Réalisé par Ethan Coen
Avec
George Clooney, Catherine Zeta-Jones et Geoffrey Rush
Édité par Universal Pictures Home Entertainment
« Intolérable Cruauté » est certainement le film le plus
audacieux que les frères Coen aient tenté. Tout simplement
parce qu’il correspond peu à leur style, s’éloigne de leur
personnages et intrigues habituels pour s’aventurer aux
entournures sur le terrain des films commerciaux. Ca y est,
c’est dit ! Oui… frérot et frérot ont cédé aux sirènes
hollywoodiennes. Celles qui leur murmuraient à l’oreille,
depuis un certains temps, de rentrer dans le rang, de
raconter des histoires moins compliquées, moins décalées,
moins déjantées qu’à leur habitude et d’illustrer leur propos
par la présence de stars « incontournables » (comprenez
« bankable »). De celles dont il suffit d’agiter le nom pour
voir rappliquer les millions. George Clooney et Catherine
Zeta-Jones… de la star bien vogue « top fashion » dont la
seule présence suffit à secouer le Box Office comme un
vulgaire prunier. Avec deux stars de ce calibre, tout ratage
est improbable si ce n’est impossible !!! Les Coen
sont-il pour autant devenu les rois du Blockbuster ?
Loin s’en faut puisque les frères, incorrigibles garnements,
n’ont pu s’empêcher de pervertir le conte de fées et de le
transformer en fable cynique sur la Vie, l’Amour et le
Monde.
Taillé (en apparence) comme un vaudevillesque mélo,
« Intolérable Cruauté » doit avant tout à l’interprétation
cabotine d’un George Clooney prêt à toutes les frasques et
d’une Catherine Zeta-Jones plus ravissante que jamais. Autour
d’eux, pléthore de personnages excentriques habités par la
fine fleur des comédiens américains. De ceux qui soignent
leurs apparitions tels que le protéiforme Billy Bob Thornton
ici incarnant un Texan benêt et gouailleur ou encore le
mésestimé Geoffroy Rush que le rôle de producteur de télé
(réalité) cocufié puis ruiné par sa femme n’a pas le moins du
monde effrayé. Enfin, à saluer chapeau très bas la
performance de Tom Aldredge alias Herb Myerson, mémorable (le
mot est faible) en patron du cabinet d’avocat déifié ou
plutôt diabolisé par ses subalternes. Ajoutez à cela
l’immense talent des frères Coen pour filmer ces artistes
dans les postures les plus incongrues au service de dialogues
farfelues et de situations inattendues et vous voilà entrés
dans le coeur du réacteur. La machinerie Coen dans ce qu’elle
a de plus géniale. Surprendre en racontant ce que jamais
personne n’a raconté, c’est bien là leur spécificité.
Arizona Junior, Barton
Fink, The Big Lebowski,… n’ont eu à ce jour d’autres
échos que le leur. Inimitables, infalsifiables, personne n’a
à ce jour osé pillé dans l’imagerie des Coen. Pourquoi ?
Parce que ce serait comme piller dans l’imagerie d’un Woody
Allen. C’est invendable et surtout inutilisable si on ne fait
pas un film de ou sur Woody Allen.
La comparaison n’est pas anodine d’ailleurs. Comme Allen, la
vision des Coen est européenne. Comme Allen, les sujets sont
psychanalytiques. Comme Allen, le niveau du propos est élevé.
Comme Allen, les frères ont souvent été sévèrement
sanctionnés… par le public jamais par la critique. Un Coen
est une marque déposée garante d’un cinéma d’auteur à
plusieurs niveaux de lectures. Allen / Coen même
combat ? Pas vraiment car si Allen tourne autour d’un
univers parfaitement balisé, les Coen explorent constamment
de nouveau genre, de nouveaux styles et de nouveaux sujets.
Mais à la comédie romantique, ils ne se sont encore jamais
essayés et ne sont pas prêt de le faire. En effet,
« Intolérable Cruauté » est tout sauf une comédie romantique
contrairement à ce qu’il y paraît. D’abord parce qu’il ne
peut y avoir d’issue heureuse… impossible d’y apposer le
fameux happy End. Pensez à l’accroche française parfaitement
justifiée « avant toutes choses, neutraliser l’ennemi ». Pour
une fois, les as du marketing ont tout compris, nous allons
nous intéresser à deux prédateurs. Le Lion et la Panthère
dont la coexistence pacifique est hors de portée, à fortiori
celle amoureuse… on se chamaille, on se piétine, on cherche
qui sera le « dindon de la farce » mais en aucune manière, on
ne cherche en l’autre l’âme soeur !!! Trop avides, trop
roués, trop carnassiers pour cela. Puis vient l’intrigue qui
confirme nos soupçons : l’arnaque à grand échelle, la
tentative de meurtre, le divorce à épisodes… tout ceci ne
s’arrêtera que par un soi-disant équilibre des fortunes. Ni
dupeur, ni dupé, les compteurs de nouveau à zéro… les
belligérants sont prêts aussitôt à recommencer !
Mais alors, dans quelle catégorie classer « Intolérable
Cruauté » ? Comédie dramatique me semble tout à fait
approprié compte tenu du traitement et du sujet. « Intolérable
Cruauté » est une satire du début jusquà la fin. Et les Coen,
pamphlétaires obstinés, ont ingénieusement choisi la romance
pour mieux faire passer le message. Mais derrière ce
déballage de bons sentiments se cache une violente diatribe
sur les rapports humains. Derrière l’Amour,
l’Argent… derrière la romance, une émission de télé
réalité… Première séquence, le producteur télé qui
introduit le propos. On va parler tromperie, trahison et
divorce. Gus petch, « ass nailer » (comprenez niqueur de
fessiers en traduction française non édulcorée), filmera
caméra à l’épaule la trahison de Rex Rexroth… une technique
utilisée largement par la télé réalité puis les débats devant
la Cour de Justice qui ne sont pas sans rappeler ces divorces
people qui alimentent les « Voici », « Paris-Match » et
autres littératures relais de la télé spectacle ! Le
mariage télévisé, le discours devant l’assemblée pour
terminer par un petit morceau de snuff movie (films dans
lequel la mort accidentelle ou provoquée du héros est filmée)
dans la gigantesque maison de Miles Massey. Le plan final est
sans équivoque… oui tout cela n’était qu’un jeu. Dans
« Intolérable Cruauté », de l’Amour mais pas de Hasard, juste
les pièces rutilantes disposées sur un grand échiquier où
chaque coup décide du destin d’autrui.
Aucun altruisme pourtant. Bien au contraire, l’ego est une
fin ; ne jamais être « le dindon de la farce ».
L’accepter sonnerait la fin de partie et la mort du faible
impardonnable pour cette lâcheté. Y a-t-il vision plus
cynique ? Point d’Amour en ce monde, point de sincérité,
uniquement des cibles et des prédateurs. Commercial, vous
avez bien dit commercial???… peut-être mais ce n’est que le
premier niveau de lecture. Pour celui qui regarde au-delà de
la surface, « Intolérable Cruauté » dessine une intolérable
vérité. Celle de l’avidité mesquine du genre humain qui
spolie les faibles et récompense les forts. Dialogues
brillants, portraits cinglants, narration visionnaire… les
Coen ont été une fois de plus très inspirés. « Intolérable
Cruauté » est un pernicieux délice à savourer…
Edition simple DVD pour un film de ce calibre. La timidité de
l’éditeur sur ce titre est décidément incompréhensible à
moins qu’il n’ait délibérément eu envie de saboter sa sortie
vidéo. « Intolérable Cruauté » est une perle qui méritait un
autre écrin. L’explication du plantage commercial ne peut
même pas être avancée lorsqu’on sait que « Intolérable
Cruauté » a franchi haut la main la barre des 1,2 millions
d’entrées cinéma et qu’il constitue avec
O’Brother l’un des plus beaux cartons des frères
Coen au Box Office français.
Packaging à petit budget et suppléments bas de plafond, voilà
tout ce que l’éditeur a trouvé pour mettre « Intolérable
Cruauté » en valeur ! Une Honte !!! L’image et le
son ont, eux, bénéficié d’un traitement beaucoup plus
sérieux, ce qui nous soulage d’un doute affreux. Quand
l’éditeur veut, il peut !!! Alors pourquoi n’avoir pas
voulu faire de l’édition d’ « Intolérable Cruauté » un DVD
d’exception ??? D’autant plus qu’il y avait
matière…
Vous aurez, malgré tout, droit à la petite introduction avec
animation, image du film et musique signée Carter Burwell
(compositeur officiel des frères Coen). Entre chaque menu,
une transition différente et cette même musique qui rappelle
les variations irrévérencieuses du célébrissime thème de la
Panthère Rose. Une bien agréable bouée dans cet océan de
déception que l’on doit à un sursaut de lucidité de la part
de l’éditeur. Rappelons que cette édition contient un film
très réussi des frères Coen… il était grand temps, par cette
trop discrète attention, de le signaler !!!
Une featurette commerciale, 1 mini-sujet sur la garde-robe et
un bêtisier… autrement dit rien de solide à se mettre sous
la dent. Obsédante question que de savoir ce qui a bien pu
piquer l’éditeur pour nous sortir une édition aussi peu
fournie ! Des frères Coen absents ou presque, une génèse
du projet à peine évoquée, une écriture dont on tait le
style, un tournage passé sous silence, des acteurs limités à
un simple travail de promotion. Tout se passe comme si les
Coen avaient eu honte de ce film et avaient demandé aux
acteurs et producteurs de faire le moins de bruit possible
pour accompagner sa sortie en DVD. Une théorie du complot
mystérieusement séduisante mais sans doute démesurée par
rapport à ce qu’est la réalité ; un manque d’effort
évident de la part des producteurs pour fournir à l’édition
DVD des suppléments intéressants. Attention ! Trou
noir…
Coulisses du film (11’38 - VOST)
La sacro-sainte featurette comme en voit des milliers, des
millions, des milliards… enfin trop… tellement qu’on finit
par en connaître les codes par coeur et que l’on peut
immédiatement percevoir dès les premières secondes si l’on va
en retirer un petit quelque chose ou si l’on va s’ennuyer
ferme ! Ici… pas de doute, c’est une traversée du
désert en première classe. Vous n’apprendrez rien de
rien ! Tout le monde était excité à l’idée de faire le
film, on s’est choisi, on s’est aimé, on a adoré travailler
ensemble… tout ceci entrecoupé d’extraits et de furtives
images de tournage sans oublier la présence subliminale des
frères Coen, peu bavards mais ça on le savait d’avance. C’est
un traditionnelle séance de léchage de bottes (comme seule
Hollywood sait nous les mitonner), indispensable aux acteurs
pour se recaser, nécessaire aux réalisateurs pour se faire
apprécier, chère aux producteurs pour améliorer leur image et
accueillir de nouveaux projets. Et le spectateur dans tout
cela ? Il attend 11’38 qu’on ait l’obligeance de bien
vouloir finir de se congratuler pour parler du film et de sa
matière. Une attente obstinément contrariée !!!
La Garde Robe (5’09 - VOST)
Le chef d’oeuvre !!! La Palme des
bonus… incontestablement ! La garde robe consiste en 1
mini sujet sur les costumes créés pour le tournage du film.
Même si ce n’est pas forcément la première chose qui vienne à
l’esprit concernant « Intolérable Cruauté », on était en
droit d’attendre un sujet sérieux avec modélisation, extraits
des films de référence, cahier des charges des Coen… bref
une démonstration de la manière dont les costumes
contribuaient à l’atmosphère hautement stylisée du film. Mais
encore une fois, l’éditeur s’empresse de ficeler un
mini-reportages vidéo des plus grotesques qui évite
soigneusement de traiter le sujet et se contente d’enfoncer
des portes ouvertes. Franchement, a-t-on besoin de la chef
costumière pour nous dire que le costume de George Clooney
est taillé sur le modèle de ceux de Cary Grant ? Si oui,
le reportage vous intéressera peut-être. Si non, zappez ces 5
minutes insupportables.
Le Bêtisier
Là aussi ! C’est un peu le passage obligé de toute
comédie hollywoodienne qui se respecte !!! Celui-ci
n’est ni pire ni meilleur qu’un autre. Il est tout simplement
dispensable compte tenu du peu de gaffes drôles. Ce bêtisier
comprend 4 sous-menus. Chaque sous-menu regroupe les gaffes
d’un acteur en particulier.
- Tout le monde mange des baies (1’19 VOST) : la même
phrase inlassablement répétée pendant
1’19… fatigant !
- George Clooney (1’28 VOST) : Un George Clooney dans
ses oeuvres à ne pas manquer
- Catherine Zeta-Jones (56” VOST) : moins drôle que
celui de George Clooney mais drôle quand même
- Film Amateur de Rex Rexroth (3’23 VOST) : inutile
voire incompréhensible. L’éditeur s’est-il trompé de
section ?
Pas la moindre bande-annonce, ni le moindre spot télé… c’est
fâcheux mais que voulez-vous, c’est l’ « Intolérable Cruauté »
de la vie !!!
Très belle image, magnifiquement contrastée, légèrement
saturée pour discrètement valoriser l’utilisation de filtres.
Les Coen peu habitués à des teintes aussi aseptisés livrent
un travail différent de ce qu’ils ont coutûme de montrer. Un
travail sur l’image dans la lignée de
Miller’s Crossing mais en moins sombre. La
compression et la netteté, tout comme sur le DVD de
Miller’s Crossing, suivent sans jamais faire défaut
ni à l’ambiance ni aux lumières, ni même aux couleurs
utilisées.
Toutefois, il est quand même important de signaler que la
difficulté dans le transfert est ici très nettement atténuée.
On se souvient des tons écrus de
Fargo ou bien du Noir & Blanc
richement habillé de The Barber qui
avaient nécessité un travail de restitution amplement plus
fastidieux. Ici, les filtres tamisent très souvent les
lumières qui ne cessent de donner plans après plans un
éclairage faussement romantique au film. Les acteurs, les
costumes et les décors font le reste. Par conséquent, pas de
vrai défi pour ce transfert vidéo.
Seule partie légèrement ardue : le chassé-croisé
nocturne dans l’appartement de Miles Massey mais le DVD s’en
sort admirablement tant dans la gestion des couleurs sombres
que dans celle de l’action. Sans être exceptionnelle par
définition, l’image sert ici très brillamment le propos. Ni
gels, ni pixellisations, ni arrière-plans imprécis. On n’en
demandait ni plus ni moins.
Carter Burwell signe (une fois de plus) une magnifique
bande-son décalée à souhait qui oscille entre variations saxo
type année 70 et thèmes mémorables de comédies marquées année
50. Entre Peter Sellers et Cary Grant, « Intolérable Cruauté »
trouve son style à la croisée des chemins. On imaginait mal
avant de l’entendre un tel mélange… et pourtant, le résulat
est assez époustouflant. Du Burwell pur sucre dont l’audace
est inhérente au style des frères Coen. Cette édition DVD lui
rend hommage en la répartissant avec homogénéité entre tous
les canaux.
Hé oui ! Là encore les frères Coen peuvent se targuer de
créer un précédent. Généralement, les comédies concentrent ce
qu’elles ont de partition musicale vers l’avant. Ici, ça
n’est pas le cas et c’est heureux. Mais présente ne veut pas
dire omniprésente, il reste de la place pour les bruitages et
les voix, claires et détachées. Des voix et des accents qui
(ne l’oublions pas) participent à la renommée et aux succès
des frères Coen. Comment oublier ici celui de Heinz, the
Baron Krauss von Espy ? Ou bien celui de Gus
Petch ? Ou encore celui de Weezy
Joe ? ? ?
Vous l’aurez compris ! Evitez à tout prix de regarder ce
film en VF ou vous perdrez la moitié de son intérêt. Le
doublage français est des plus médiocres avec des voix soit
outrancières, soit insipides… pas de juste milieu… et des
dialogues honteusement édulcorés (La France serait-elle
devenue subitement pudibonde ?). Seule solution pour
bien apprécier ce film la VO sous-titrée ou pas… puisque
vous avez le choix. Aucune différence majeure entre les
pistes proposées DTS ou Dolby Digital 5.1. Seul immense
regret… l’absence d’une piste DTS en anglais. Tant pis,
espérons que cela soit pour une prochaine édition largement
plus fournie.
Au programme ce soir, torture morale et guerre des
nerfs… excellente projection !!!