Médée (1969) : le test complet du DVD

Medea

Réalisé par Pier Paolo Pasolini
Avec Maria Callas, Massimo Girotti et Laurent Terzieff

Édité par Carlotta Films

Voir la fiche technique

Avatar Par
Le 20/11/2017
Critique

Médée

Dans la Grèce antique : Jason à la recherche de la toison d’or rencontre sur l’île de Colchide la magicienne Médée qui tombe amoureuse de lui au point de l’aider par tous les moyens à s’en emparer puis s’enfuit avec lui à Corinthe, où règne Créon. Considérée comme d’une race impure par les Grecs, cette ancienne prêtresse de rites archaïques est accueillie par la cour du roi avec un respect teinté d’inquiétude. Quelques années plus tard, Médée, à qui Jason a donné deux enfants, est délaissé par son époux qui lui préfère la fille du roi Créon. Elle offre à sa rivale une tunique meurtrière puis tue ses propres enfants avant de s’immoler par le feu.

Après deux premiers films « néo-réalistes » au ton fiévreux et déjà parfois hallucinés par une sorte de grâce esthétique, puis une vision admirable, universelle et primitive de L’Evangile selon St Matthieu (1964) qui avait suscité bien des discussions, Pier Paolo Pasolini avait adapté Edipo re (Oedipe Roi) (Ital. 1967) d’après la tragédie grecque de Sophocle avec l’actrice Silvana Mangano. Il avait ensuite donné ce qui est peut-être son chef-d’oeuvre, la fantastique et « contestataire » imagerie contemporaine de la grâce au sens théologique qu’était Teorema (Théorème) (Ital. 1968) encore avec Silvana Mangano. Medea (Médée) (Fr.-Ital.-All. 1969) de Pasolini poursuit ce brûlant dialogue entre le mythe archaïque, la religion évoluée et la rationalité moderne. Médée est d’ailleurs le dernier de cette noble série réflexive autant que purement dramatique de 1964 à 1969. Pasolini changera ensuite de registre pour s’intéresser dans sa « trilogie de la vie » (telle que Carlotta Films l’a définie !) à un érotisme soft laborieux sous couvert de contestation seventies puis à un curieux mélange de Sade et de république de Salo, qui n’avait satisfait ni les amateurs du Divin Marquis ni les historiens de la république fasciste en question qui, concernant ces derniers, préféraient de loin et avec raison le génial Il processo di Verona (Le procès de Vérone) (Ital. 1962) de Carlo Lizzani. Et son assassinat mettra un terme brutal à sa carrière.

Chant du cygne de cette période 1964-1969, Médée est tout, on vous prévient, sauf un « péplum » au sens classique du terme. Il n’appartient donc nullement au Second âge d’or du péplum italien (1952-1965) mais bien plutôt à un cinéma expérimental prenant pour thème un mythe grec primitif dont il ne retient que des fragments privilégiés. Sur Jason et la quête de la toison d’or, on en saura plus en visionnant les films de Pietro Francisci (1957) ou Don Chaffey (1963) que Médée. Si on veut s’en tenir à la seule biographie de Médée, très riche et complexe, le film de Pasolini est d’ailleurs biographiquement très lacunaire. Mais c’était déjà le cas des tragédies grecques et romaines d’Euripide, de Sénèque et des autres dramaturges qui ont tous privilégié cet épisode de la vengeance de Médée contre Jason. Pasolini a retenu des moments, des thèmes qu’il a voulu traiter à sa manière hiératique-charnelle, anti-narrative, réflexive et intuitive à la fois. Le personnage de Centaure pédagogue et ami interprété par Laurent Terzieff est à cet égard typique : il commente l’action et les sentiments de son élève Jason et devient en somme le miroir de sa conscience tout comme le miroir d’une conscience moderne interrogative sur le sens de son amour. Un centaure comme seul Pasolini pouvait l’inventer. Le fait même d’avoir donné le rôle de Médée à Maria Callas, la plus grande cantatrice du XXe siècle, est assez ironique : son rôle est en partie muet et c’est par son visage et ses yeux, bien davantage que par ses lèvres, que nous est prodiguée l’essence de son être, ses sentiments, sa position transgressive et emblématique. Le metteur en scène et son actrice ont réussit cette curieuse transmutation et le film en acquiert une authenticité soutenue par des seconds rôles majestueux comme le Créon joué par le grand Massimo Girotti, l’interprète de Visconti, de Freda, de Bava et de tant d’autres, récemment décédé. Ce jeu avec les apparences, avec le temps du récit et du mythe a une contrepartie gênante : il s’agit d’un film auquel celui qui ne connaît rien de la mythologie pourra être sensible s’il le reçoit tel quel. C’est sa force. Mais celui qui la connaît en comprendra mieux l’intrigue car il connaîtra déjà la totalité dont seuls des fragments sont ici restitués. Cette fragmentation volontaire faisant elle-même sens, la démarche peut-être considérée comme élitiste par rapport à celle d’un Ennio de Concini qui adaptait clairement les mythes d’une manière populaire.

Médée

Tel quel, ce poème cinématographique sur le thème mythologique de Médée se signale par des décors et des costumes aux antipodes de ceux vus dans les péplums classiques : Pasolini a voulu restituer une sobriété, un anti-spectaculaire documentaire. Le navire de Jason est un simple radeau et non plus une embarcation guidée par la sculpture de la tête de la déesse Héra à la proue comme chez Don Chaffey ou un vaste et efficace navire de guerre antique comme chez Pietro Francisci. Du point de vue mental, il l’a aussi voulu : le choeur antique nous est parfois restitué sous la forme des dialogues avec la nourrice. Ici on peut parler de volonté d’authenticité anthropologique, de respect absolu de la forme antique littéraire qui se veut révolutionnaire par rapport à la forme narrative traditionnelle des péplums classiques. Tout cela déconcertera le spectateur habitué à une fiction mise à jour mais ce rafraîchissement anti-spectaculaire produit parfois, heureusement, lui-même son aspect spectaculaire : voir les admirables plans d’ensemble des paysages méditerranéens grandioses où évoluent les protagonistes et ce rite sacrificiel primitif présidé par Médée au cours duquel un jeune homme est démembré, et aussi l’incendie final et le suicide de Créon.

Curieux mélange entre cinéma populaire et cinéma intellectuel dont la tension est maintenue par la grâce d’une mise en scène inspirée mais parfois au prix d’une certaine lenteur, de ruptures de ton gênantes qui s’inscrivent directement dans la volonté expérimentale pasolinienne de ces années-là. Pasolini comme romancier et scénariste est également passé par cette évolution qui l’a mené du néo-réalisme pur à la contestation esthétique et dramatique, comme en témoigne l’intéressant coffret réédité également par Carlotta - « Pasolini scénariste : Une Vie violente (Ital. 1962) de Paolo Heusch & Brunello Rondi suivi de Ostia (Ital. 1970) de Sergio Citti ». Médée se situe à l’intermédiaire de ces deux veines de départ et d’arrivée : il appartient à ce qu’on peut bel et bien nommer la grande période classique-expérimentale de Pasolini de 1964 à 1969. C’est cette période de Pasolini qui génère toute la fascination pour son esthétique sur le fil du rasoir, au sommet de sa puissance plastique et dramatique, avec ses imperfections agaçantes et revendiquées mais aussi son génie authentique.

Médée

Présentation - 4,0 / 5

Le menu principal en 16/9 découpé en 4 sections principales permettant de voir le film nu ou accompagné des « visions » textuelles de Pasolini signalées par un joli signe apparaissant sur le plan qu’elles concernent, un chapitrage : 5 x 3 + 1= 16 chapitres titrés sur 6 écrans et une bande-annonce de 2’30” environ en mauvais état chimique qui permet d’apprécier la restauration du film lui-même, par ailleurs excellente.

Bonus - 5,0 / 5

Comme d’habitude excellents et tous produits et réalisés par Allerton Films pour Carlotta Films, ils comprennent :
1) Le mythe de Jason et Médée : format 4/3, durée : 5’45” - ou l’historique de l’une des légendes les plus fascinantes de la mythologie grecque
2) Médée, le choc des cultures : 1.85 compatible 4/3, durée : 12’ - entretien avec Christophe Mileschi, traducteur et auteur de la préface du livre Médée de Pier Paolo Pasolini avec de nombreux documents intéressants.
3) Visions de la Médée : 1.85 compatible 4/3, durée : 26’39” - une vingtaine de « visions » sous la forme de lectures de texte de Pasolini disséminés dan le film, éclaircissant certains passages du film, apportant des informations sur le travail de Pasolini.
4) Médée passion : souvenirs d’un tournage : 4/3, durée 29’ - Documentaire inédit comprenant des images d’archives en Super 8mm, des photos de plateau jamais vues et des entretiens avec de nombreux collaborateurs du film : les acteurs Laurent Terzieff et Giuseppe Gentile, le chef-opérateur Ennio Guarnieri, le chef-décorateur Dante Ferretti, le responsable des costumes Pieto Tosi, le photographe de plateau Mario Tursi.
5) Scènes coupées : 1.85 compatible 4/3, durée 35’ à peu près - Une dizaine de scènes totalement inédites, supprimées par Pasolini lors du montage : sacrifices en Colchide, rites religieux, visions de l’enfance de Jason, rêves de Médée, fuite finale de Médée sur le char doré envoyé par le Soleil.

Image - 5,0 / 5

Splendide transfert 1.85 en 16/9 compatible 4/3 enrobé dans un coffret plastiquement très beau et sur des DVD magnifiquement sérigraphiés. Définition, luminosité, colorimétrie, contraste : tout est parfait ! Carlotta Films édite un master restauré, une copie chimique en très bon état. Le beau travail du directeur de la photographie Ennio Guarnieri et de son opérateur Sergio Salvati est magnifiquement restitué. C’est l’édition de référence définitive.

Son - 4,5 / 5

D.D.2.0 stéréo v.o.s.t.f. italienne mais pas de v.f. d’époque, et pour cause : elle n’a jamais existé. Le film n’avait été distribué chez nous le 30 janvier 1970 par la société Planfilm qu’en copie v.o.s.t.f. La piste est techniquement ancienne mais parfaitement nettoyée. À noter pour les mélomanes que la Callas ne chante pas dans cet unique film de fiction qu’elle interpréta.

Crédits images : ©1969 SNC. Tous droits réservés.

Configuration de test
  • Téléviseur 16/9 Panasonic FullHD
  • Sony BDP-5350
  • Ampli Sony
  • TEST EN RÉSOLUTION 1080p