Voyage à Tokyo (1953) : le test complet du Blu-ray

Tokyo monogatari

Réalisé par Yasujiro Ozu
Avec Chishu Ryu, Chieko Higashiyama et Setsuko Hara

Édité par Carlotta Films

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Le 23/10/2013
Critique

Un couple âgé entreprend un voyage pour rendre visite à ses enfants. D’abord accueillis avec les égards qui leur sont dus, les parents s’avèrent bientôt dérangeants. Seule Noriko, la veuve de leur fils mort à la guerre, trouve du temps à leur consacrer. Les enfants, quant à eux, se cotisent pour leur offrir un séjour dans la station thermale d’Atami, loin de Tokyo…

Yasujiro Ozu (1903-1963), est considéré comme étant l’un des plus grands réalisateurs japonais de l’histoire du cinéma. Cadet d’une famille de cinq enfants, le cinéaste n’aura de cesse d’évoquer les thèmes de la relation parents-enfants, de la vieillesse, du fossé générationnel, de la fin des traditions et de l’inexorabilité du temps qui passe à travers sa filmographie, à l’instar du Fils unique, son premier film parlant réalisé en 1936, avec lequel le sublime Voyage à Tokyo, l’un si ce n’est le film le plus célèbre de son auteur, possède de nombreux points communs. Ce superbe drame qui a fait connaître le cinéaste en France une quinzaine d’années après sa mort, contient toute la thématique d’Ozu et demeure encore aujourd’hui son film le plus aimé et le plus admiré.

Là où Le Fils unique évoquait les rêves de jeunesse et les espoirs déçus, Voyage à Tokyo montre une famille dont les enfants issus de la campagne ont tous plus ou moins réussi à Tokyo. L’essor économique est là, les fils et les filles ont pris le train en marche, même s’ils ne roulent pas sur l’or. Leur père et leur mère, bientôt septuagénaires, leur rendent une petite visite, mais comprennent très vite que leurs enfants n’ont pas le temps de s’occuper d’eux ou simplement de leur parler puisque le devoir professionnel les accapare rapidement. Chacun tente de se renvoyer la balle en trouvant de nouvelles excuses, sans jamais culpabiliser ou éprouver de remords.

Contrairement au Fils unique, le rapport enfants-parents est double. Dans Voyage à Tokyo, il ne s’agit plus d’une mère veuve mais d’un couple allant sur ses vieux jours, tandis que les enfants semblent inéluctablement s’éloigner d’eux. Si la tradition de l’accueil est respectée, chacun semble préoccupé par ses affaires. Cette histoire sur la désintégration des liens familiaux et le récit de l’intime à portée universelle n’en finissent pas de subjuguer à chaque plan (au ras du tatami), chaque expression, chaque regard dirigé vers la caméra - spécialité du metteur en scène - comme si les personnages s’adressaient directement aux spectateurs, tout est incroyablement étudié et pensé, l’émotion s’égrenant lentement mais sûrement comme dans un sablier. La relation la plus belle et la plus bouleversante reste celle de la jeune bru veuve Noriko (superbe Setsuko Hara), la seule ayant gardé des liens très forts et un immense respect pour les parents de son mari décédé, dont la solitude renforce leur affection réciproque.

Avec son atmosphère néoréaliste, ses acteurs superbes, la beauté du cadre, sa mélancolie qui transperce le coeur, son humour parfois pince-sans-rire et son histoire entre résignation et amertume repoussant les limites de l’empathie, Voyage à Tokyo est une des oeuvres majuscules et fascinantes du cinéma japonais.

Présentation - 4,5 / 5

La sérigraphie du Blu-ray reprend le très beau visuel de la jaquette. Très élégante, celle-ci est glissée dans un boîtier classique de couleur noire. L’ensemble repose dans un surétui cartonné. Le menu principal est fixe et musical.

Bonus - 3,5 / 5

Carlotta reprend l’entièreté des suppléments qui étaient disponibles sur l’édition DVD du film sortie en 2007 :

Le supplément intitulé Récit de Tokyo (12’) est une illustration libre d’un texte de Kijû Yoshida, cinéaste, critique, metteur en scène d’opéras et auteur, tiré de son essai Ozu ou l’anti-cinéma, publié en 2004. Sur une voix-off quelque peu monotone, l’oeuvre de Yasujiro Ozu est pertinemment analysée et Voyage à Tokyo remis dans son contexte historique et cinématographique. Si l’on excepte quelques envolées inappropriées, la présentation de ce chef d’oeuvre dresse également un bon portrait d’un homme complexe, Ozu étant par exemple désappointé par le succès de son film et de l’émotion qu’il pouvait susciter ! C’est à partir de ce triomphe public que le cinéaste a décidé d’aller vers une épure encore plus radicale au risque de se mettre son public à dos. Quelques photos de tournage viennent illustrer l’ensemble.

D’un côté, les maîtres de conférences à l’Université Paris-Diderot et enseignants en sociologie du Japon, Paul Jobin et Kazuhiko Yatabe, et de l’autre l’enseignant et critique Charles Tesson, proposent une réflexion sur les domaines particuliers assignés aux personnages dans Voyage à Tokyo. Le module Jeux de rôles (27’) est tout d’abord introduit par la même voix-off que dans le précédent segment. Ensuite, la discussion tourne autour de la symbolique de Voyage à Tokyo et de l’exploration du noyau familial après le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale, thème universel à part entière. Le fond est également croisé avec la forme de manière concise et spontanée, tout comme le rapport d’Ozu avec ses personnages et donc les spectateurs.

Ne manquez pas le très beau documentaire Voyage dans le cinéma : Voyage à Tokyo (15’), qui propose un retour sur les lieux de tournage du film. Une présentatrice retrace la genèse, l’écriture du scénario et le tournage du film, tandis qu’un comparatif avant/après nous montre la transformation de Tokyo.

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce et les credits du Blu-ray.

Image - 3,5 / 5

Restauré 4K en 2011, le master HD de Voyage à Tokyo proposé par Carlotta dans son format 1.33 respecté apparaît bien équilibré, y compris sur les fondus. La copie est issue de celle remasterisée par la Shochiku, célèbre société de production cinématographique japonaise. Le grain est bien géré, les fourmillements limités grâce à un codec AVC d’excellente facture, tandis que les rayures, sautes, points et désaturations demeurent également restreints. Notons que certaines séquences brillent plus que d’autres avec des contrastes plus riches et solides, des noirs denses, une stabilité de mise, une propreté exemplaire, une clarté éblouissante, un piqué acéré et un relief indéniable. Si le N&B manque parfois de concision, l’homogénéité est de mise et le confort de visionnage largement assuré. Nous n’avions jamais vu Voyage à Tokyo dans d’aussi bonnes conditions techniques.

Son - 3,0 / 5

Si l’image a été solidement restaurée, la bande-son de Voyage à Tokyo demeure fragile. Les dialogues sont tantôt étouffés tantôt irritants pour les tympans, certains échanges sont presque inaudibles, la musique connaît des hauts et des bas au cours d’une même séquence, le souffle est omniprésent. Divers craquements et chuintements sont notables. Seule la version originale DTS-HD Master Audio 1.0 est disponible, mais la proposer dans cet écrin acoustique tient déjà véritablement du miracle.

Crédits images : © Shochiku Co., Ltd.

Configuration de test
  • Téléviseur 16/9 Sony LCD Bravia KDL-32W5710
  • Sony BDP-5350
  • Ampli Pioneer VSX-520
  • Kit enceintes/caisson Mosscade (configuration 5.1)
  • TEST EN RÉSOLUTION 1080p - Diagonale image 81 cm