Deauville 2004 : Collateral
On attendait donc beaucoup de « Collateral ». L’histoire d’un tueur qui prend en otage un taxi afin de sillonner la ville pour exécuter ses contrats. Pouvait-on rêver pitch plus intense et plus hitchcockien ? Un pitch parfait pour un Michael Mann décidément bien inspiré…
COLLATERAL
Sortie le 29 septembre 2004
Un film réalisé par Michaël Mann
Max est taxi de nuit à Los Angeles. Un soir, un homme prénommé Vincent monte dans son véhicule.
Cheveux argentés, costume gris clair, barbe discrète, mallette, gestes précis, allure dynamique
et autoritaire. Un businessman, selon toute apparence, avec un emploi du temps chargé : pas moins
de cinq rendez-vous à tenir dans la nuit. Max accepte de lui louer ses services jusqu’au petit
matin, en échange de 600 dollars.
Premier arrêt. Vincent entre dans un immeuble. Un coup de feu éclate presque aussitôt, un corps
plonge dans le vide, s’écrasant sur le toit du taxi. Vincent redescend et, sous la menace de son
arme, oblige Max à dissimuler le cadavre dans le coffre.
Désormais liés l’un à l’autre, les deux hommes reprennent leur périple meurtrier. Un chauffeur de
taxi, un tueur implacable, cinq « cibles » à éliminer, des agents des stups et une équipe du FBI…
Leurs destins se joueront cette nuit…
Michael Mann est un habitué des scenarii policiers. Le cinéaste s’y est depuis longtemps exercé en
signant ou co-signant entre autres ceux des cultissimes séries « Police Story » et Starsky & Hutch.
C’est dire si l’homme oeuvre de longue date. Au fil de ses réalisations, ses pas l’ont conduit sur le
terrain métaphysique, offrant aux cinéphiles action mais aussi réflexion. Michael Mann est le champion
du polar consistant. Celui qui marque. Celui dont on ne sort pas en ayant l’impression d’avoir perdu
son temps. , Heat et Révélations ont définitivement
assis sa réputation. Solidité de l’histoire, profondeur des sentiments et choc des images.
Dans ce bleu acier, sa teinte préférée, Michael Mann fait se rencontrer hommes et femmes, policiers
et criminels, victimes et bourreaux. Dans ce bleu acier, ils sont tous logés à la même enseigne. Tous
égaux devant l’adversité, devant les choix heureux ou malheureux qu’ils sont forcés de faire, ni
totalement coupables ni entièrement innocents. Le bleu évite de distinguer trop clairement le blanc
du noir. Pas de manichéisme, le bleu écarte pertinemment les jugements hâtifs. Condamner un criminel
demande réflexion. Absoudre une victime également. Michael Mann a inventé une nouvelle perspective. Le
bleu qui ne présuppose ni ne préjuge. Et dans ce bleu, l’histoire qui nous est racontée, bien que déjà
vues ou déjà entendues, vibre d’un nouveau regard jamais encore porté sur le sujet.
On attendait donc beaucoup de « Collateral ». L’histoire d’un tueur qui prend en otage un taxi afin de
sillonner la ville pour exécuter ses contrats. Pouvait-on rêver pitch plus intense et plus hitchcockien ?
Un pitch parfait pour un Michael Mann décidément bien inspiré. Un pitch à la hauteur de La Mort aux trousses
avec tout ce que cela inclut comme ingrédients savoureux. De l’action, beaucoup d’action. Du
suspens comme s’il en pleuvait et un face-à-face haletant entre Jamie Foxx, star montante, et Tom Cruise,
star au sommet. Avec un scénario pareil, la voix de « Collateral » était toute tracée. D’ailleurs peut-on
encore parler de scénario quand un pitch vire carrément au manuel pour réalisateurs débutants. Comment
réaliser un film de ce type ? Simple : cadres fuyants, plans courts et montage cut façon techno déjantée
pour obtenir une interdiction au moins de 16 ans et classer l’oeuvre dans la catégorie Thriller / Action.
Avec un pitch de cette qualité, même un cinéaste manchot aurait ficelé le tout en moins de temps qu’il
ne faut pour le dire.
Mais que serait-il resté de « Collateral » ? Une belle occasion manquée de réaliser un film profond et
inspiré. Que reste-t-il aujourd’hui des « Bad Boys » et compagnie ? Un vague souvenir d’avoir autrefois
entraperçu Will Smith dans un film d’action. Point. Certes, le film, à l’époque, avait répondu à nos
attentes avec son cadre sur stylisé, son montage nerveux et ses séquences essoufflées. Mais quelques
grammes de poussières sur la pellicule auront suffi à le faire oublier. De vision, pas de trace, de
philosophie pas la moindre. Et le goût éphémère du public pour les films d’action ne fait guère plus
référence à « Bad Boys » et ses clones qu’en termes peu élogieux : oeuvres sans inventivité, humour
graveleux et thèmes dépassés.
« Collateral » mérite mieux que ça et Michael Mann le sait. Pas question d’en faire un film de star,
ni un nanar policier écervelé. La perspective employée par le cinéaste est une nouvelle fois inattendue.
Résultat : « Collateral » éblouit ou déçoit mais ne laisse en aucun cas indifférent. Michael Mann signe
un film si atypique qu’il pourrait à la limite se classer dans les oeuvres d’Art et d’Essai. C’est loin,
très loin, si loin de ce à quoi la bande-annonce et le pitch nous préparaient. Le rythme est lent, les
personnages fouillés, l’histoire ne s’emballe jamais et si elle prend le temps, c’est pour mieux se
convulser autour de protagonistes que le hasard et des choix mauvais ont piégés. « Collateral », avant
d’être un film d’action, traite par-dessus tout des sentiments humains, des rapports entre les personnes,
de la haine, de la violence et de cet amour qui aurait la curieuse propriété de nous sauver.
Au lieu de se gargariser d’action comme n’importe quel cinéaste (manchot), Michael Mann dote
astucieusement ses personnages de la parole. Un particularisme surprenant pour un Blockbuster sensé
être classé Thriller / action. Une évidence pourtant afin de donner aux personnages un sens à leurs
motivations. Le mot est lâché : motivations, ce qui manque à la panoplie de pauvres héros monoblocs
que de misérables thrillers sans imagination s’empressent de nous servir. « Collateral » prend résolument
leur contre-pied. Un bonheur trop rare ! Il nous emmène au coeur de la nuit, dans les coin les plus
obscurs d’une mégapole impersonnelle : Los Angeles. L’action n’est là que pour ponctuer le film. Saisir
le spectateur, le faire réagir et lui injecter l’adrénaline d’un spectacle vérité. D’ailleurs Michael
Mann a choisi de filmer « Collateral » en numérique. Ce n’est pas un hasard. Il émane de l’oeuvre un sentiment
de proximité qui met immédiatement mal à l’aise. Peu habitués à autant de réalisme, cela finit même par
nous déranger.
Mais Mann persiste et signe dans sa détermination à réaliser un Blockbuster hors normes. Lumières crues,
cadres droits (symétriques même), personnages bavards et montage étiré, « Collateral » n’en finit pas de
surprendre. Classique et jazz sont majoritaires. Jungle et techno sont minoritaires. Le style est soigné
sans être ultra léché. L’action y est parcimonieuse. Quant au final époustouflant, il s’arrête sur un
dénouement qu’on soupçonnait (au vu des choix artistiques du film) mais que l’on n’osait imaginer. Fin
audacieuse sur un plan d’ensemble qui écrase les protagonistes. Comme si Michael Mann finissait par noyer
cette histoire dans l’immensité d’une ville qui n’en gardera pas trace. « Collateral » est une tragédie
grecque, une pièce de théâtre qui respecte unité de temps et d’action. Une nuit, une seule aura suffi
pour sceller les destinées. Quant au spectateur, Michael Mann l’aura plongé dans une intense réflexion
qui se poursuivra une fois le rideau tombé.
Michael Mann poétise un film à gros budget pour en faire une errance humaine à travers les méandres de
la mégalopole moderne par excellence : Los Angeles. Un parcours labyrinthique qui tient plus de la
psychanalyse que de l’exutoire psychédélique. « Collateral » est une excellente surprise. Un spectacle
profondément enthousiasmant. Un grand film !