Réalisé par Emiliano Rocha Minter
Avec
Noé Hernández, María Evoli et Diego Gamaliel
Édité par Blaq Out
Sous une pluie battante, un homme amène des vieux cartons dans une grande maison à l’abandon et vide des petits pains dans une lessiveuse qu’il remplit d’eau avant d’en sceller le couvercle. Le lendemain, deux jeunes, errant depuis plusieurs jours dans la ville, Lucio et sa sœur Fauna, lui demandent abri et nourriture. L’homme, Mariano, accepte mais pose certaines conditions…
We Are the Flesh (Tenemos la carne), présenté le 16 mai 2016 au Festival de Cannes, le premier long métrage du jeune cinéaste mexicain Emiliano Rocha Minter, transgresse au moins trois des plus importants tabous, l’inceste et le cannibalisme et la nécrophilie. Sans brutalité, presque en douceur ! Mariano, une incarnation subtile du mal, réussit, en combinant tentations et menaces, à convaincre Lucio et Fauna de lui obéir, de céder à leurs pulsions, d’étouffer leurs résistances.
Les trois personnages principaux cohabitent dans un lieu très clos. À l’intérieur de la maison, ils ont construit une sorte de grotte, en tapissant de plaques de carton une charpente biscornue assemblée par des bandes adhésives. La seule lumière extérieure, rouge, pénètre par un orifice étroit et profond. Cette grotte ne symboliserait-elle pas l’utérus ?
Noé Hernández, le seul acteur professionnel, donne une inquiétante présence au personnage de Mariano. Mais les deux jeunes acteurs débutants, María Evoli et Diego Gamaliel, paraissent très à l’aise, au prix, toutefois, d’un rude conditionnement quotidien en atelier pendant trois mois.
We Are the Flesh est un film inclassable, expérimental, brutal, déroutant, provocateur. Il peut révolter, mais aussi fasciner, un peu comme le cinéma d’Alejandro Jodorowski, notamment par sa combinaison intime de l’image et du son et par sa surprenante inventivité.
On est curieux de savoir ce que nous réserve Emiliano Rocha Minter : après l’avoir entendu dans l’entretien qui complète le film, il ne semble ni à court d’idées, ni résigné à abandonner le cinéma.
We Are the Flesh (80 minutes) et ses suppléments (90 minutes) tiennent sur un Blu-ray double couche logé, avec un DVD 9 au contenu identique, dans un boîtier de 11 mm, fait pour recevoir un seul disque (le DVD est simplement glissé dans une enveloppe en plastique). Le tout est inséré dans un fourreau.
Le menu fixe et musical propose le film dans sa version originale, avec sous-titres optionnels, et le choix entre deux formats audio, Dolby Digital 5.1 ou 2.0 stéréo.
En complément, les deux courts métrages (image et son HD) d’Emiliano Rocha Minter. Dentro (2013, 1.78 1, noir et blanc, 13’) : dans une forêt, deux hommes coupent des lianes avec lesquelles ils tressent un énorme panier qu’ils suspendent au-dessus du trou profond qu’ils ont creusé… Puis Videohome (2014, 1.78:1, 11’), une curieuse mise en images de sons divers, ceux d’un vinyle voilé, d’une guitare qui résonne sous les coups de marteau frappés sur le meuble où elle est posée, d’un chalumeau à soudure, de papier froissé, d’un robinet qui coule…
Vient ensuite une série d’entretiens, avec Emiliano Rocha Minter (18’) : le réalisateur dit que toutes les étapes de la fabrication du film se sont enchaînées facilement, de l’écriture du scénario à la postproduction. Après s’être vite décidé à confier le premier rôle à Noé Hernández, il a mis au moins trois mois à choisir les deux débutants et autant à assurer leur préparation, avec l’assistance d’un chorégraphe pour leur apprendre à se servir de leur corps. Avec María Evoli (13’) qui se souvient de l’interminable casting, puis des répétitions, le soir et une bonne partie de la nuit, après ses cours de théâtre. Avec Diego Gamaliel (13’), qui n’avait jamais joué auparavant et avoue n’avoir encore pas vu le film, rarement projeté au Mexique. Enfin, avec Noé Hernández (20’), qui reconnaît avoir eu, à la première lecture, du mal à comprendre le scénario. Mais, il a fini, après la lecture, conseillée par Emiliano Rocha Minter, de Georges Bataille et des Chants de Maldoror du Comte de Lautréamont, par être séduit par l’originalité d’un projet sortant totalement des sentiers battus.
Pour terminer, la bande-annonce du film et un teaser sur la collection récemment lancée fin 2015 par Blaq Out, Blaq Market, où l’on peut trouver L’Enfant miroir (The Reflecting Skin) ou encore Ruined Heart (Ruined Heart: Another Lovestory Between a Criminal & a Whore). Ce rayon du cinéma insolite aligne aujourd’hui huit titres sur ses étagères.
L’image (1080p, AVC), au format insolite de 1.92:1 (le dos de l’étui mentionne 1.85:1), propose des options inhabituelles : des couleurs manipulées en postproduction, des prises de vue en caméra thermique ou en négatif, l’utilisation de filtres, de brume artificielle… qui rendent plus délicate l’appréciation de sa qualité technique.
Ces réserves faites, l’image est bien résolue, sur une grande profondeur de champ, avec des contrastes fermes et des noirs denses dans toutes les scènes, la plupart étant filmées dans la demi-obscurité, sous des éclairages colorés.
Le son DTS-HD Master Audio 5.1 (ou 2.0 stéréo), servi par une forte dynamique, tourbillonne autour du spectateur de manière plus spectaculaire que cohérente, en créant une forte impression d’immersion dans l’environnement sonore dans lequel les bruits d’ambiance (par exemple celui des rubans adhésifs qui servent à fixer la charpente ou celui des œufs battus dans une gamelle d’aluminium) s’insèrent en parallèle à l’accompagnement musical.
La nette séparation des deux voies rend la version stéréo également très immersive.
Crédits images : © Piano, Detalle Films