Dodes'kaden (1970) : le test complet du Blu-ray

Dodesukaden

Réalisé par Akira Kurosawa
Avec Yoshikata Zushi, Junzaburo San et Hisashi Igawa

Édité par Wild Side Video

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Le 05/09/2017
Critique

Dodes'kaden

Rokuchan, un garçon intellectuellement retardé, passe ses journées à conduire un tramway imaginaire le long des allées d’un bidonville de la banlieue de Tokyo. Il traverse régulièrement une petite place sur laquelle les femmes viennent laver leur linge et faire des commentaires sur leurs voisins : un homme oisif qui force sa nièce à travailler jusqu’à l’épuisement pour payer sa lourde consommation de saké ; un autre qui vit reclus dans la carcasse d’une 2 CV avec son tout jeune fils chargé de mendier leur nourriture ; une jeune femme enceinte auprès de laquelle les hommes du quartier s’agglutinent alors que son mari s’occupe seul des cinq jeunes enfants. Et d’autres, encore, dont les chemins se croiseront peut-être…

Dodes’kaden, le bruit rythmique sur les rails du tramway de Rokuchan, est l’adaptation du roman Quartier sans saisons, écrit en 1962 par Shûgorô Yamamoto qui a souvent inspiré les cinéastes, notamment Akira Kurosawan, soit pour ses propres films, Sanjuro (Tsubaki Sanjûrô, 1962), puis Barberousse (Akahige, 1965), soit pour les scénarios qu’il a écrits pour d’autres réalisateurs, comme celui d’Après la pluie (Ame agaru), film magnifique réalisé en 1999 par Takashi Koizumi.

Dernier volet de la Tétralogie de la misère, après L’Ange ivre (Yoidore tenshi, 1948), Les Bas-fonds (Donzoko, 1957) et Barberousse (1965), Dodes’kaden marque la sortie d’une longue traversée du désert par Akira Kurosawa : l’échec commercial à l’exportation de Barberousseet sa tentative, soldée par un échec, de réaliser la partie, vue du côté japonais, de Tora! Tora! Tora!, puis de réaliser Runaway Train, les producteurs de Hollywood n’ayant pas répondu à ses exigences. Ces trois échecs ayant coupé ses sources de financement, il n’a plus réalisé un seul film pendant cinq ans. Dodes’kaden, le dernier de ses films produit par les Studios Tōhō, sera cofinancé par le Club des Quatre Chevaliers (Yonki no kai) fondé, avec trois de ses amis cinéastes, Keisuke Kinoshita, Masaki Kobayashi et Kon Ichikawa, et vite dissous après l’échec commercial du film.

Dodes'kaden

Dodes’kaden est un film étrange, une fusion entre réel et imaginaire. Le mendiant, pour donner de l’espoir à son fils construit dans sa tête, jour après jour, au sommet d’une colline verdoyante, la somptueuse villa qu’ils habiteront un jour. Et l’image mentale s’affiche sur l’écran, resplendissante. Rokuchan est le seul à voir son tramway, mais nous entendons les bruits causés par les gestes qu’il mime : le tintement des roues qu’il frappe avec un marteau imaginaire, le souffle de la fermeture pneumatique des portes…

Ce ne sont là que des lueurs bien vacillantes d’espoir dans une œuvre désespérée. On voit mal comment un seul de la vingtaine de personnages pourra sortir un jour du bidonville, une sorte d’espace clos dont on ne sort jamais. Sauf le temps d’une seule scène, quand le fils du mendiant va chercher de la nourriture dans les poubelles de la ville.

Dodes’kaden ne peut laisser indifférent. Par l’image qu’il donne de la misère, plus suggestive encore, par son réalisme, que celle qu’en avait donné Les Bas-fonds, dans une vision plus théâtrale. Par son originalité plastique et son utilisation audacieuse, très nouvelle, des couleurs primaires. Et aussi par sa poésie…

Dodes'kaden

Présentation - 5,0 / 5

Dodes’kaden (139 minutes) et ses suppléments (90 minutes) tiennent sur un Blu-ray double couche logé dans Digibook suivant la charte graphique des quatorze autres volumes de la collection Akira Kurosawa - Les années Tōhō. On trouve dans cette édition combo le film sur un DVD-9 avec, pour seul supplément, la bande-annonce.

Le menu animé et musical propose le film dans sa seule version originale, avec sous-titres optionnels, au format DTS-HD Master Audio 1.0 (DTS 1.0 sur le DVD).

Le livret de Christophe Champclaux (82 pages, richement illustré), un utile accompagnement du film, s’ouvre sur « le vrai tabou à l’écran » qui n’est pas le sexe (les réalisateurs américains ne se sont pas gênés pour titiller le code Hays au-delà de ses limites), mais l’exposition de la misère, car elle dérange et ne fait pas recette. Les œuvres sur la misère sont surtout réservées aux « ciné-clubs » comme Les Raisins de la colère (Grapes of Wrath) de John Ford, Terre sans pain (Las Hurdes) et Olvidados, Los de Luis Buñuel, Accatone de Pier Paolo Pasolini, Le Voleur de bicyclette et Miracle à Milan de Vittorio de Sica… Dodes’kaden n’a pas échappé à la règle : il a connu un échec commercial et soulevé des protestations dans un Japon lancé dans un redressement économique, auxquelles le réalisateur répondait en disant : « Le miracle économique ne durera pas parce qu’il est basé sur la misère morale et l’injustice ».

Christophe Champclaux rappelle les années difficiles d’Akira Kurosawa, « l’empereur déchu », le flirt sans lendemain avec Hollywood, sa collaboration avec Shûgorô Yamamoto, son « frère de plume ». Il relève aussi le choix pour Dodes’kaden du format 1.37:1 qui peut surprendre, Kurosawa ayant démontré sa maîtrise de l’écran large, depuis La Forteresse cachée, choix probablement influencé par la concurrence croissante de la télévision avec son écran 1.33:1.

Ordre fut donné à Kurosawa de ramener de quatre heures à deux heures la durée du film. Un nouveau montage ramena la durée à 130 minutes, mais le réalisateur refusa de retirer la scène où le jeune mendiant va chercher sa nourriture dans les poubelles d’un restaurant. L’accueil réservé du film permit à peine de compenser le coût de production. Coup dur pour Akira Kurosawa qui, après une tentative manquée de suicide, rebondira avec Dersou Ouzala (1975), avant un retour aux grandes fresques historiques avec Kagemusha : l’ombre du guerrier (1980) et Ran (1985).

Dodes'kaden

Bonus - 3,5 / 5

En supplément vidéo, une série de documentaires japonais repris des précédentes éditions Wild Side de 2006, 2009 et 2012.

Kurosawa passe à la couleur (36’). Le noir et blanc a longtemps été la quintessence du cinéma pour Akira Kurosawa, déçu par le mauvais rendu des couleurs. Encouragé par Henri Langlois qui lui a montré la scène du banquet d’Ivan le terrible de Sergei .M. Eisenstein, il saute pourtant le pas pour Dodes’kaden et, désormais, ne reviendra plus au noir et blanc. Le document, dans un défilé des collaborateurs du réalisateur, évoque les déboires avec Hollywood, notamment pour le projet de Runaway Train pour lequel Kurosawa demandait une pellicule 70 mm en couleurs, ce que les producteurs jugeaient inutile « pour un train roulant dans la neige ! » Son exigence de superviser le montage fut également écartée. Dodes’kaden, fait exceptionnel, fut tourné plus vite que prévu, entièrement en studio avec les décors et costumes esquissés dans le storyboard dessiné par Kurosawa.

Kurosawa par Kurosawa, un entretien avec son fils Hisao (13’) contient des anecdotes intéressantes sur la vie familiale de Kurosawa, mais aussi sur sa vie professionnelle, puisque Hisao a commencé à assurer le financement des derniers films de son père à partir de Ran, à l’aider à édifier le Kurosawa Film Studio à Yokohama. « Akira Kurosawa n’a pas laissé de testament, mais son œuvre continue d’influencer les autres », conclut Hisao.

Kurosawa par Kurosawa, un entretien avec sa fille Kazuko (40’). Née au moment précis où Akira Kurosawa arrosait avec son équipe la fin du tournage du film Les 7 samouraïs, elle évoque ses souvenirs d’enfance, quand son père l’encourageait à dessiner et à lire. Elle a, elle aussi participé, en tant que créatrice des costumes, aux deux derniers films de son père, Rhapsodie en août (Hachi-gatsu no rapusodî) et Madadayo.

Pour finir, la bande-annonce (qui est le seul supplément sur le DVD).

Dodes'kaden

Image - 4,0 / 5

L’image (1.37:1, 1080p, AVC) respecte le format originel (elle n’a pas été recadrée en 1.33:1 mentionné au dos du Digibook). Une restauration soigneuse a ravivé les couleurs, effacé toutes les taches et griffures et éliminé l’essentiel du bruit vidéo sans toutefois dénaturer la texture argentique. Les contrastes sont assez fermes, même si les noirs manquent un peu de densité.

Son - 3,5 / 5

Le son DTS-HD Master Audio 1.0, au spectre inévitablement étroit, pauvre en graves, au timbre un peu métallique, a été nettoyé de tous les bruits parasites, mais pas complètement du souffle qui se fait entendre à un niveau variable, jamais vraiment gênant. Quelques saturations dans les passages forte de la belle musique de Tôru Takemitsu qui composera, quinze ans plus tard, la partition de Ran.

Dodes'kaden

Crédits images : © Toho

Configuration de test
  • Vidéo projecteur JVC DLA-X70BRE
  • OPPO BDP-93EU
  • Denon AVR-4520
  • Kit enceintes/caisson Focal Profile 918, CC908, SR908 et Chorus V (configuration 7.1)
  • TEST EN RÉSOLUTION 1080p - Diagonale image 275 cm
Note du disque
Avis

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Philippe Gautreau
Le 5 septembre 2017
Dodes’kaden, le dernier volet de la Tétralogie de la misère, le premier film en couleurs d’Akira Kurosawa, est pourtant l’un des plus sombres de sa filmographie. Une œuvre désespérée, une des plus étrange par la fusion qu’elle opère entre le réel et l’imaginaire, audacieuse par son utilisation des couleurs.

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