Barton Fink (1991) : le test complet du Blu-ray

Édition Blu-ray Mediabook

Réalisé par Ethan Coen
Avec John Turturro, John Goodman et Judy Davis

Édité par L'Atelier d'Images

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Le 05/09/2024
Critique

Longtemps introuvable, ce film où les frères Coen laissent la bride sur le cou à leur inventivité, nous revient dans une remarquable édition.

Barton Fink

New York, 1941. Dramaturge engagé, encensé à Broadway, Barton Fink attire l’attention de Jack Lipnick, un des magnats de Hollywood, qui lui demande d’écrire un scénario sur deux lutteurs de catch, l’un gentil, l’autre méchant. Barton, dans sa chambre d’hôtel, découvre l’angoisse de la page blanche. Un affable voisin, Charlie Meadows, propose de l’aider à trouver l’inspiration…

Barton Fink, le quatrième film écrit et réalisé par Joel et Ethan Coen, obtint du jury de Cannes, présidé en 1991 par Roman Polanski, la Palme d’or, attribuée à l’unanimité, ainsi que le Prix de la mise en scène, un cumul resté unique dans l’histoire du festival. Il valut aussi à John Turturro le Prix d’interprétation masculine.

Can you tell a story? Can you make us laugh, make us cry, enjoy ourselves?

Ces questions posées à Barton Fink par Jack Lipnick, un magnat de Hollywood, une sorte d’amalgame de Harry Cohn, Louis B. Mayer et Jack Warner, rappellent le pouvoir que l’argent qu’ils dispensaient pour la production des films donnait aux studios d’imposer aux cinéastes le formatage supposé plaire au plus grand nombre, donc d’optimiser les recettes.

Barton Fink, bien que les frères Coen n’aient pas eu à en souffrir, épingle le despotisme des studios de Hollywood. Le personnage de W.P. Mayhew se réfère à William Faulkner et celui.de Barton Fink est une évocation distante des débuts à Hollywood du dramaturge Clifford Odets, vite confronté au diktat des studios qui réécrirent ses scénarios en les déformant à tel point qu’il s’opposa parfois à ce que son nom apparaisse au générique. On lui en doit pourtant une cinquantaine, dont celui de Le Grand couteau (The Big Knife, Robert Aldrich, 1955) et du remarquable Le Grand chantage (Sweet Smell of Success, Alexander Mackendrick, 1957, encore disponible dans une magnifique édition Wild Side saluée en 2016 par le Prix du meilleur DVD/Blu-ray décerné par le Syndicat Français de la Critique de Cinéma dans la catégorie des films de patrimoine).

Barton Fink choisit le ton de la comédie noire, voire amère, avec plusieurs incursions dans le fantastique, par exemple lorsque la transpiration où les écoulements de l’oreille infectée de l’étrange voisin Charlie contaminent les murs de la chambre de Barton par un suintement qui décolle le papier peint.

Barton Fink

Barton Fink doit beaucoup à deux fidèles complices des frères Coen, le directeur artistique David Gessner et la décoratrice Nancy Haigh, tous deux oscarisés en 1991 pour Bugsy (Barry Levinson). Ils sont les créateurs du théâtre de rebondissements inattendus acculant Barton à une situation cauchemardesque, cet hôtel décrépi dans lequel on ne verra des clients que les chaussures déposées la nuit devant la porte de chaque chambre. Sinistre, celle de Barton semble n’avoir pour seule ouverture sur l’extérieur que cette photo encadrée d’une jeune femme en maillot de bain, prise de dos, sur une plage, regardant l’océan. Un cadre qu’on retrouvera au dernier plan du film quand la jeune femme, que le scénariste croise sur la plage, s’assoie devant lui.

Cette rencontre improbable est un des mystères que gardera Barton Fink. On ne saura rien, non plus, de l’origine de l’incendie de l’hôtel, du contenu de la boîte que Charlie a confiée à Barton avant de partir à New York, etc.

Autour de John Turturro, présent dans tous les plans, les frères Coen ont réussi à attirer dans les seconds rôles une distribution exceptionnelle. John Goodman, en pleine forme dans son incarnation du très équivoque Charlie Meadows, Steve Buscemi dans l’humble rôle de Chet, le réceptionniste et factotum de l’hôtel, Michael Lerner, explosif dans celui de Jack Lipnick et, pour incarner le cynique producteur Ben Geisler, Tony Shalhoub qui allait se tailler une réputation planétaire en endossant le costume étriqué de Monk, le héros de la série créée par Andy Breckman (2002-2009, 124 épisodes). Sans oublier Judy Davis, nommée en 1984 à l’Oscar de la meilleure actrice pour La Route des Indes (A Passage to India) de David Lean, dont la réédition se fait attendre.

Barton Fink se distingue aussi par sa bande-son, la génération assistée par ordinateur de l’ambiance étrange, souvent inquiétante, du vieil hôtel, associée à une musique minimaliste, dominée par l’aigu d’un violon et quelques mesures de piano, une partition de Carter Burwell, compositeur de l’accompagnement musical de tous les films des frères Coen.

Barton Fink fait partie de ces films qu’on a plaisir à revoir parce qu’ils révèlent à chaque fois de nouveaux aspects de l’inventivité de leur scénario et de leur mise en scène. Cette édition par L’Atelier d’Images, enrichie de suppléments, vient combler le vide laissé par la disparition du catalogue du Blu-ray Universal Pictures, sorti en 2012 sans l’ombre d’un bonus.

Barton Fink

Présentation - 3,5 / 5

Barton Fink (117 minutes) et ses généreux suppléments (95 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-50 logé dans la couverture d’un Mediabook.

Le film est proposé dans sa langue originale, l’anglais, avec sous-titres optionnels, et dans un doublage en français, les deux au format audio DTS-HD Master Audio 2.0 stéréo.

Un livret de 32 pages s’ouvre sur L’Illusionniste et le visionnaire, un regard de Thomas Bourguignon, notamment auteur de plusieurs analyses de l’oeuvre des frères Coen dans Positif, sur des constances du cinéma de Joel Coen : la métonymie, « la substitution de la chose signifiée (personnage) au signe (objet) (…) qui permet de dévoiler le moral par le physique, au-delà des mots (…), l’importance des cloisons qui renforce le sentiment d’insécurité permanente (…), le feu, l’allégorie de l’enfer ». Puis, dans Le Cauchemar du scénariste, Alain Masson (Positif) met en avant l’étrangeté du scénario ; il voit « au bas mot, six histoires dans Barton Fink ; la moins claire de toutes est celle qu’évoque le film ». Suit, Un rocher sur la plage, un long entretien d’Ethan et Joel Coen avec Michel Ciment et Hubert Niogret, à Cannes le 20 mai 1991, sur l’inspiration et les choix scénaristiques de Barton Fink, les glissements de la comédie sociale au fantastique et à l’humour, le regard des cinéastes sur Hollywood… Le livret se referme sur Une irrésistible ascension, le troisième des textes publiés dans le numéro 367 de Positif, en septembre 1991, un échange entre Michel Ciment et Hubert Niogret avec John Turturro, centré sur ses deux premières collaborations avec Joel et Ethan Coen dans Miller’s Crossing et, surtout, dans Barton Fink.

Une édition DVD sort simultanément, sans le livret.

Barton Fink

Bonus - 4,0 / 5

Un complément exclusif, en français, édité par L’Atelier d’Images :

Le film le plus énigmatique des frères Coen (29’). N.T. Binh (Positif), auteur et coauteur de nombreux ouvrages sur le cinéma, parmi lesquels Cinéaste et producteur : un duo infernal ? (Klincksieck, 2010), rappelle que le scénario « très épuré » de Barton Fink fut rapidement élaboré pendant une « panne » dans l’écriture de celui de Miller’s Crossing. Dans les années 90 et 2000, les frères Coen « aiment effleurer des genres codifiés (…), le film de gangster avec Blood Simple, le film noir avec Miller’s Crossing, la comédie burlesque avec Arizona Junior », des genres qu’ils mélangent dans Barton Fink, « leur film le plus expressionniste », « une satire du système des studios » auquel les frères Coen n’ont pas eu à se confronter, un thème qui rappelle Sullivan’s Travels réalisé en 1941 par Preston Sturges. Un échec commercial à sa sortie aux USA, Barton Fink est, « au fil du temps, un OVNI devenu un classique, (…) une réflexion sur le cinéma (…) qui vieillit bien (…) comme Chantons sous la pluie ». Il souligne la « fusion organique » de la musique intemporelle de Carter Burwell, la contribution du directeur de la photographie Roger Deakins qui réussit à « recréer l’atmosphère presque fantastique (…) et la décadence du lieu ».

Et, repris de l’édition Blu-ray Kino Lorber de 2017, en anglais avec sous-titres :

Entretien avec Michael Lerner (16’). Dans ce document intitulé The Mouse and the Lion, l’acteur, fasciné par Louis B. Mayer, « un monstre (…) et un grand acteur », rejoue son audition pour le rôle de Jack Lipnick, se souvient du peu de directives données pendant le tournage. Les frères Coen voient la vie comme une fable. Comme Hitchcock, ils aiment manipuler le spectateur, ne pas donner de réponses, tout comme le judaïsme pose plus de questions qu’il ne donne de réponses.

Entretien avec John Turturro (14’). Il se souvient de l’étrangeté du film, des répétitions matinales, une heure avant le début d’un tournage dans l’ordre chronologique, pendant 45 jours dans les studios de la MGM. Ce fut le premier film dans lequel il était de tous les plans. Comme Barton, il a connu l’angoisse de la page blanche en écrivant une dizaine de scénarios. Barton Fink, sans prétentions, réalisé avec attention, est probablement inspirée par le cinéma de Polanski, particulièrement par Le Locataire.

Entretien avec le compositeur Carter Burwell (20’), intitulé Head Space, the Inner Sounds of Barton Fink. Le compositeur et Skip Lievsay, le monteur son, évoquent la composition de la musique et la création de la bande-son, un travail qui s’est étalé sur une année. Les sons de l’hôtel, manipulés par ordinateur (comme celui de la sonnette qui résonne longtemps dans l’immensité du hall) sont associés à une musique qui souligne l’innocence, la naïveté de Barton.

Scènes coupées (13’). Certaines, en noir et blanc, permettent de distinguer les séquences non retenues dans le montage final.

Bande-annonce (2’25”). Elle met en avant l’exceptionnelle double victoire à Cannes.

Barton Fink

Image - 4,0 / 5

L’image, réencodée au standard 1080p, AVC, est présentée au ratio d’origine de 1.85:1 (alors que l’édition Kino Lorber de 2017 l’avait rogné à 1.66:1). Aucune information n’est donnée sur la restauration. Les signes d’une éventuelle dégradation de la pellicule ont été effacés et le bruit manifestement réduit, mais sans qu’un excès de lissage donne un aspect cireux aux visages en gros plan. Un autre traitement du grain aurait-il été préférable ? La question de l’arbitrage entre le respect de l’image originale et le gain de résolution procuré par l’évolution des technologies n’a pas fini d’être débattue.

Son - 4,5 / 5

Le son stéréo d’origine, réencodé au format DTS-HD Master Audio 2.0 stéréo, très propre, restitue clairement les dialogues et, avec la finesse attendue, la partition de Carter Burwell. Une forte dynamique souligne, parfois avec une agressivité bienvenue, l’inventivité du travail sur la bande son et plonge le spectateur dans l’étrange ambiance de l’hôtel, même si la séparation des deux canaux laisse à désirer.

Le doublage en français, non pris en compte pour l’attribution de la note, souffre d’une tonalité mate et étouffée, affectant surtout les dialogues.

Crédits images : © Circle Films, Ted & Jim Pedas/Bill Durkin/Ben Barenholtz

Configuration de test
  • Vidéo projecteur SONY VPL-VW790ES
  • Sony UBP-X800M2
  • Denon AVR-4520
  • Kit enceintes/caisson Focal Profile 918, CC908, SR908 et Chorus V (configuration 7.1)
  • Diagonale image 275 cm
Note du disque
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Philippe Gautreau
Le 6 septembre 2024
Barton Fink fait partie de ces films qu’on a plaisir à revoir parce qu’ils révèlent, à chaque visionnage, de nouveaux aspects de l’inventivité de l’écriture et de la mise en scène des frères Coen. Cette édition par L’Atelier d’Images, enrichie d'utiles suppléments, vient combler le vide laissé par la disparition du catalogue du Blu-ray sorti en 2012 par Universal Pictures, sans l’ombre d’un bonus.
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Cyril
Le 29 mars 2003
Il semble bien que les frères Coen soient maudis sur le support digital !

Car même pour Barton Fink, film sacré Palme d'Or à Cannes tout de même, nous n'avons pas droit à grand chose de la part des concepteurs de cette galette.

Le film, lui, à conserver tout son charme. La critique sous jacente du système hollywoodien tient toujours la route, ainsi que l'ambiance très étrange du film d'ailleurs.

De plus il s'agit là d'un des meilleurs rôles de John Turturro, qui gagna d'ailleurs le prix d'interprétation masculine à Cannes la même année.

Très bon film et DVD qui n'offre pas grand chose à se mettre sous la dent.

Oystercult

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Barton Fink
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