Terreur aveugle (1971) : le test complet du Blu-ray

See No Evil

Réalisé par Richard Fleischer
Avec Mia Farrow, Dorothy Alison et Robin Bailey

Édité par Carlotta Films

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Le 09/11/2016
Critique

Terreur aveugle

Angleterre, 1971. Parce que George Rexton a éclaboussé les bottes d’un psychopathe, ce dernier l’assassine lui, son épouse Betty et leur fille Sandy dans leur manoir luxueux. Par un concours de circonstances, la nièce de George et Betty, Sarah une jeune fille devenue aveugle à la suite d’un accident, en réchappe. Elle détient en outre, sans le savoir, la preuve permettant d”identifier l’auteur des meurtres. Ce dernier s’en rend compte et revient au manoir : elle lui échappe de justesse mais est blessée et isolée dans une campagne sauvage. Une course contre la montre et contre la mort est alors engagée, dont vont dépendre la survie de Sarah d’une part, l’identification et la neutralisation du tueur d’autre part.

Terreur aveugle (See No Evil / Blind Terror, GB 1971) de Richard Fleischer est à la fois un film noir policier, un thriller psychologique, un film d’horreur et d’épouvante. Sur le plan technique, Fleischer expérimente à nouveau une mise en scène, dont la base est solidement classique mais qui est modernisée par de souples travellings et de légers décadrages, des contre-plongées et des grands angles. Elle est parfaitement adaptée au scénario virtuose de Brian Clemens : l’oscillation entre terreur subjective (point de vue de Sarah) et objective (point de vue du spectateur) est constamment dialectique. Le spectateur a, comme chez Alfred Hitchcock, un temps d’avance sur les protagonistes mais Fleisher ne lui en laisse jamais longtemps le bénéfice : les retournements de situation et le suspense jouent avec les unités de lieux, de temps et d’action d’une manière acérée. Le montage de la musique sur l’image est, en outre, d’une précision remarquable.

Terreur aveugle

Terreur aveugle fut généralement incompris au moment de sa sortie : les critiques américains lui reprochaient l’absence de motivation claire du tueur et les critiques français n’y voyaient qu’une série B efficace confinant au produit de pure consommation. On pousse encore aujourd’hui aux USA l’aberration jusqu’à le comparer avec Seule dans la nuit (Wait Until Dark, 1967) de Terence Young qui n’avait que son argument (une femme aveugle en danger, jouée par Audrey Hepburn dans le film de Young) comme point commun avec lui, mais qui ressortait d’une toute autre conception esthétique et dramaturgique. Il suffisait pourtant de s’attacher à la filmographie de Fleischer pour saisir immédiatement le lien intrinsèque profond qui réunissait Terreur aveugle à L’Etrangleur de Boston (The Boston Strangler, 1968) d’une part, à L’Étrangleur de Rillington Place (10 Rillington Place, 1970) d’autre part. Cette trilogie qu’on peut aujourd’hui désigner comme sa  » trilogie psychopathologique  » correspond au sommet de l’art de Fleischer comme cinéaste, non seulement du point de vue technique mais aussi du point de vue métaphysique. Des trois titres, c’est même probablement Terreur aveugle qui pousse la logique du sujet dans ses derniers retranchements : la personnalité du tueur est constituée par une simple accumulation visuelle de signes mais demeure cependant mystérieuse, ontologiquement monstrueuse, totalement autre. Le sens du titre original See No Evil provient précisément de ce jeu de Fleischer avec les signes de la démence : l’ouverture du film les accumule volontairement pour le spectateur, et pour lui seulement. Les protagonistes ne  » voient  » la réalité, n’appréhendent la vérité du mal qu’au dernier moment, et souvent trop tard. Ils n’ont pas su voir le mal alors qu’il était sous leurs yeux. Des yeux que les cadavres conservent désormais ouverts sur une vérité dorénavant impossible à éclaircir tandis qu’une aveugle erre parmi eux durant une nuit entière.

Le génie de Fleischer dans Terreur aveugle est aussi d’avoir mis en scène la pulsion de mort de plusieurs manières. C’est elle qui est d’emblée l’objet de son génial générique d’ouverture, l’un des plus beaux jamais écrits et jamais filmés dans l’histoire du cinéma : révélation visuelle, muette, dénuée de dialogue, portée par la musique pléonastique composée par Berstein. Ce Fleischer très sadien dont l’action repose sur la souillure d’un fétiche (les bottes) joue d’ailleurs avec cette notion à plusieurs reprises durant le déroulement des faits : Mia Farrow se retrouve plus tard elle-même couverte de boue tandis que les bottes du tueur, d’abord souillées par de l’eau boueuse, le sont ensuite par du sang qu’il nettoie frénétiquement. Les animaux mêmes se retrouvent porteurs de souillures : le cheval monté par Mia Farrow est taché de sang alors qu’il n’est pas blessé. Finalement, c’est toute la société anglaise de 1970 qui se retrouve souillée en profondeur : inégalités sociales, racisme, incommunicabilité (le bar night-club où le tueur est absolument seul, ne parle à personne pendant que les filles se déhanchent avec obscénité) sont la toile de fond de ce cruel suspense parfois presque surréaliste (la nuit macabre passée par Sarah aux côtés de cadavres dont elle ignore encore la présence), à peine contrebalancée par la magnifique histoire d’amour que Fleischer prend soin d’inscrire en contrepoint, durant une scène au lyrisme somptueux, une chevauchée sans dialogue, elle non plus, où le visuel suffit à la révélation des sentiments de Sarah et Steve.

On aimerait savoir qui, de Fleisher ou de son scénariste Brian Clemens, a eu le premier la conception physique du tueur, lequel des deux a déterminé son casting ? Le personnage et la manière dont il est présenté en tant que coupable introduit une sorte de vertige, au moment où son identité est révélée, en raison du contrepoint évident entre son physique et ses actes. Cette fracture ontologique est un des éléments les plus forts du film.

Au total, ce thriller à l’écriture linéaire, si précise qu’elle semble en acier trempé, qu’est Terreur aveugle s’avère un film secret dont le thème lui-même est celui d’un insondable secret, par-delà les mots mais aussi par-delà les images. L’aporie du mal, dont Fleischer est un des très grands cinéastes, s’exprime peut-être dans la structure même du film. Au début, durant le premier plan, parmi les spectateurs qui sortent du cinéma en même temps que le tueur, aucun n’a conscience d’avoir vu le film à côté d’un tueur encore  » en puissance « , pas encore  » en acte « . Et à la fin, le dernier plan est celui des spectateurs fascinés et apeurés, tenus à distance et massés derrière une grille, par une nuit noire et obscure. L’ironie est discrète mais d’essence tragique. Eux non plus ne réussissent pas à apercevoir le mal dont ils connaissent à présent les effets mais pas la cause. Eux aussi sont terrorisés mais demeurent aveugles parce qu’ils n’ont pas vu ce que nous avons vu, ce que seule la mise en scène de Fleischer a donné à voir durant 89 minutes : à savoir, en dernière analyse, l’impossibilité de tout discours sur le mal, cette réalité positive subie, in fine, aussi bien par son agent (le tueur) que par ses patients (ses victimes). Le vertige scénaristique et plastique puis métapsychologique de Terreur aveugle débouche, on le voit, sur un vertige authentiquement métaphysique.

Terreur aveugle

Présentation - 3,0 / 5

Un Blu-ray BD-50, édité le 9 novembre 2016 par Carlotta Films en coffret ou à l’unité, disponible aussi en DVD. Durée du film : 89 minutes. Image au format respecté 1.85 couleurs, compatible 16/9. Son DTS HD Master Audio 1.0 en VOSTF ou VF d’époque, au choix. Le visuel de la jaquette reprend un fragment de plan utilisé par l’affiche originale. Suppléments : présentation, entretien, galerie photo, bande-annonce originale.

Bonus - 3,0 / 5

La présentation de Nicolas Saada est optionnelle avant que le film débute mais je conseille de ne la visionner qu’ensuite afin de bénéficier pleinement de la pertinence de certaines de ses remarques d’une part, de ne pas trop découvrir le film dont elle présente des extraits d’autre part. Elle est suivie au menu par un entretien avec le cinéaste Fabrice du Weltz sur les  » fulgurances physiques  » de la mise en scène de Fleischer et influence qu’elle a exercée sur un certain nombres de catégories de films, notamment les films noirs et les films fantastiques.

Vient ensuite une galerie de plusieurs dizaines de photos de plateau et de photos de tournage (couleurs et N&B) mais, malheureusement, aucun jeu complet de photos d’exploitation ni de lobby cards américaines : défaut auquel l’illustration de cet article remédie un peu. Bande-annonce originale américaine au format 1.66, en état chimique médiocre mais constituant un document d’histoire du cinéma de première main. L’ensemble constitue une honnête  » édition spéciale « .

Terreur aveugle

Image - 4,0 / 5

Format 1.85 couleurs, compatible 16/9. C’est une copie avec générique anglo-saxon et titre américain qui a été utilisée pour le télécinéma : elle a été très bien restaurée (peut-être retirée à partir du négatif) mais entre la 48ème et la 52ème minute environ, certains plans sont très légèrement voilés. Le reste est impeccable. Numérisation HD soignée, au format Blu-ray BD-50 1080 / 23.98p. Direction de la photographie signée Gerry Fisher, BSC, un des meilleurs directeurs de la photo anglais des années 1970. Les images du meurtre observé par le tueur sur une télévision à vendre dans une boutique, durant le générique d’ouverture, proviendraient non pas de la production Filmways qu’est La Guerre des bootleggers (The Moonshine War, 1970) de Richard Quine comme on pouvait le lire ici ou là autrefois mais d’une production Columbia : Le Jardin des tortures (Garden of Tortures, 1967) de Freddie Francis. Cela dit sous réserve de vérification vidéo car la brève séquence télédiffusée en question dure quelques secondes à peine, se retrouve en N&B sur le petit écran observé par le tueur (puisque nous somme en 1971 et que la TV en couleurs n’existe pas encore sauf dans quelques laboratoires scientifiques ou techniques mais pas encore en vente grand public) et elle est recadrée plein cadre 1.37 alors qu’il s’agit, dans les deux cas, d’écrans larges originaux (respectivement 2.35 et 1.85) et de films en couleurs.

Son - 5,0 / 5

Son mono anglais d’origine en VOSTF ou VF d’époque, au choix : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. Comme souvent, la dynamique et la précision des effets sonores sont supérieurs dans la VOSTF mais la VF d’époque est en très bon état elle aussi. Une des meilleures partitions composées par Elmer Berstein, notamment la musique du générique d’ouverture, admirablement montée sur les images.

Terreur aveugle

Crédits images : © Columbia Pictures

Configuration de test
  • Téléviseur 16/9 Panasonic FullHD
  • Sony BDP-5350
  • Ampli Sony
  • TEST EN RÉSOLUTION 1080p
Note du disque
Avis
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Terreur aveugle
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