Profession : reporter (1975) : le test complet du Blu-ray

Professione: reporter

Édition Coffret Ultra Collector - Blu-ray + DVD + Livre

Réalisé par Michelangelo Antonioni
Avec Jack Nicholson, Maria Schneider et Jenny Runacre

Édité par Carlotta Films

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Le 28/06/2018
Critique

Profession : reporter

Tchad africain puis Europe (Munich, Londres, Barcelone enfin Andalousie) en 1975. Le correspondant de guerre David Locke, aventurier insatisfait et lassé, usurpe l’identité d’Anderson (un Anglais découvert mort et qui lui ressemblait) afin de changer de vie. Mais cette usurpation d’identité ne tarde pas le en danger car Anderson menait une activité dangereuse qu’ignorait Locke. Pris en tenaille, Locke suit son plan initial mais devient l’objet de plusieurs enquêtes parallèles qui convergent progressivement mais inexorablement vers lui, l’acculant à son tour à une mort cette fois-ci réelle.

Profession : reporter (Profesione : reporter / The Passenger) (Italie-France-Espagne 1975) de Michelangelo Antonioni est un film d’auteur au carrefour du film noir policier, du film d’aventures, du drame psychologique et de la parabole métaphysique.

Personne n’a, semble-t-il, noté (ni au moment de la sortie du film ni plus tard) que le nom de famille du héros est celui du philosophe anglais John Locke (1632-1704). Locke distinguait trois types fondamentaux de rapports permettant la connaissance humaine, à savoir : identité, relation, coexistence. Nommer ainsi ce personnage n’était donc peut-être pas anodin relativement à l’histoire racontée et cette piste herméneutique vaut donc la peine d’être mentionnée (*).

Certains éléments du scénario sont cohérents avec certains de ceux de la filmographie antérieure d’Antonioni, notamment avec ceux de L’Avventura (Ital.-Fr. 1960) et de Blow-Up (Ital.-USA 1966) dans la mesure où ils en constituent une relative et double inversion. Dans Blow-Up, un photographe croyait apercevoir l’image d’un mort en agrandissant une photographie. Dans Profession : reporter, un journaliste falsifie la photographie de son passeport en la remplaçant par celle d’un mort, cadavre très réel qu’il vient de découvrir. Dans L’Avventura, on filmait les recherches d’une jeune femme à jamais disparue. Dans Profession : reporter, on filme aussi une disparition et ses conséquences mais les deux tiers (sinon les trois-quarts) du métrage sont montrés du point de vue du fugitif. Que le lecteur peu familier de l’histoire du cinéma mondial n’aille pourtant pas croire qu’un tel argument (l’usurpation d’identité d’un mort par un vivant) soit inédit : Plein soleil (Fr.-Ital. 1960) de René Clément, d’après une histoire de Patricia Highsmith, reposait sur une idée analogue, à cette différence majeure près que l’usurpateur de 1960 assassinait la victime dont il connaissait au préalable parfaitement la vie et les activités. Antonioni ne s’intéresse en 1975 au suspense policier très réel (régulièrement virtuose en raison de la maîtrise de son découpage temporel et de son montage spatial) du sujet que comme support d’une réflexion ontologique et phénoménologique sur la notion d’être et de néant, d’apparence et de réalité au sens le plus platonicien de ces termes.

Remarquable performance de l’acteur Nicholson mais le reste du casting est dirigé d’une manière volontairement fonctionnelle et transparente. Mes estimés confrères de 1975 et ceux des années postérieures ont apparemment tous estimé que Maria Schneider y jouait un simple témoin (vaguement hippie par ses poses et ses attitudes) devenant complice par curiosité, par goût du risque, par jeu, par amour. Pourtant, une autre lecture du personnage me semble possible : ce n’est peut-être pas fortuitement qu’elle se trouve à Londres une première fois sur le chemin du héros. Ce n’est peut-être pas fortuitement non plus qu’elle tombe amoureuse de lui ou, du moins, le séduit ou se laisse séduire. Peut-être est-elle, en dépit de ses airs naïfs, une espionne permettant aux assassins de le traquer puis de le tuer ? Si cette seconde lecture, plus paranoïaque mais aussi plus excitante, du personnage s’avérait exacte, il faudrait convenir que ce casting, au lieu d’apparaître rétrospectivement comme une erreur ou une décevante concession d’Antonioni à la mode fugitive de l’époque (Maria Schneider était auréolée par un parfum de scandale depuis son rôle tenu dans Dernier tango à Paris en 1972), aurait alors un très réel intérêt. J’écris néanmoins cela au conditionnel car je n’ai rien lu dans les entretiens accordés par Antonioni qui puisse valider cette hypothèse.

Profession : reporter

Sur le plan technique, nombreuses performance, notamment le fameux long plan (pas tout à fait final, contrairement à ce qu’on peut lire parfois à son sujet) relatant l’assassinat du héros et ses conséquences immédiates, passant d’un point de vue subjectif à un point de vue objectif. Sur le plan de la sociologie culturelle, Antonioni filme la couverture d’un livre d’Alberto Moravia et une scène célèbre se déroule dans une des demeures conçues par Antonio Gaudi, l’architecte qui intéressera aussi en 1984 le cinéaste japonais Hiroshi Teshigahara. Sur le plan politique mais surtout métaphysique, sévère critique du monde contemporain, notamment celui de l’information médiatique, du journalisme et de la télévision dont le point culminant est constitué par une exécution réellement filmée, à la manière d’un « mondo » signé Gualtiero Jacopetti. La durée du film fut limitée à 126 minutes par le distributeur MGM : Antonioni avait notamment tourné une séquence entière - dont il demeurait satisfait - assez importante qui fut coupée au montage : celle où Locke, à Munich, rencontrait un ami allemand d’Anderson qui croyait reconnaître ce dernier. Pour conclure, une suggestion : que Carlotta, qui en est capable, édite un jour une intégrale Antonioni (long métrages, moyens métrages, courts-métrages inclus).

(*) Cf. Emile Bréhier, Histoire de la philosophie, tome II La Philosophie moderne, fascicule 1 Le dix-septième siècle, § IX John Locke et la philosophie anglaise, nouvelle édition revue et mise à jour par Pierre-Maxime Schuhl, Presses Universitaires de France, Paris 1968, notamment pp. 240 à 260.

PS Le titre français d’exploitation de ce Antonioni connut lui aussi les honneurs fugitifs et douteux mais rétrospectivement savoureux d’un détournement comique allusif (dont seuls quelques spectateurs cinéphiles étaient bien conscients durant la projection, les autres l’ignorant évidemment en raison de leur inculture) lorsque sortit dans le circuit des salles de cinéma érotique, classées « X », le film Profession : baiseuse (Fr. 1978) de Georges Fleury. Son argument avait tout de même ceci d’antonionien qu’il reposait lui aussi sur le thème de l’identité mais la similitude s’arrêtait à peu près là. Le livre et les suppléments vidéo, joints au coffret ultra-collector de Carlotta, l’ignorent (on ne peut pas tout savoir) ou bien ne le mentionnent volontairement pas (on peut refuser délibérément de transmettre un savoir, pour de bonnes ou de mauvaises raisons).

Présentation - 5,0 / 5

Coffret ultra-collector limité et numéroté, 1 Blu-ray région B (film et suppléments) + 2 DVD 9, livre illustré 160 pages, édité par Carlotta films, le 20 juin 2018. Existe aussi en édition single Blu-ray et DVD (avecmoins de suppléments dans l’édition single DVD). Image couleurs au format 1.85 compatible 16/9 région B encodé en 1080 / 23.98p Full HD. Son VF et VOSTF à la norme DTS HD Master audio 1.0. Durée du film : 126 min. sur Blu-ray, 121 mn sur DVD. Seul le Blu-ray a été testé vidéo.

Nombreux documents d’histoire du cinéma, de première main, répartis entre le livret et les suppléments vidéo : photos d’exploitation, de plateau et de tournage, entretiens écrits et filmés, souvenirs, critiques françaises d’époque, extraits du découpage et du scénario, découpage d’une scène tournée par Antonioni mais coupée au montage. Sans oublier une bande-annonce refaite en 2005 à l’occasion de la restauration par Sony.

Dans le livre, il faut privilégier en priorité les pages 45 à 70 qui reproduisent des entretiens accordés à des journalistes italiens et américains par Antonioni. On y apprend beaucoup de choses intéressantes. Relevons quelques coquilles de traduction (pages 47, 59, 67, 147) qu’une bonne relecture aurait pu aisément corriger et aussi une plus curieuse coquille dans une critique de Pascal Bonitzer parue dans les Cahiers du cinéma n°262-263 de 1976, qui lui fait confondre Zabriskie Point avec Profession : reporter à la fin du second paragraphe de la page 147. Mais ne faisons pas trop la fine bouche sur des détails matériels contingents : on dispose au total ici de suppléments remarquables qui méritent, par leur ampleur, la note maximum.

Profession : reporter

Bonus - 5,0 / 5

Dans les suppléments video, le plus intéressant me semble être d’une part l’explication du célèbre plan (presque) final de Profession : reporter par Antonioni dans une salle de montage filmée en 1985 par André-S. Labarthe, le court-métrage Mensonges amoureux (Ital. 1949, N&B, VOSTF, 1.37 compatible 16/9) d’Antonioni sur les romans-photos italiens, leur production, leurs acteurs, leur public d’autre part. Les entretiens et interviews (provenant de la RAI, la télévision publique italienne, pour l’essentiel) couvrent toute sa carrière, de ses débuts à sa préparation par lui-même de son propre musée (sublime consécration qu’un Malraux aurait sûrement appréciée à sa juste valeur esthétique comme philosophique). Nombreux fragments de reportages et d’images du tournage, de présentations à des festivals (Venise et Cannes, notamment). En les visionnant on apprend, par exemple, que c’est Monica Vitti qui avait doublé la voix de l’actrice Dorian Gray dans Le Cri (Il Grido) (Ital.-USA 1957).

Image - 5,0 / 5

Restauration Full HD 1080p au format original 1.85 respecté, en couleurs, compatible 16/9. Copie argentique parfaitement restaurée par Sony Classics (il suffit de comparer la bande-annonce 2005 et le long métrage de référence pour avoir une idée du travail effectué), préservant le logo pré-générique MGM. Deux génériques d’ouverture possibles, au choix : l’italien et l’anglais. Excellente définition vidéo qui en fait, sans difficulté, l’édition française de référence : le travail sur les blancs, toujours difficiles à étalonner, du directeur de la photographie Luciano Tovoli, est admirablement restitué.

Son - 5,0 / 5

VOSTF et VF d’époque en DTS Master audio 1.0 : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. Comme d’habitude, la VO est bien mieux équilibrée que la VF d’époque. La voix française de Nicholson ne lui convient pas trop, en outre : je recommande de visionner en priorité la VOSTF. Très peu de musique, autre que « musique source » donc initiée par une radio ou une source sonore dans la continuité narrative. Bande son cependant travaillée, en précision, à l’égal de l’image : le bruit de l’arme de poing qui abat Locke dans sa chambre d’hôtel est presque inaudible car mixé avec un bruit extérieur qui se superpose sur lui, à la seconde près.

Crédits images : © Carlotta Films

Configuration de test
  • Téléviseur 16/9 Panasonic FullHD
  • Sony BDP-5350
  • Ampli Sony
  • TEST EN RÉSOLUTION 1080p