Réalisé par Yves Robert
Avec
Philippe Noiret, Françoise Brion et Marlène Jobert
Édité par Gaumont
Alexandre, homme bon vivant et nonchalant, est cultivateur dans une ferme de la Beauce. Sa vie quotidienne est dirigée par La Grande, son ambitieuse et tyrannique épouse, qui le pousse à bout de force en lui imposant chaque jour une liste de travaux démesurée. Devenu brutalement veuf, il décide de se consacrer à sa grande passion : la paresse.
Allongé confortablement dans les champs, Alexandre parle à son chien : « Bouge pas comme ça, tu me fatigues. Toujours dans mes jambes, toujours à me renifler, à pousser du museau, à faire le guet. Oui. Je bouge, tu dors couché en rond, je m’arrête pour attendre, te voilà en arrêt à renifler le vent. Bouge pas comme ça, tu me fatigues, je te dis. Toi aussi, faut que tu remues, que tu cavales, mais qu’est-ce qu’ils ont tous ? On a le temps. Faut prendre son temps. Faut prendre le temps de prendre son temps. Comprends-tu ? Regarde-les, mais regarde-les donc : d’un bout du champ à l’autre, ils courent. Après quoi, je te le demande, hein ? Crevés comme moi, ils sont, le soir. Ils s’endorment fatigués et ils se réveillent plus fatigués encore. Et ça continue, et ça n’en finit pas de durer et d’être pareil. Pfff ! Y’a un moment, je sais pas, moi, mais je sais bien que c’est pas ça, quoi. Dis-donc, Chien, paraît qu’on condamne des gars aux travaux forcés. Je connais ça, les travaux forcés, pourtant j’ai rien fait, moi. Bouge pas comme ça, tu me fatigues, puis tu me rappelles quelqu’un. Dis donc, tu as déjà regardé une fleur de carotte ? Eh, tiens, bah regarde ça, ben tu vois, c’est ça la vie. Tiens, je m’en roule une, puis je vais me la faire moi-même, puis je vais prendre le temps de me la faire, puis je vais prendre le temps de me la fumer, puis je vais prendre le temps d’en profiter, et puis je vais prendre le temps…(bâillement)… ».
L’hymne à la fainéantise par excellence dans un monde qui allait être bouleversé par mai 68. Yves Robert, le spécialiste de la comédie tendre et poétique à la française signe un des plus beaux films des années soixante et offre à Philippe Noiret son premier rôle en vedette, mais également l’un de ses plus populaires. Alexandre, l’amoureux des choses simples, de la nature, d’une partie de billard, de la pèche, de son chien, se voit exploiter par sa femme de l’aube au coucher du soleil. Jusqu’au jour où…La magnifique partition de Vladimir Cosma et la voix d’Isabelle Aubret donnent le la. Aux côtés de Philippe Noiret, une bande de copains d’Yves Robert : Paul Le Person est l’élément perturbateur, Pierre Richard dans un de ses premiers rôles est déjà bondissant, Jean Carmet, Jean Saudray, chacun affronte le fléau « Alexandre » avant d’en adopter le mode de vie. Marlène Jobert promène son joli minois et révèle une énergie ainsi qu’un tempérament comiques.
Malgré les multiples rediffusions télévisées, Alexandre le bienheureux n’a rien perdu de son charme, la mise en scène et le traitement des couleurs renvoient souvent à la bande-dessinée, les gags burlesques et les répliques parfois lyriques s’enchainent comme des perles sur un collier. On en ressort toujours aussi ému et apaisé, avec la joie de vivre et l’envie de profiter de chaque instant à fond, de le vivre bien, sans se soucier du lendemain. C’est le cinéma d’Yves Robert, du cinéma humain qui s’adresse directement au coeur du spectateur, sans artifices et avec une immense sincérité.
De la jaquette en passant par l’élégance des menus et la restauration du film lui-même, saluons le travail de l’éditeur qui n’a pas son pareil pour offrir au spectateur un bel objet à ranger dans sa collection Gaumont Classique.
En plus de la bande-annonce d’époque, Gaumont et Dominique Maillet nous proposent un excellent documentaire rétrospectif sur Alexandre le bienheureux (1h11) croisant les témoignages des comédiens Pierre Richard, Marlène Jobert et Françoise Brion, Jean-Denis Robert (fils d’Yves Robert et assistant sur le film), Maurice Lamirault (fils des propriétaires de la ferme du film et figurant), André Legrand (figurant), Georges Casati (ami d’Yves Robert, assistant, producteur). Tous les aspects du film sont posément abordés (la genèse, le casting, les thèmes), les anecdotes de tournage abondent, quelques photos du tournage viennent illustrer les propos des intervenants.
Fort d’un master au format respecté 1.85 et d’une compression AVC, ce Blu-ray en met souvent plein les yeux dès le générique d’ouverture même si la mise en scène spontanée et les partis-pris esthétiques originaux occasionnent quelques sensibles pertes de la définition. La restauration est cependant étincelante, les contrastes d’une densité impressionnante, le bleu azur du ciel est constamment opposé à la nature verdoyante ou aux champs dorés, la copie est lumineuse. Si on excuse les menus décrochages et l’usage de stockshots visibles comme le nez au milieu de la figure, le bât blesse au niveau du grain original dont on aurait aimé retrouver la texture. Les puristes risquent de contester cette image trop lisse. Le reste du temps, les détails étonnent par leur précision, les gros plans sont sublimes et le piqué acéré.
La piste DTS-HD Master Audio mono 1.0 n’est certes pas exempt de saturations, résonances et de quelques répliques qui paraissent étouffées, mais le confort acoustique est suffisamment assuré. La magnifique musique de Vladimir Cosma est dynamique, aucun souffle n’est à déplorer, et les ambiances sont bien délivrées, même à volume peu élevé. Notons tout de même que certains échanges manquent d’homogénéité et quelques voix chuintantes nécessitent qu’on tende l’oreille. La propreté est de mise. L’éditeur joint également les sous-titres anglais et français destinés au public sourd et malentendant.