoire forte, emplie d’humanité et
d’universalité afin qu’elle parle au plus grand nombre.
Cependant, pour que « DMZ » dépasse les limites de la Corée du
Sud, le roman a besoin d’être adapté au cinéma. Compte tenu
du succès qu’a déjà obtenu le livre, la production sera
grandiose et la réalisation spectaculaire. Pour cela, Myung
Film fait appel à Chan-Wook Park. Ce jeune réalisateur n’a
jusqu’ici que 2 films à son actif (« Anarchists » et « The
Humanist ») mais la solide réputation de prendre des risques.
Ca tombe plutôt bien car le sujet est risqué. « DMZ », devenu
pour le cinéma « JSA », traite de l’impossible et pourtant
souhaitable rapprochement entre les 2 Corées à travers les
rapports passionnels et violents de 4 soldats (2 coréens du
Nord et 2 Coréens du Sud).
4 personnalités bien marquées, 4 stéréotypes qui ne manquent
ni d’audace ni de ténacité pour faire évoluer les rapports
tendus entre les deux entités politico-géographiques d’un
seul et même pays. Le baroudeur, le comique, le peureux et le
téméraire forment le socle de la narration. Tous les autres
personnages ne servent qu’à les faire se rencontrer ou se
séparer, cherchant à pénétrer ou à briser le cercle de leur
relation.
Si le film débute comme un polar fort bien ficelé en
territoire militaire, « JSA » prend rapidement de l’altitude à
travers la relation que nouent ces 4 hommes. La réalisation
particulièrement soignée (cf. les champs de blé) combinée à
l’excellente prestation des acteurs offrent au spectateur de
grands moments de cinéma et certaines scènes d’anthologie (cf
le feu d’artifices de mines, la bataille de crachats au-
dessus de la frontière). Vous trouvez le compliment poussé
mais à la vision d’un tel bijou, on ne peut qu’être
transporté tant par l’atmosphère que par la portée du
discours. C’est une oeuvre importante voire majeure dans
cette époque propice aux tensions de toutes sortes. « JSA » est
un plaidoyer pour l’amitié contre la haine et l’exclusion
parce qu’il remonte aux sources de ce qui crée la division :
l’ignorance. On a peur de ce qu’on ne connaît pas et ce
sentiment nous fait détester ce qui nous est inconnu.
C’est la grande force du film ; avoir su dépasser les
idéologies. En s’abstenant de juger, il renvoie dos à dos les
deux camps en se moquant de leurs peurs issues de leur bêtise
et de leur suffisance. « JSA » les fustigent, ridiculisant tour
à tour cette Organisation des Nations Unies incapable de
montrer une véritable neutralité, les sud-coréens « bouffeurs
de cocos » puis les communistes embourbés dans leur propre
spirale propagandiste. Il n’y a plus pour les deux côtés ni
Bien ni Mal, ni Bon ni Mauvais mais une seule et même
stratégie ; celle de l’annihilation de l’autre par des
calculs aussi machiavéliques que mesquins. Les deux camps
condamnent ainsi les protagonistes au mensonge, au meurtre,
« au massacre » dira l’un d’eux.
L’horreur côtoie souvent le merveilleux et de l’horreur d’une
guerre fratricide, « JSA » extrait le miracle de l’amitié,
preuve incontestable qu’il reste encore assez d’humanité en
l’homme pour rétablir la paix. Habillé d’universalité, « JSA »
a su trouver les mots et les images pour nous sensibiliser à
la cause coréenne. En pointant sa caméra sur des hommes
injustement séparés avant de s’intéresser aux soldats, il
nous a rappelé qu’en France, en Allemagne, en Afrique du Sud,
il n’y a pas si longtemps de cela, les combats fratricides
avaient divisés avec une pareille horreur et une même
intensité.
Drôle de monde, drôle de guerre, drôle de beau film… à ne
rater sous aucun prétexte !
La sortie en salle du dernier long-métrage de Chan-Wook Park,
« Sympathy for Mr Vengeance » n’est sans doute pas étrangère à
la sortie en DVD de « JSA ». On ne s’en plaindra pas et pour
l’occasion, CTV et TF1 Vidéo ont sorti le grand jeu.
Un emballage cartonné de très belle facture, deux DVD avec la
présence sur le premier d’une piste DTS et 5.1 en VO et de
deux commentaires audio incluant celui du réalisateur puis
celui de l’équipe du film. Que demander de plus ?
Un deuxième DVD peut-être ? Hé bien il y est avec une
multitude de bonus qui vous en apprendront plus sur la
fabrication d’un film que tous ceux que vous avez pu
visionner jusqu’alors. En fait, c’est même un peu trop car
certains bonus veulent tellement bien faire qu’ils se
chevauchent, se répètent et finissent par ne plus savoir quoi
montrer.
Mais on ne va pas chipoter. Mieux vaut trop que pas assez
(comme c’est souvent le cas). Dotés d’une énergie débordante
et d’une incroyable personnalité, ces bonus méritent plus que
tout autres de s’y attarder !
Ce qui frappe immédiatement en regardant ces suppléments,
c’est qu’ils semblent n’avoir été « corrompus » par aucune
volonté mercantile. C’est de l’interview brute de fonderie où
chacun s’exprime librement. Autre point fort, autre bonne
surprise ; la réalisation est entièrement coréenne et ça se
sent. Pas de poudre aux yeux ni d’extraits intempestifs,
chacun fait preuve d’une sincérité juvénile et veut nous
montrer avec quels moyens et astuces « JSA » a été réalisé.
Malgré les incontournables maladresses de style, l’ensemble
étale au grand jour la bonne volonté, l’énergie et le talent
déployés par l’ensemble de artisans. Peut-être que l’éditeur
aurait pu en rajouter un nous expliquant l’absence d’un
sortie cinéma en France ?
Le Making of (54’46 VOST)
D’entrée de jeu, les choses sérieuses commencent. Le
documentaire évite le blabla promotionnel pour nous plonger
immédiatement au coeur de la fabrication d’un des plus gros
succès du Box Office coréen. Eviter le piège n’était pourtant
pas évident puisque, fort de ses 6 millions de spectateurs,
il aurait été tentant de ne se limiter qu’à l’aspect
financier et commerciale de « JSA ». Point s’en faut ! Des
acteurs au réalisateur en passant par le scénariste, le
dialoguiste, le chef opérateur jusqu’au chef décorateur, tous
ont été interviewés. Etape par étape, ils nous expliquent et
nous exposent la manière voire les manières dont ils ont
approché le film. Et comme personne n’a de dons surhumains
(contrairement aux techiniciens américains), le documentaire
est aussi l’occasion d’exposer ses choix, ses doutes, ses
peurs, les interdits rencontrés et les tabous transgressés.
Bref, s’il n’avait pas été quelque peu handicapé par un
montage brouillon et par une totale absence de transition, ce
documentaire aurait sans doute constitué l’un des plus
complets à ce jour. On le qualifiera tout de même de fort
instructif.
Interview du réalisateur et d’un des acteurs (23’58 -
VOST)
Excellente surprise que de retrouver le réalisateur et l’un
de ses acteurs non dans un studio devant une gigantesque
affiche du film mais bien autour d’une table dans un café.
C’est une véritable bouffée d’air frais et on se croirait
revenu à l’époque de la nouvelle vague où Truffaut, Godard,
Chabrol et les autres passaient leurs interviews au bistrot à
disserter avec sincérité et intelligence sur le film qu’ils
venaient de réaliser. Le cinéaste peut ainsi étaler ses
influences et ses inspirations (évoquant au passage le « Trop
belle pour Toi » de Bertrand Tavernier), parler de sa carrière
pour terminer sur les trucs utilisés pour la réalisation.
Interview d’un des acteurs (5’46 VOST)
Sous couvert d’une banale interview, l’acteur sud-coréen qui
joue dans le film le rôle d’un soldat nord-coréen nous expose
sa vision très franche et très personnelle de la situation en
Corée. Là encore, absence de langue de bois pour ce
témoignage coup de poing. Incontournable ! Et si on
transposait la situation en Corée sur ce qui peut se passer
aujourd’hui dans nos sociétés occidentales « dites »
développées et civilisées ?
Le tournage (19’46 VOST)
Nous y voilà… ou plutôt nous y revoilà ! Mais cette fois
avec des détails encore plus croustillants rapportés avec une
énergie et une bonne humeur communicatives. Ici, vous en
apprendrez plus sur les répétitions, la direction d’acteur,
les décors et ainsi de suite. Certes la caméra est mal
habile, certes le son n’est pas à la hauteur de ce qu’on est
en droit d’espérer pour un documentaire DVD, mais c’est
tellement intéressant qu’on en redemande. Plus, montrez-nous
plus !
La véritable zone « DMZ » (12’42 VOST)
C’est l’unique déception de ce DVD. Le cadre est improbable,
l’image baveuse et le son trop fort pour apporter quoi que ce
soit à ce qui nous est montré. On nous explique rien, pire on
nous prend pour des touristes et on s’amuse (ou on s’ennuie,
c’est selon) à jouer les voyeurs pendant ces interminables
12’42. Ha oui, j’oubliais ! De grotesques cartons censés nous
lâcher des bribes d’informations sur les lieux exposés sont
sensés encadrer le tout. Nous voici revenu au temps du
muet… absurde !
Diaporama
Les images sont belles et invitent à nous arrêter sur les
temps forts du films. L’absence de storyboards est toutefois
regrettable mais c’est histoire de pinailler.
La Promotion (14’ VF ou VOST)
Sous cette dénomination générique se cachent les bandes-
annonces en VF et VOST, coréennes et japonnaises, les
spots TV en VOST, le clip vidéo (comprenez le
clip du tournage) Et l’inévitable clip musical. Si
l’ensemble est plutôt inégal compte tenu d’une image
fortement bruitée aux couleurs franchement délavées et d’un
son essentiellemnt porté sur l’enceinte centrale, la
consultation de cette section demeure néanmoins
enrichissante. Il fait état des différents outils de
promotion déployés par CJ Entertainment à l’occasion de la
sortie du film. On aurait pu également titrer la section
« comment faire plus d’entrées avec 100 fois moins que le
budget d’un Blockbuster hollywoodien ».
Oui, je n’en démordrai pas et tant pis pour les bougons qui
trouvent à redire sur le grain ou la profondeur de champs.
Ici, c’est de l’image de qualité avec une compression qui
force le respect. Il faut également souligner que l’uvre
originale a été filmée en Cinémascope avec un format Super 35
mm, ce qui veut dire que Chan-Wook Park s’est offert le luxe
de tourner dans un format supérieur au formats habituellement
employés.
Cela rejaillit logiquement sur la richesse et la profondeur
de l’image. Certains plans ressemblent à des tableaux tant la
photo, l’angle et la prise de vue choisis font merveille. Le
champ de blé pourrait très prochainement devenir un cas
d’école tout comme l’éclairage si ambigu lors du massacre
dans le poste de garde. Le cadre occupe l’espace sans jamais
le noyer et la lumière enveloppe de mystère les visages.
Si comme tout le monde, j’avais pu être un court moment tenté
de rapprocher « JSA » de Basic (de John McTiernan),
l’image a définitivement fini de creuser l’écart propulsant
l’un au rang d’oeuvre, rabaissant l’autre au niveau du bon
film d’action. La qualité de la réalisation fait toute la
différence. Et le DVD permet, grâce à un piqué élégant et des
contrastes subtilement nuancés, d’appuyer cette différence.
Chaque plan innove par sa mise en scène singulière et
somptueuse. Une innovation que TF1 Vidéo et CTV n’ont pas
manqué de souligner au travers de cette très respectueuse
édition DVD.
Voici que le DTS fait à nouveau son apparition. Plus tonique
que le Dolby Digital, cette piste tout en force conserve aux
instants de calme leur poésie tout en n’hésitant pas à les
déchirer par de retentissants combats. La piste DTS est
violente, nerveuse et retranscrit parfaitement l’atmosphère
du film.
Habituellement adepte de la nuance, je vous le dis tout net
(et sans honte) j’ai été soufflé par tant de dynamisme et de
puissance (cf le combat final entre les deux armées).
L’importance de la musique est ici parfaitement rendue autant
que l’impact foudroyant des balles. Approchez l’oreille et
vous percevrez le cliquetis des ceintures, le bruit sourd des
pas et le choc provoqué par la jumelle contre l’oeil du
soldat. Vous trouverez en comparaison la piste Dolby Digital
5.1 bien mollassonne. A vous de décider !
Que dire de la piste française. Qu’elle justifie la note de
3,5 sur 5 ! Il est sûr que doubler un film coréen avec des
voix françaises n’est pas chose aisée mais si le 5.1 a eu le
courage d’essayer, il n’arrive malheureusement pas au doigt
de pied de son homologue coréenne. Après, c’est une question
d’habitudes et de goûts mais tester la VO, c’est l’adopter !
Très bonne projection à toutes et tous !