Réalisé par William Karel
Édité par Éditions Montparnasse
« Le Monde selon Bush » est un remarquable travail d’enquête
qui s’appuie sur les recherches d’un journaliste sérieux qui
sait de quoi il parle et où fouiller. Fahrenheit 9/11
est un pamphlet très appuyé réalisé par une superstar de
l’altermondialisme qui sait utiliser les media et polémiquer.
Une fois la distinction faite, les deux films ont leur
utilité mais il est absurde voire insensé de vouloir l’un à
l’autre les comparer. D’abord parce qu’il n’ont pas la même
fonction. Celle du « Monde selon Bush » est d’informer en
posant les bonnes questions, en interrogeant l’entourage du
Président, en confrontant les analyses. Celle de
Fahrenheit 9/11 est de provoquer une réaction,
d’affirmer quitte à manipuler les images pour jouer avec les
sentiments du spectateur.
Ni Bien ni Mal dans tout cela. Juste deux méthodes
radicalement opposées qui semblent converger vers un seul et
même constat : tant que le Président Bush et ses
conseillers mènent les Etats-Unis, le Monde est en grand
danger. Là encore, deux hypothèses radicalement opposées.
Pour Michael Moore, le problème est George Bush Jr. en tant
que personne. Incapable, inculte, inapte à prendre la moindre
décision censée sur la base de ce qui est bon pour
l’Humanité, le Président Bush y est décrit comme un pitoyable
tyranneau que seul son compte en banque et ses résultats sur
le green inquiètent. Le film de William Karel, lui, nous
soumet un autre portrait. Celui d’une marionnette qui n’a
jamais connu autre chose que son Texas natal et remet entre
les mains de conseillers corrompus et malintentionnés
l’avenir du Monde.
Divergence dans la forme, divergence dans le fond. « Le Monde
selon Bush » et Fahrenheit 9/11 sont décidément bien
éloignés l’un de l’autre. Et Fahrenheit 9/11 de se
positionner comme un comédie dramatique tandis que « Le Monde
selon Bush » prend des accents de thriller politique. Dans
les deux cas, le portrait de ce drôle de chef du monde libre
fait froid dans le dos.
Avec toute la force du docu-drama, « Le Monde selon Bush »
oscille entre tragédie et tragicomédie en 3 actes et touche
du doigt ce qu’a pu être la politique extérieure des
Etats-Unis ces 4 dernières années. Avant le 11 septembre, le
Président Bush n’avait aucun programme. Après le 11
septembre, le voilà parti en croisade contre ce qu’il
appellera « l’Axe du Mal ». Un Axe qui coïncide bizarrement
avec ses convictions religieuses dans un premier temps, ses
intérêts financiers dans un deuxième temps et les intérêts de
ses investisseurs (l’Arabie Saoudite : premier
investisseurs aux Etats-Unis) dans un troisième temps.
Rigoureusement et très méticuleusement, le film de William
Karel dessine les contours d’un scénario de politique-fiction
encore plus terrifiant que s’il avait été écrit pour une
major hollywoodienne. De l’obsession à la manipulation en
passant par la corruption d’un gouvernement digne d’une »
république bananière » (telles sont les paroles d’un
ex-agent de la CIA) « Le Monde selon Bush » réunit tous les
ingrédients d’un film d’espionnage signé Tom Clancy. On
reprochera au documentaire de William Karel de ne pas
approfondir certaines questions brûlantes ; la connexion
des banques, le rôle véritables des princes saoudiens dans
l’invasion de l’Irak, la mise en scène du 11 septembre ou
encore les liens entre la famille Ben Laden et la famille
Bush. Mais l’absence de témoignages sérieux sur ces
différents sujets en sont la principale cause. Ce que William
Karel n’a pu vérifier n’a pas sa place dans « Le Monde selon
Bush ».
Interviewer absent, Karel se contente de recueillir les
informations de la bouche de proches collaborateurs du
Président Bush pour ensuite les recouper puis les monter.
L’objectif est de nous éclairer au fur et à mesure plus
précisément sur les véritables motivations du gouvernement
Bush et sur l’action menée. Seul le montage donne un sens aux
propos. Ni sous-titre, ni question insidieuse ni même un
quelconque commentaire. Le télescopage de ces différents
témoignages est l’unique matière première. Le reste est
laissé au seul jugement du spectateur afin qu’il retire de ce
documentaire la substantifique moelle. Une substantifique
moelle qui vaut largement qu’on s’y intéresse. Après tout, la
France, le Monde, l’Humanité sont concernés.
En l’espace d’1h30, le film de William Karel, remarquablement
documenté, réussit une fascinante immersion au coeur de la
politique américaine de ces 4 dernières années. D’autant plus
fascinante qu’elle nous amène à la conclusion suivante ;
Depuis le 11 septembre, le Monde a définitivement pris la
nationalité américaine. Bush est par conséquent devenu notre
Président qu’on le veuille ou non. Et cet Ubu des temps
modernes n’a pas fini de passer à la trappe les nations
souveraines du Monde. Que ce soit militairement,
politiquement ou bien encore économiquement…
« Le Monde selon Bush » est tout simplement un DVD exemplaire.
Pas un supplément qui ne manque ou ne soit inutile. 1h33 de
film suivi de 2h22 de compléments d’enquêtes servis par une
présentation à la fois sobre et élégante. Voilà une édition
qui n’en fait ni trop ni trop peu.
Côté compression, « Le Monde selon Bush » reste honorable
sans toutefois friser l’exploit. Les menus auraient sans
doute mérité d’être un peu mieux travaillés mais rien de
gênant compte tenu de la nature de l’oeuvre. Une fois encore,
l’ensemble respire l’abondance et le sérieux. Deux qualités
qui font de cette édition un collector d’exception.
Les efforts des Editions Montparnasse culminent ici avec pas
moins de 2h22 de suppléments. Du rarement vu pour un
film-documentaire qui légitime totalement cette ressortie en
grande pompe. Pour une meilleure lisibilité, ces suppléments
ont été scindés en 2 catégories : ceux qui ont servi à
la constitution du film documentaire et ceux qui prolongent
la réflexion en dressant un rapide portrait de ce qu’est
l’Amérique d’aujourd’hui. 2h22 qui vous tiendront eux aussi
en haleine tant le sujet est vaste et captivant.
« Autour du Monde selon Bush »
- Entretien avec William Karel et Jean-François Lepetit
(9’07 VF)
William Karel et Jean-François Lepetit s’attardent sur la
genèse du « Monde selon Bush ». Quelques anecdotes rapides
sur la préparation et le tournage tiendront lieu de making
of. On eût apprécié quelque chose d’un peu plus fouillé.
Néanmoins 9 minutes suffisent à esquisser l’état d’esprit
dans lequel ce remarquable film-documentaire a été
réalisé.
- La Dynastie tranquille de l’Amérique par Eric Laurent
(14’55 VF)
Voici celui dont les écrits ont largement inspiré « Le Monde
selon Bush ». Un homme posé, spécialiste de la question
américaine dont les révélations font l’objet d’une
argumentation construite. Lors de cette entretien, Eric
Laurent aborde une multitude d’éléments importants pour
comprendre qui est Bush et les raisons pour lesquelles il est
aujourd’hui Président. Passionnant !
- Entretien avec Robert C. Byrd, Doyen du Sénat des
Etats-Unis (environ 45’ VOST)
Robert C. Byrd n’est autre que l’homme qui a permis à George
Bush père de devenir Président des Etats-Unis. Aujourd’hui,
ce Républicain est l’un des plus farouches opposants à la
politique du Gouvernement de George Bush Jr. Il a prononcé
pas moins de 2 discours devant le Sénat afin de protester
publiquement contre le mépris et l’arrogance affiché d’un
Président qu’il qualifie d’ « ignorant ». Son témoignage a
été capital pour William Karel. L’occasion ici de découvrir
(à travers ses discours et un entretien privé) cet homme
intègre et courageux dont on ne parle jamais.
- Etats-Unis, état des Lieux, entretien avec Norman
Mailer (13’10 VOST)
Publiciste, essayiste, romancier, journaliste et même
cinéaste, Norman Mailer est l’un des intellectuels américains
les plus respectés dans le Monde. Son témoignage tout entier
est une charge contre l’Amérique de Bush et contre Bush
lui-même. William Karel le confiera lors de son entretien.
« Je crois que Norman Mailer va très loin dans ses propos
« mais Norman Mailer a connu et rêve encore d’une autre
Amérique. C’est ce qui rend son témoignage si engagé et si
instructif.
« Regards sur l’Amérique »
- Face à l’hyperpuissance par Hubert Védrine (13’56
VF)
Ministre des Affaires Etrangères de 1997 à 2002, Hubert
Védrine a eu maintes fois l’occasion de côtoyer la diplomatie
américaine non sans heurts, notamment sur la question de la
Politique Agricole Commune instituée par l’Union Européenne.
Il est par conséquent l’une des personnalités politiques les
mieux placées pour analyser la politique extérieure des
Etats-Unis. Mais l’entretien trop conventionnel a souvent
tendance à se perdre dans des considérations d’ordre général.
Dommage ! On eût souhaité un Hubert Védrine plus en
verve. Intéressant sans être à la hauteur de ce qu’on pouvait
espérer.
- L’Amérique religieuse par Jean-François Colosimo (13’06
VF)
Question essentielle que celle de la Religion. Sans une
lecture religieuse des Etats-Unis, il est impossible de
comprendre les mécanismes intrinsèques de ce pays pas si
atypique que cela au demeurant. Jean-François Colosimo,
éditeur, philosophe et spécialiste des sujets religieux nous
entraîne dans un décodage des moeurs
politicosocio-religieuses des Etats-Unis et nous révèle le
pourquoi de cette incompréhension fondamentale entre les
Américains et le reste du Monde. Un entretien à ne pas
rater.
- Tous Américains ? par Jean-Marie Colombani (12’45
VF)
Jean-Marie Colombani, Directeur du journal « Le Monde »,
revient sur son éditorial paru le 13 septembre 2001 dans
lequel il affirmait la solidarité de la France et des
Français avec l’Amérique. « Tous Américains » titrait-il en
référence au « tous Berlinois » du Président Kennedy.
L’époque était alors au choc et au deuil. 3 ans après, il est
édifiant de voir combien l’état d’esprit a pu évolué et
l’analyse porté sur ce même événement aussi. D’où une remise
en question du « Tous Américains » par un Jean-Marie
Colombani critique et autocritique.
- Intervention de Dominique de Villepin au Nations Unies
(14 février 2003) (16’09 VF)
Le 14 février 2003, Dominique de Villepin alors Ministre des
Affaires Etrangères s’adresse à l’ONU pour favoriser la voie
diplomatique et empêcher une intervention militaire en Irak.
Il exprime ainsi la position claire et courageuse de la
France en refusant l’invasion injustifiée d’un pays
souverain, laïque, autrefois l’alliée des Etats-Unis.
Malgré les efforts de l’éditeur, l’image demeure le point
faible de ce film-documentaire. Tourné en vidéo, certaines
séquences alternent entre sous-exposition et sur-exposition.
Difficile de rendre hommage à l’étalonnage qui montre bien
trop rapidement ses limites et se contente d’une
homogénéisation de surface. Résultat visible : une image
falote, imprécise à la colorimétrie douteuse.
Certes, captivé par le propos, bien peu d’entre vous
prêteront attention à l’image mais cela fait aussi partie
intégrante du film-documentaire. Une image d’une meilleure
qualité aurait été plus digne de cette très belle édition
collector jusque là irréprochable.
Côté son, on n’attendait aucun miracle. Et pourtant la qualité
est au rendez-vous. Les témoignages sont clairs, les
illustrations musicales angoissantes. Quant aux images
d’archives, elles font preuves d’un étonnant dynamisme, elles
qui d’habitude exhibe mollesse et grésillement.
On regrettera toutefois le choix de la stéréo. Le film
méritait, ne serait-ce que par respect pour les illustrations
musicales, du Dolby Surround voire du 5.1. Mais là encore,
c’est histoire de chipoter.
A noter que vous aurez le choix entre VF avec doublage des
interviews et VOST. L’éditeur aura ainsi tout prévu pour vous
faciliter la tâche et vous donner envie de voir ce
passionnant film-documentaire.
Excellent Thriller politique…en DVD !