Beijing Bicycle

Beijing Bicycle (2001) : le test complet du DVD

Shiqi sui de dan che

Édition Collector

Réalisé par Wang Xiaoshuai
Avec Cui Lin, Li Bin et Zhou Xun

Édité par One Plus One

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Le 05/07/2004
Critique

Le Voleur de bicyclette, voilà la première chose qui vienne à l’esprit. Comme un héritage surgi du passé et dont la grandeur hante de temps à autres les oeuvres contemporaines. S’agit-il pour autant d’un plagiat ? Peut-être. Mais il est avant tout question de respect. Honorer la mémoire d’un chef d’oeuvre, c’est le faire revivre dans quantités d’oeuvres pour fuir l’oubli qui accompagne inexorablement la fuite en avant du temps. De Sica survit à travers les âges, emplissant « Beijing Bicycle » de son irréductible talent.

53 ans séparent les deux films et pourtant, la fable métaphorique n’a pas pris une ride. Sans doute parce que l’actualité l’y aide. Le sablier du temps a beau s’écouler, le refus du changement, la montée des inégalités ou encore la difficulté de l’existence persiste à régir le monde. Ce monde qui glorifie les riches, exploite les pauvres et cultive la lutte des classes avec un certain talent. Ce monde qu’une poignée de cinéastes (taxés de sociaux) fustigent à coups de scénettes pamphlétaires, de documentaires satiriques et de brûlots cinématographiques.

Xiaoshuai Wang est de ces cinéastes comme l’est Ken Loach et l’était De Sica. Notoirement désabusé, il porte un regard amer sur cette société chinoise qui se lance à corps perdu dans une course à la modernisation poussée en cela par l’économie de marché, la gadgétisation et l’influence venue d’Occident. Les jonques font places aux bateaux de plaisance, les maisons à des tours infernales, les temples à des supermarchés que des citoyens mutés en consommateurs vénèrent et révèrent. Après le Japon, c’est au tour de la Chine d’avoir honte de ce qu’elle était, de ses racines, de ses traditions, des ses ancêtres et de tout enfouir sous un amoncellement de modernisme déshumanisant.

Au coeur de cette nouvelle (r)évolution, les parvenus, riches de biens matériels mais pauvres de sentiments bienveillants. Ils sont les promoteurs d’un Avenir radieux qui délaisse le plus grand nombre pour ne se concentrer que sur une poignée d’élus. Le reste a le droit de les admirer en observateurs silencieux. Rendre le rêve accessible, faire croire à cette quête du bonheur, la machine est fort bien huilée. Elle fonctionne à plein régime depuis la nuit des temps. Les Temps modernes n’ont fait qu’accélérer le mouvement. Chaplin l’évoque, De Sica métaphorise et Wang le rappelle avec nostalgie, pudeur et raffinement.

Ce qui fait de « Beijing Bicycle » une oeuvre de coeur. Wang utilise son précieux matériau avec infiniment de précautions. D’abord, il le confie à de jeunes et admirables talents d’ailleurs récompensés et qui méritaient 100 fois de l’être tant leur jeunesse s’efface derrière la surprenante maturité et leur immense subtilité. Demeurer immobile à cet âge et faire passer par la voix du non-dit tant d’émotions et de sentiments force l’admiration. Un simple échange fût-il furtif de regards et le spectateur comprend toute la complexité du lien qui les unit et les désunit tout à la fois. 1 bicyclette pour 2 vies, unique véhicule de ces 2 existences.

Collision et affrontement sont fatals tout comme solidarité et amitié si tous les 2 veulent avancer. 53 ans après, la métaphore est toujours aussi vivace. la Chine en est l’exemple vivant. Qui mieux qu’elle donne toute son importance symbolique au vélo ? Il est, dans cette partie du monde, le mode de déplacement par excellence et symbolise encore aujourd’hui ce trait d’union entre riches et pauvres, parents et enfants, provinciaux et urbains. Tout le monde en Chine possède un vélo ! Que ce soit pour des raisons professionnelles ou extra professionnelles. Qui mieux qu’un réalisateur chinois pouvait comprendre la fable douloureuse signée De Sica et lui donner autant d’ampleur ?

Il est en Chine plus que partout ailleurs cet élément d’intégration qui efface les disparités. Sans lui, Guo n’aurait jamais rencontré Jian et Jian n’aurait jamais regardé Guo. Tous deux ne se seraient jamais télescopés, disputés, arrachés cet instrument suprême et ostentatoire d’une condition sociale. Pour l’un, il lui sera nécessaire pour travailler et ainsi subsister. Pour l’autre, il lui sera essentiel pour exister aux yeux de son père, de ses amis et de celles qu’il aime. Dans les deux cas, le vélo sert de catalyseur pour exister parmi les 1,5 milliards d’individus que comptent officieusement la Chine.

D’abord volée, puis vendue, puis à nouveau reprise pour être sauvagement récupérée, la bicyclette est le personnage central de ce road movie à travers les rue et les ruelles du Pékin contemporain. Du moins Xiaoshuai filme l’objet comme tel avec sa plastique, son esthétique mais aussi ses doutes, ses incartades et ses blessures. Filmer avant tout le héros (le vélo) puis s’intéresser à ceux qui se le disputent. Deux antagonistes dont les aspirations contraires vont brimbaler le véhicule, le carburant…en un mot le moyen pour arriver à leurs fins. Pudeur des images, retenu des sentiments. Le cinéaste filme les chevilles des femmes, travellings respectueux sur l’anatomie de celles que la tradition honore. Jamais il ne les dénudera !

Mais Xiaoshuai dénude à souhait cette bicyclette, la traînant dans la boue, dévoilant ses dessous avec force rage et perversion. Héroïne malheureuse soumise aux fantasmes de héros à la sexualité refoulée, elle subit les furieux assauts de ces deux amants jaloux, prêts à toutes les bassesses pour s’approprier la belle. Inserts ou très gros plans, selon si l’on personnifie cette bicyclette ou pas, exhibe son infortune sous toutes les coutures. Objet malgré elle d’un désir fougueux, d’une rivalité qui mène jusqu’au meurtre et à la mort.

Xioshuai capte ainsi l’essence de ce qui fait la grandeur du Le Voleur de bicyclette. Bien loin d’accomplir un remake, le cinéaste choisit de plonger avec finesse mais détermination au coeur de la métaphore. Ce faisant, il en accentue la portée philosophique pour la réadapter aux enjeux de l’actualité sociale. En changeant la lettre, le cinéaste garde ainsi l’esprit. « Beijing Bicycle » n’aurait pu être qu’une curiosité. Au lieu de cela, Xiaoshuai fait de son film une oeuvre indélébile tant par sa force d’évocation que par la puissance de son métaphorique développement. Le terme de grand film voire même de chef d’oeuvre convient ici parfaitement.

Présentation - 5,0 / 5

Edition simple sans être simpliste à l’image de la beauté plastique et philosophique de l’oeuvre. L’éditeur a cherché à satisfaire le dévédéphile dans tous les sens du terme. Malgré le manque de moyens évident (documentaires improvisés, absence d’un vrai making of, absence de matériel promotionnel…) les quelques suppléments respirent l’effort et agrémentent de manière appréciable l’édition DVD.

Le Packaging est, lui, plus douteux ! L’utilisation de couleurs pâles sans contrastes ni nuances rend les visuels fades et insipides. Rien dans ce packaging ne met en avant la richesse visuelle et narrative de « Beijing Bicycle », si ce n’est l’étalage des récompenses. Que dire de l’affiche ? Qu’elle semble à mille lieues de ce que l’on vient de voir. Peut-être aurait-il été judicieux de s’inspirer de celle du Le Voleur de bicyclette afin de montrer qu’on tient ici une oeuvre forte et non une pâle bluette sur la joie de vivre d’un adolescent ?

L’introduction des deux galettes dans le lecteur change heureusement de rythme avec pour le 1er DVD animations et extraits du films qu’accompagne l’enveloppante et vibrante musique de Wang Feng. Chaque menu est signalé par une magnifique transition suivie d’un morphing du plus bel effet. Le 2nd DVD, lui, nous gratifie de la musique provocante du court-métrage « 22 Yuan » de Du Jie, juste pour nous mettre à notre aise et nous préparer à une belle petite séance d’anticonformisme. Quant au transfert, il est le point fort du DVD…bref, l’éditeur signe avec le double DVD de « Beijing Bicycle » une édition sérieuse et talentueuse. On ne peut que souhaiter qu’il en soit de même pour les autres titres de sa collection ambitieusement nommée « Ciné Talents » .

Bonus - 5,0 / 5

1er DVD :
Même si l’ensemble manque d’ampleur et de moyens, on retiendra avant tout l’effort visible que l’éditeur a fourni. S’abstenant de nous gaver d’éléments commerciaux, One Plus One est parvenu tant bien que mal à ficeler des suppléments originaux. Bien évidemment, il manque quantités d’informations ; la genèse du projet, les conditions dans lesquelles le film a été tourné, l’interview du réalisateur, des acteurs, les conditions de diffusion du film, la liste est si longue qu’elle ne me permet pas ici d’être exhaustif. L’éditeur aurait tout de même pu quérir l’aide de quelques spécialistes aptes à commenter au moins les conditions de tournage et de diffusion. Où est également passé le documentaire lors de la présentation du film au Festival de Berlin 2001 ? Les efforts consentis en matière de suppléments sont tout de même un peu légers…


Comprendre le film (8’57 - VF)

Voilà un supplément original fort réjouissant. C’est le plat de résistance de la section des bonus. Sur un commentaire instructif et pertinent extrait d’un article du journal Le Monde (datant du 25 avril 2001) commis par notre confrère Jean-Michel Frodon, « Comprendre le film » revient sur une scène charnière. Le vol de la bicyclette de Guo devant l’Hôtel où il était censé porter une commission. Après avoir rapidement décortiqué les principales influences dont se nourrit le film, Frodon s’intéresse aux microcosmes présents dans « Beijing Bicycle ». Que ces microcosmes fussent nationaux, familiaux, amicaux ou groupusculaires, ils convergent tous vers un seul et même centre d’intérêt pour l’auteur : adopter un point de vue pessimiste et hyperréaliste en refusant toute caricature manichéenne. Frodon touche le coeur de l’oeuvre et signe de son style un documentaire particulièrement intéressant.

Court-métrage « Neige de Chine » (6’57)

C’est le cadeau bonus fort appréciable de la part d’un éditeur soucieux de faire plaisir. Le court-métrage présenté est un film d’animation qui donne 100 coups de pieds au Mulan de Walt Disney tant par son propos que par son originalité figurative. Pas de personnages grotesques type chiens, chats, souris ou dragonnet. Neige de Chine se concentre sur la portée légendaire et ancestrale du mythe plutôt que sur la débauche d’effets visuels accrocheurs. Une vraie réussite à voir absolument !

Le Vélo, emblème de Pékin / les Filmographies

Deux bonus particulièrement ratés qui n’ont pas leur place dans une édition haut de gamme. Leur immobilité, leur manque d’intérêt et par-dessus tout leur manque d’interactivité en font de pitoyables éléments servant à donner une impression de profusion. « Le Vélo, emblème de Pékin » demeure trop général pour susciter une quelconque attention. Quant aux filmographies, ça se déroule sur une musique d’ambiance mais ça ne concerne que 4 personnages et ça n’est pas franchement très excitant.

Bande-annonce (1’24)

Livrée avec une très belle qualité de son et d’image, cette bande-annonce est étonnante. D’abord parce qu’elle ne laisse entendre aucune réplique. Ensuite parce qu’elle n’exhibe aucun des thèmes forts traités par le film. Après l’affiche qui ne révèle rien, la bande-annonce qui ne montre rien. Difficile de ressentir quoi que ce soit après la vision d’une bande-annonce aussi peu révélatrice. Si cette bande-annonce a été diffusée dans les salles, on comprend mieux pourquoi le film n’a pas marché… 2ème DVD :
Le 2ème DVD rectifie nettement le tir avec l’intervention de la sinologue Luisa Prudentino, spécialiste ès cinéma chinois et auteur du « Regard des Ombres » aux Edition Bleu de Chine. Sinophile d’origine italienne, elle semble superviser pour l’éditeur cette collection de talents cinématographiques venus de Chine et nous invite non seulement à découvrir leur oeuvre mais aussi le parcours de ces artistes et leur histoire. Sa très grande connaissance de la culture, de la technique et de la situation sociale et politique nous est indispensable à mieux cerner les conditions dans lesquelles « Beijing Bicycle » et plus généralement les oeuvres indépendantes ont émergé. Il fait de cette édition DVD une édition réellement collector. A ne contourner sous aucun prétexte.

L’interview de Luisa Prudentino (13’36 - VF)

Que l’on pourrait aisément rebaptiser interview d’un puit de science. Clairement, posément avec beaucoup d’aisance et d’à propos, Luisa Prudentino remonte l’histoire du cinéma chinois, après avoir exposé les raisons de son coup de coeur pour le sinocinéma (en 1983, en Italie, lors de la grande rétrospective des films chinois des années 30 et 40 : l’Age d’Or). Puis, elle entreprend un éloge plutôt sobre du cinéma chinois réaliste et néo-réaliste, sans doute son courant favori. Un à un, elle décortiquera la signification des films de la collection « Ciné Talents » en explicitant la genèse, les enjeux, les séquences et même dans quel état d’esprit se trouvait leur auteur. On ne regrettera que deux choses. La première est qu’elle n’ait pas eu un appui plus important de l’illustration rendant interactif l’ensemble. Seuls les extraits de certains films cités émaillent très (trop) sporadiquement l’interview. La seconde est qu’elle n’ait pas eu un temps de parole beaucoup plus long. A la manière de Martin Scorcese, nous aurions pu avec Luisa Prudentino voyager dans les périodes du cinéma chinois. A quand cette perspective heureuse ???

La sélection de courts-métrages

Après une rapide présentation de chacun des courts-métrages par Luisa Prudentino (6’12), vous aurez le loisir de savourer leurs styles et leurs personnalités très différentes de l’un à l’autre. Seul point commun, ils sont les pièces éparses d’un seul et même puzzle : Le cinéma indépendant chinois. L’opportunité pour nous d’apprécier le visage protéiforme de cet autre cinéma incroyablement riche et délicieusement audacieux. 5 courts-métrages sont ici sélectionnés :

- « In Shanghaï » de Lou Ye (16’04 – VOST) : le plus onirique
- « Génica » de Chen Zhiheng (12’01 – VF) : le plus expérimental
- « Hot Summer » de Du Jie (8’36 – VOST) : le plus stupéfiant
- « 22 Yuan » de Du Jie (5’19 – VOST) : le plus irrévérencieux
- « Eleven » de Zhan Lu (14’42 – VOST) : le plus merveilleux

Pour ressentir davantage le bénéfice de ces courts-métrages, il est suggéré de regarder la présentation de Luisa Prudentino après les courts-métrages. Ainsi, il peut y avoir débat sur la signification et même approfondissement de ce que Luisa Prudentino a pu en conclure. Il faut reconnaître que 6’12 pour parler de 5 courts-métrages de ce niveau, c’est un véritable défi. Un minimum de 30 minutes eût été raisonnable compte tenu de la complexité et de la spécificité du court-métrage chinois qui ne ressemble à aucun autre court-métrage.

Image - 5,0 / 5

L’image n’est pas que belle. Elle est exceptionnelle. Finement piquée, remarquablement contrastée avec ce qu’il faut de couleurs pour lui donner vie et chaleur, l’éditeur s’est surpassé pour donner à « Beijing Bicycle » toutes ses chances en DVD. Netteté et fluidité sont également au rendez-vous, histoire de parachever l’ensemble et de réunir les conditions optimales afin de pleinement restituer la mosaïque d’ambiances uniques du film.

Les scènes de rues dans lesquelles les vélos se pressent roues contre roues dans un ralenti oppressant prennent une dimension onirique sous cette lumière à la fois claire et poussiéreuse. Les séquences de poursuites dans les ruelles, le clair obscur d’une nuit illuminée par les enseignes publicitaires, la débauche de détails dans la description luxueuse de l’Hôtel 5 étoiles, toutes ces ambiances sont rendues avec le même souci de personnalisation en leur offrant la compression et le transfert dont elles ont besoin.

One Plus One réussit son édition DVD en ne se satisfaisant pas de demi-teintes. L’éditeur prouve ici son respect et son attachement aussi bien à l’oeuvre qu’à l’auteur. Sans éloge surdimensionné, d’autres éditeurs ou apprentis éditeurs feraient bien de très rapidement s’en inspirer !!!

Son - 2,0 / 5

Feng Wang signe avec « Beijing Bicycle » sa première composition cinématographique. La maturité et la sensibilité qu’il instille nous font croire à autre chose qu’une simple chance du débutant. Wang engendre une partition musicale organique proche de l’état physique et psychologique des deux protagonistes. La musique s’anime lorsque les situations s’enveniment et s’essouffle à mesure que la pression retombe. Le thème est quant à lui envoûtant, résumant si parfaitement toute l’horreur et la beauté de l’histoire.

Inutile de chercher autre chose que de la VO. Ce sera VO ou VOST. Privilège du DVD oblige, vous aurez ce choix-là. En revanche, Stéréo sinon rien. Dommage ! Le film méritait au moins du Dolby Digital 5.1. L’éditeur, de ce côté-là, n’a fait aucun effort. Comment profiter pleinement de la si merveilleuse partition de Wang si le dévédéphile est privé du seul encodage digne de le lui permettre. La Stéréo, c’est un peu cours…et c’est aussi très loin du standard original prévu pour le support. Espérons que le reste de la collection bénéficie d’un bien meilleur traitement.

Néanmoins, vous pourrez apprécier l’honorable qualité de cet encodage stéréo. Même si l’admettre est une vraie souffrance. Ceux qui ont le matériel pour bénéficier d’un son simulé 3D auront un poil plus de chance que les autres. Ils entendront la partition de Wang faire miner de les envelopper. Mais il ne faudra pas vous attendre à des miracles en espérant obtenir les sensations d’un In the Mood for Love (pour citer un autre succès chinois). La Stéréo n’égalera jamais l’étendu des nuances du 5.1. A bon entendeur…


Excellente projection à toutes et tous…cette bicyclette pékinoise va vous emballer !!!

Configuration de test
  • Téléviseur 16/9 Rétroprojecteur Toshiba 43PH14P
  • Toshiba SD-330ES
  • Onkyo TX-DS797
  • système d'enceinte 5.1 Triangle