LA 2013 (1) - Interview de John Carpenter
Première étape du spécial Los Angeles 2013, avec une rencontre avec l’auteur de The Thing, Fog et bientôt « Ghosts of Mars »
- Le héros de votre film « Assault » se fait appeler « Napoléon », car il ne se considère pas
comme connecté à l’époque où il vit. Mais le même discours pourrait être appliqué à toute
votre oeuvre, qui est constamment en décalage avec les vérités et les idées hollywoodiennes…
Je suis incapable de répondre. J’ai l’impression que mes films sont toujours en avance
sur Hollywood et son Credo commercial, car ils sont redécouverts et appréciés plusieurs
années après leur sortie. Mais je ne suis pas dans le métier pour aller à contre-courant.
Je suis ici pour essayer de gagner de quoi vivre !
- Pour paraphraser la fin de Los Angeles 2013, est-ce que la fin de la technologie
signifie la fin du monde ?
J’ai grandi dans un monde beaucoup plus petit que le monde actuel. Par certains aspects,
c’était un monde effrayant à cause de nos limites, et je suis content d’y avoir échappé.
Nous vivons maintenant dans un monde immense : nous sommes reliés les uns aux autres avec
les réseaux, et notre technologie peut sauver des vies humaines. Mais tous ces changements
n’ont été que positifs, la technologie peut aussi être exploitée à des fins délétères.
Dans le monde de Los Angeles 2013, la troisième guerre mondiale est sur le point
d’éclater. A la fin du film, Snake Plissken fait à mon avis la seule chose possible et la
plus humaine : il tue la technologie, et il remet à égalité tous les individus et les
peuples. Il nous pousse vers un nouveau monde où une boîte d’allumettes a la même
puissance technologique qu’un ordinateur actuel. Je sais que plusieurs personnes ont
détesté le film, mais c’était la seule solution possible. Mais le film est une chose, et
le monde réel une autre !
- Il y a quelques années aux Etats-Unis, « the Unabomber » envoyait des colis piégés à ses
victimes, car il considérait que la technologie pouvait emmener notre monde à la
catastrophe..
Tout à fait. Vous avez lu son « manifesto » (publié à l’époque sur les grands quotidiens
américains - N.d.A.) ? C’était une folie. Je peux comprendre à la limite le point de
départ de ses idées, et le fait qu’il a joui d’une certaine notoriété sur Internet. Mais
je ne peux pas justifier le fait qu’il ait tué des gens uniquement car il hait la
technologie. En tout cas, je ne me suis pas inspiré de lui. Nous avions réfléchi depuis
longtemps à faire une suite de New York 1997, mais cette idée a vraiment pris
corps suite au tremblement de terre de Northridge, en Californie (le 17 janvier 1994 -
N.d.A.).
- Pour vous, notre monde deviendra un jour aussi corrompu que les Etats-Unis dans votre
film ?
J’espère que non ! Nos fondateurs ont conçu l’Amérique comme un essai plutôt raté de
démocratie. Nous avons entouré notre Constitution d’une série de garde-fous, pour éviter
que le pouvoir puisse être concentré dans les mains d’une seule personne. A la base
l’idée est bonne, mais dans la pratique notre système est un foutoir.
Pour moi, le problème est que nous sommes en train de nous éloigner de la société
industrielle, et nous rentrons dans un nouvel âge, où la « middle-class » disparaît
progressivement. C’est comme une clepsydre : les riches sont en haut, la middle-class est
écrasée dans l’embout, et nous retrouvons en bas une base immense de nouveaux pauvres.
Nous sommes en train de revisiter le concept du fascisme, et de l’adapter à notre pays.
- Donc le pouvoir corrompt ?
Bien sûr ! Pour moi, il n’y a aucune différence entre les personnages de Cliff Robertson
(le président des US) et de George Corraface (le révolutionnaire psychopathe). L’un est
un fanatique religieux, et l’autre un fanatique assoiffé de sang…
- Et quelle personne est donc Snake Plissken ?
Snake n’a pas changé depuis New York 1997 et il ne changera jamais. Il se fiche
éperdument de tout le monde. La seule chose qu’il veut, est de pouvoir vivre 60 secondes
de plus que les autres. J’ai décidé de ne pas lui donner un passé car Snake est un
archétype. Mais il est un humain en chair et en os, tu peux compter là dessus !
- Et pourtant, son talent au basket est plutôt extraterrestre…
Kurt Russell a tout fait en personne. J’en sais quelque chose, nous avons passé toute la
nuit à tourner cette scène…
- Plusieurs personnes se sont toujours demandé pourquoi et comment Snake a perdu un oeil…
La vérité est qu’il n’y a rien de mieux que mettre un bandage sur un oeil pour attirer
l’attention ! Pensez à Kirk Douglas dans « Les vikings »…
- Vous avez été l’un des premiers cinéastes à utiliser l’Avid (le montage virtuel) pour
monter votre film. Comment trouvez-vous ce système ?
Tout Los Angeles 2013 a été monté en virtuel, et à la fin du travail j’ai pu voir
le film complet une seule fois, pour décider des changements. Je veux dire, j’ai dû
prendre toutes les décisions sur la base d’un seul visionnage. Nous avions un contrat
avec Paramount, qui stipulait que le film devait sortir en salle le 9 août. Soit on
acceptait, ou le film ne se serait pas fait.
Le problème n’est pas tellement le montage virtuel, mais la politique des Studios, qui
resserrent les temps de post-production concédés aux réalisateurs. Nous y arrivons à bout
de souffle, mais nous sortons extenués par la fatigue, et surtout nous n’avons plus le
temps créatif nécessaire pour façonner notre vision. Tous les réalisateurs se sont mis à
haïr les rythmes que nous devons soutenir en phase de montage.
- C’est donc uniquement une question d’argent ?
C’est juste une question d’argent. Les Studios paient pour réclamer les produits qu’ils
veulent. Mon rapport avec la Paramount sur Los Angeles 2013 a été l’une des
exceptions de ma carrière avec les Studios. Ils m’ont laissé champ libre pour faire le
film que je voulais. Il faut néanmoins ajouter qu’ils s’attendaient à ce que je tourne un
film « subversif »…
- Avez-vous vraiment l’intention de tourner un jour le troisième chapitre de la saga,
« Escape from Earth » ?
Si ça ne tenait qu’à moi, je commencerais demain ! J’ai déjà mis sur papier un certain
nombre d’idées. Le problème, est que les idées ne sont pas importantes dans ce métier.
Ce qui compte, c’est de trouver des gens disposés à financer le film. Que voulez-vous que
je vous dise ? C’est l’histoire de ma vie…