DOSSIER EM - Interview : Dans la tête des Editions Montparnasse
Une rencontre avec Renaud Delourme, le directeur responsable d’un éditeur vidéo pas comme les autres, qui fut le précurseur français du DVD, et qui sort demain l’immortel Citizen Kane
Crée en 1987, Editions Montparnasse est traditionnellement l’un des noms les plus
acclamés par les cinéphiles, grâce à ses rééditions en vidéo des classiques de la
RKO. Mais EM a été aussi le premier éditeur français à sortir un DVD Les Enfants de Lumière
(sorti en 1997, et réédité le mois dernier). Un mois après le boom Himalaya, l’enfance d’un chef,
EM lance demain en DVD l’immortel Citizen Kane. Nous nous sommes entretenus
avec son PDG, Renaud Delourme, pour explorer le parcours d’un éditeur pas comme les autres.
dvdfr - Il n’y a pas si longtemps que ça, Edition Montparnasse était perçu par
le public comme le précurseur français du DVD, et l’un des spécialistes du cinéma
classique. Ensuite, Himalaya, l’enfance d’un chef a tout changé. Ce DVD a été l’un des champions
des ventes en octobre, et il a même battu Jurassic Park de Spielberg. Comment
ressentez-vous ce succès ?
Renaud Delourme - Pour moi, le succès de Himalaya, l’enfance d’un chef représente plutôt
une confirmation de notre stratégie. Nous avons été les premiers à miser sur le DVD,
en tant que support pour l’avenir, avec Les Enfants de Lumière et Microcosmos - Le Peuple de l’herbe.
Nous avons ensuite continué à explorer le support, en privilégiant la qualité du son
et de l’image, et l’offre des suppléments. Les sources de qualité médiocre ne sont
plus admises, car leurs défauts sont amplifiés par le DVD. Nos efforts dans le cinéma
et le documentaire nous ont permis de gagner deux DVD Awards en 1998, pour Louvre, la visite
et Cuba, le voyage.
dvdfr - Quelle est votre politique d’élaboration du contenu, au niveau des films ?
Renaud Delourme - Pour les films récents, il est évident que la marché de la
vidéo réfléchit souvent la carrière des oeuvres en salle, comme ce fut le cas de
Himalaya, l’enfance d’un chef. Ces titres demandent une forte attention au niveau des suppléments,
pour enrichir le plaisir du visionnement des spectateurs et cinéphiles. Ce n’est pas
nécessaire d’offrir de suppléments sur tous les films : parfois, la renommée d’un titre
est suffisante. C’est le cas de certains RKO. En revanche, chaque classique fait l’objet
d’un travail de restauration du son et de l’image. C’est la condition essentielle pour
les sortir en DVD.
dvdfr - Parlons justement de la RKO. Cette Major n’existe plus depuis longtemps. Qui
en détient donc les droits ?
Renaud Delourme - Ted Turner. La société Ariès dispose des droits en langue française.
Nous sommes mandatés pour exploiter ces films en vidéo, mais nous ne sommes pas propriétaires
des droits physiques.
dvdfr - Est-ce que cela signifie que Ted Turner ou Ariès exercent une sorte de
contrôle artistique sur vos rééditions ?
Renaud Delourme - Non. Nous contrôlons au 100% ces rééditions RKO. Nous allons
sortir en DVD une trentaine de nouveaux titres RKO d’ici juin. Nous sommes historiquement
le premier éditeur vidéo à avoir concentré de gros efforts sur le cinéma classique. C’est
une sorte de déclaration d’amour envers le 7ème Art,
qui requiert souvent un travail d’orfèvre et beaucoup de sensibilité. Lors de la
restauration des « Enfants du paradis », nous avions travaillé avec Marcel Carné - qui
était encore vivant - et avec de célèbres historiens et critiques de cinéma, tels que
Serge Bromberg (qui est associé à l’élaboration des rééditions des RKO en DVD) et Jacques
Siclier. Notre édition VHS des « Enfants du paradis » était une petite merveille.
Malheureusement, nos droits sont arrivés à terme, et nous n’avons pas pu l’éditer en DVD.
dvdfr - Editions Montparnasse sort aujourd’hui en DVD une édition de toute beauté
de Citizen Kane. Les vidéophiles de la première heure se rappellent
toujours des contenus formidables de l’édition LaserDisc de Criterion. Avez-vous essayé
de racheter les droits de leurs suppléments ?
Renaud Delourme - L’ampleur du marché américain est beaucoup plus importante que
celle de la France, ou des autres pays européen. Un éditeur nord-américain peut donc
miser sur une certaine masse de ventes, et procéder à des investissements que l’étroitesse
de nos marchés nous permet difficilement d’atteindre. Criterion avait négocié les droits
U.S. des contenus de Citizen Kane. La négociation de ces droits pour
l’Europe aurait été très longue. Il est donc légitime de se poser la question combien
de temps il aurait fallu attendre.
Citizen Kane a été un projet très long, qui nous a occupés pendant 1
an et demi. Nous avons d’abord investi au niveau de la restauration de l’image et du son.
Nous avons ensuite visionné plusieurs documentaires, avant de retenir « Image par image »,
qui offre des clés de lecture très intéressantes. Nous avons aussi produit un court
documentaire sur le contexte historique de Citizen Kane, et nous avons
préparé un site Web, qui sera en ligne le 23
novembre, et qui constitue le point de départ pour offrir par la suite des informations
ponctuelles sur les films de la RKO.
dvdfr - Combien coûte la restauration image+son d’un film classique ?
Renaud Delourme - Entre 25 et 30.000 francs, auxquels il faut ajouter tous les
autres frais liés à l’authoring et à la conception d’un DVD. Chaque DVD RKO est
systématiquement restauré. Cela représente un investissement important pour nous,
si vous comptez que le coût pour une VHS était de 2.500 francs. Nous devons maintenant
prendre une décision importante pour l’un de nos titres à venir (« Crossfire » - N.d.A.),
car les coûts de restauration s’élèveraient à 35.000 francs…
dvdfr - Il y a un autre classique « maudit » de Orson Welles acclamé par les
cinéphiles : « La splendeur des Amberson ». Le premier montage de Welles fut brûlé par la
RKO. Dans son LaserDisc, Criterion avait essayé de reconstituer la vision d’Orson Welles,
en se servant de story-boards, photos de tournage, et quelques bribes d’extraits qui
avaient survécu. Vous ne trouvez pas que le DVD est le support idéal pour éditer une
telle opération ?
Renaud Delourme - Ah, on pourrait discuter pendant des heures sur « La splendeur
des Amberson »… Mais la sortie d’un tel film se heurte à de nombreuses contraintes.
Tout d’abord, le film n’a jamais eu une carrière satisfaisante en France. On en sait
quelque chose, nous l’avons sorti en VHS. Il y a donc le risque financier de concentrer
de gros efforts sur un titre qui pourrait se limiter à de ventes fort limitées.
Malheureusement, la taille de notre société nous oblige à tenir compte de ce facteur.
Ensuite, le niveau d’interactivité que vous proposez nécessite un long travail et
des énormes compétences autour de ce film. En même temps, « La splendeur des Amberson »
est l’un des films-cultes de plusieurs cinéphiles, et il a donc du potentiel. Nous en
avons discuté à plusieurs reprises, et nous n’avons pris aucune décision. L’idéal
serait sans doute de s’associer à plusieurs autour de cette oeuvre, pour partager
les coûts et les risques…
dvdfr - Revenons maintenant au présent. Quels sont les autres orientations des
Editions Montparnasse pour les mois à venir ?
Renaud Delourme - Nous allons continuer à éditer des films contemporains.
Nous travaillons notamment sur le film-TV britannique « Warriors », qui sortira en
avril 2001 dans sa version longue de 3 heures. Parallèlement, nous éditerons en DVD
plusieurs documentaires, et des programmes pour les enfants.
Nous sommes les propriétaires d’environ 50 heures de documentaires. En même temps,
nous intervenons en amont avec les producteurs de quelques films français (ce fut le
cas de Himalaya, l’enfance d’un chef, et surtout Microcosmos - Le Peuple de l’herbe). Nous croyons au projet
lorsqu’il est encore en phase d’écriture. Ensuite, comme les producteurs, on croise
les doigts, et on attend le verdict des salles !