Réalisé par Michelangelo Antonioni
Avec
Monica Vitti, Alain Delon et Francisco Rabal
Édité par Studiocanal
Pour éviter les ennuis d’argent et avoir une vie plus large, Vittoria, fille d’employés de condition modeste, a vécu pendant trois ans avec Ricardo, jeune attaché d’ambassade. Mais cette vie sans amour lasse la jeune femme, et malgré les supplications de Ricardo, elle rompt avec lui. Elle rencontre alors à la Bourse, où elle retrouve sa mère qui joue pour occuper ses loisirs, un jeune agent de change séduisant avec qui elle essaie de réapprendre à aimer. Mais le jeune homme va la décevoir et Vittoria va bientôt retrouver le goût amer de la solitude…
L’Eclipse est un film-charnière dans l’exceptionnelle filmographie du cinéaste Michelangelo Antonioni (1912-2007). En effet, ce huitième long métrage, réalisé au milieu de sa carrière et de sa propre vie, est aussi et surtout le dernier volet d’une trilogie consacrée à la crise du couple après L’Avventura (1960) et La Nuit (1961), tous ayant également comme point commun la présence de son égérie et compagne, la sublime Monica Vitti. Si Jeanne Moreau avait le rôle principal dans La Nuit, Monica Vitti tient le haut de l’affiche dans les deux autres.
En 1957, Le Cri, son premier chef-d’oeuvre réalisé en 1957, marquait une étape fondamentale dans le travail d’Antonioni qui tendait alors vers une épure, contrastant avec Femmes entre elles (1955) et ses précédents longs métrages. Trois ans plus tard, L’Avventura lui vaut les foudres de la critique malgré son Prix du jury obtenu au Festival de Cannes en 1960. L’Eclipse, son dernier film réalisé en N&B, décroche le Prix Spécial du Jury, ex aequo avec Le Procès de Jeanne d’Arc de Robert Bresson.
L’Eclipse raconte l’histoire d’amour impossible entre une femme, qui vient de rompre avec un homme plus âgé qu’elle (Francisco Rabal), qui tombe amoureuse d’un jeune agent de change - magnifique Alain Delon - bien plus intéressé par son boulot et le jonglage constant avec l’argent, que par cette possible relation. Quand il réalise qu’il l’aime et surtout que ce sentiment s’avère plus fort que sa passion pour la Bourse (où semble s’animer réellement les êtres), elle commence à se détourner de lui, peu certaine de se laisser emporter par ses sentiments.
Coécrit par Michelangelo Antonioni et Tonino Guerra, L’Eclipse est un film asséché, tourné dans un N&B magnifique, hypnotique et tranché réalisé par le chef opérateur Gianni Di Venanzo (Huit et demi, Main basse sur la ville), aux blancs brûlés, aux noirs profonds, dans des décors en pleine mutation, quasi-déshumanisés, où les personnages errent comme des zombies, sans véritable but, dans des rues désertées en plein milieu de l’été.
Quelle place peut donc avoir l’amour dans cet environnement en plein essor économique, où l’argent devient la source de toutes les convoitises ? Résumer le cinéma de Michelangelo Antonioni à la célèbre incommunicabilité des êtres est forcément réducteur puisque le thème principal à travers cette trilogie sur le couple est bien évidemment l’amour face au matérialisme du monde contemporain. C’est dans ce contexte économique et social, qui n’aura de cesse de s’accentuer, d’emmurer et de noyer ses protagonistes de film en film, de L’Avventura à L’Eclipse donc, qu’Antonioni s’interroge sur la valeur des sentiments les plus purs.
En allant encore plus loin dans l’abstraction, le cinéaste prend le risque de perdre les spectateurs, mais jamais son cinéma ne peut être considéré comme étant hermétique puisque les sujets abordés demeurent universels. Le travail sur les couleurs, ses décors linéaires, ses éclairages surexposés instaurent un climat de violence omniprésente qui joue sur les nerfs.
L’Eclipse, tout simplement celle de l’être humain et des sentiments, est sans nul doute une des oeuvres les plus difficiles d’accès de Michelangelo Antonioni. Mais derrière cette apparence que certains jugent toujours austère, le désir de survie et le besoin d’amour n’ont jamais été aussi vibrants chez le maître italien.
Le test du Blu-ray de L’Eclipse, édité par Studiocanal, a été réalisé sur un check-disc. Le film bénéficie d’un master HD restauré. Le menu principal est animé et musical.
Studiocanal livre un parfait complément à L’Eclipse avec une présentation du film réalisée par José Moure (26’), Maître de conférences à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et auteur du livre Michelangelo Antonioni, cinéaste de l’évidement (Editions L’Harmattan, 2003). Posément et avec une passion contagieuse, José Moure replace brillamment L’Eclipse dans la carrière et la vie de Michelangelo Antonioni. Les thèmes du film sont judicieusement abordés, le fond et la forme (travail sur le N&B) se croisent habilement, sans aucun temps mort ni redondance.
La restauration numérique de L’Eclipse s’avère très impressionnante. Le nouveau master HD (codec AVC) au format respecté se révèle extrêmement pointilleux en matière de piqué, de gestion de contrastes (noirs denses, blancs lumineux), de détails ciselés, de clarté et de relief. La propreté de la copie est souvent sidérante, la nouvelle profondeur de champ permet d’apprécier la composition des plans de Michelangelo Antonioni, la photo signée par le grand Gianni Di Venanzo (Juliette des esprits, Main basse sur la ville, Huit et demi) retrouve une nouvelle jeunesse doublée d’un superbe écrin, et le grain d’origine a heureusement été conservé. Seuls petits bémols, divers points et quelques griffures demeurent constatables, mais cela reste vraiment anecdotique, car ce Blu-ray est réellement élégant.
Comme pour l’image, le son a également un dépoussiérage de premier ordre. Résultat : aucun souci acoustique constaté sur ce mixage italien DTS-HD Master Audio 1.0, pas même un souffle parasite sur les nombreux silences. Le confort phonique de cette piste unique est total, les dialogues sont clairs et nets, même si les voix des comédiens, enregistrées en postsynchronisation, peuvent parfois saturer ou apparaître en léger décalage avec le mouvement des lèvres.
Crédits images : © Studiocanal