À l'abordage (1952) : le test complet du Blu-ray

Réédition très soignée d’un film d’aventures. Errol Flynn, l’emblématique corsaire, est confronté à la flamboyante Maureen O’Hara.

Au début du XVIIIe siècle, Libertiata, la « république des pirates » installée au nord de Madagascar, perturbe le commerce des Indes. Brian Hawke, un officier de la Royal Navy, est missionné pour infiltrer la bande de criminels en se faisant passer pour un déserteur. Il succombe aussitôt au charme de Prudence Stevens, dite Spitfire, pirate au caractère bien trempé, convoitée par le redoutable capitaine Roc Brasiliano…

À l’abordage (Against All Flags), sorti en 1952, a été réalisé par George Sherman et, pour quelques scènes par Douglas Sirk dont le nom n’apparaît pas au générique. Au tableau de George Sherman, une bonne centaine de films, en majorité des westerns, parmi lesquels Sur le territoire des Comanches (Comanche Territory, 1950) avec Maureen O’Hara, et Big Jake, en 1971 avec John Wayne.

À l’abordage, tourné en quatre mois dans les studios Universal et à Palos Verdes, en Californie, met en images une histoire originale d’Æneas MacKenzie, également coauteur du scénario avec Joseph Hoffman. Æneas MacKenzie (1889-1962) est l’auteur d’une vingtaine de scénarios, principalement d’aventures, dont celui de Capitaine sans peur (Captain Horatio Hornblower R.N., Raoul Walsh, 1931).

La qualité de la photographie de Russell Metty, qui recevra en 1961 l’Oscar de la meilleure photographie en couleurs pour Spartacus, et de magnifiques costumes mettent en valeur la palette de couleurs saturées emblématique du procédé Technicolor Trichrome (Three-Strip Technicolor) inventé et mis au point par Herbert Kalmus et Daniel Frost Comstock, utilisant une lourde caméra chargée de trois bobines. Les trois négatifs en noir et blanc, après avoir été imprimés en cyan, magenta et jaune, étaient collés l’un sur l’autre. Le premier long métrage en Technicolor, entièrement tourné en studio, fut Becky Sharp de Rouben Mamoulian, sorti en juin 1935 ; le premier tourné en extérieur, La Fille du bois maudit (The Trail of the Lonesome Pine, Henry Hathaway, 1936). La superposition parfaite des trois bandes étant pratiquement impossible, un léger liseré vert pouvait apparaître sur les contours et affecter la netteté des plans larges. Après une excellente restauration, celle utilisée pour l’édition Kino Lorber sortie aux USA en 2020, il n’est pratiquement discernable, dans À l’abordage, que sur trois courts plans en plongée du port des pirates (dont un à 41’45”). Le procédé Technicolor, techniquement complexe et onéreux, sera abandonné en 1956 pour céder la place au « Color by Technicolor ».

À l’abordage, s’il contient de nombreuses scènes d’action, accorde une large place à la romance entre Brian Hawke et Mistress Stevens, pimentée par la jalousie du capitaine Roc et l’irrésistible attrait pour Brian Hawke de l’ingénue princesse Patman, capturée par les pirates.

La distribution réunit, pour la première et la dernière fois, Errol Flynn, fleuron des films de corsaires (swashbuckler) depuis qu’il eut la chance d’être d’appelé à remplacer Robert Donat dans le rôle-titre de Capitaine Blood (Captain Blood, Michael Curtiz, 1935) et Maureen O’Hara, à peine sortie, au faîte de sa gloire, du tournage de l’inoubliable film de John Ford L’Homme tranquille (The Quiet Man). Si Errol Flynn paraît un peu fatigué par les excès d’alcool et de stupéfiants qui l’emporteront sept ans plus tard à 50 ans, Maureen O’Hara est pétulante, prête à dégainer son pistolet contre celui qui tenterait de l’embrasser quand elle n’en a pas envie et aussi contre celui qui refuserait ses baisers ! Le troisième larron, sous le chapeau à plume du capitaine Roc Brasiliano, c’est Anthony Quinn qui, après avoir enchaîné depuis 1936 une bonne cinquantaine de seconds rôles, a conquis le statut de star en tenant en 1952, quelques mois avant le tournage de À l’abordage, le rôle-titre du Viva Zapata! d’Elia Kazan, un statut que confirmera, deux ans plus tard, son interprétation de Zampanò dans [PROGRAM(strada)] de Federico Fellini. Plus modeste, dans le rôle de le princesse Patma, Alice Kelley, 20 ans, qu’un riche mariage poussera à mettre fin à sa carrière d’actrice, deux ans et cinq films oubliables plus tard.

À l’abordage était introuvable depuis l’épuisement du Blu-ray et du DVD sortis par Filmedia en 2015. On saluera donc l’initiative prise par Elephant Films de nous le proposer après l’excellente restauration opérée en 2020, dans trois éditions : combo Blu-ray/DVD, Blu-ray single, DVD single, toutes enrichies d’un intéressant bonus exclusif.

À l’abordage (84 minutes) et ses suppléments (26 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-50 et un DVD-9, logés dans un boîtier épais de 14 mm, glissé dans un étui, avec jaquette réversible.

Le film est proposé dans sa langue originale, l’anglais, avec sous-titres optionnels, et dans un doublage en français, les deux au format audio DTS-HD Master Audio 2.0 mono.

Sous-titres français, avec le choix de leur couleur, blanc ou jaune.

Sous-titres anglais disponibles.

Deux autres éditions single proposées, Blu-ray ou DVD, avec le même contenu.

Le film vu par Frédéric Mercier (2024, 23’). Le critique à Positif et Transfuge, dans un entretien conduit par Nicolas Billon, rappelle que George Sherman s’est plié sans problèmes aux exigences des studios pour réaliser plus d’une centaine de films, dont quelques bons westerns « dans la mouvance pro-indienne », tel Sur le territoire des Comanches en 1950. À l’abordage se range parmi les films d’aventure de bonne facture produits au début des années 50 par Universal, avec la contribution du directeur de la photographie Russell Metty et le directeur artistique Alexander Golitzen, que Douglas Sirk prendra dans son équipe. « Le fait qu’on voie les transparences et les maquettes, au lieu de boucler l’imaginaire (…) l’ouvre sur un monde plus vaste que celui délimité par le studio ». Le scénariste Æneas MacKenzie, spécialiste des récits épiques, a tiré le nom de Libertatia du livre A General History of the Robberies and Murders of the most notorious Pyrates, publié en 1724 par un certain Captain Charles Johnson (pseudonyme, pour certains, de Daniel Defoe). Maureen O’Hara, ici habillée comme Robin des Bois, est « à la maison dans les films de pirates », tout comme Errol Flynn qui n’est plus le séducteur « virevoltant » des films précédents. Ces caractéristiques des deux personnages posent la question : quel sera le héros du film ? Et À l’abordage est moins un film de pirates qu’une comédie sentimentale avec une subtile dimension érotique.

Bande-annonce de 1952 (2’38”), permettant d’apprécier l’apport de la restauration.

Dans la même collection, les bandes annonces de Brigade secrète (The Sleeping City, George Sherman, 1950), un film noir avec Richard Conte et Coleen Gray, et de L’empire du Grec (The Greek Tycoon, J. Lee Thompson, 1978), sur la relation entre l’armateur Onassis et Jackie Kennedy, avec Anthony Queen et Jacqueline Bisset.

L’image, au ratio d’origine de 1.37:1, réencodée au standard 1080p, AVC, exempte de toute marque de dégradation de la pellicule, stable, bien contrastée entre des blancs lumineux et des noirs denses, déploie des couleurs saturées dans une palette fidèle au Technicolor. L’occasionnel et fin liseré vert dû à l’inévitable décalage entre les trois bandes passe presque inaperçu.

Le son, au format DTS-HD Master Audio 2.0 mono a, lui aussi, été soigneusement nettoyé. Dialogues, ambiance et accompagnement sont restitués dans une bande passante inévitablement étroite, mais avec une remarquable clarté pour un film réalisé il y a trois quarts de siècle.

Avec un souffle résiduel, des dialogues trop en avant, peu naturels et affectés par un excès de réverbération, le doublage en français n’a pas été pris en compte pour l’attribution de la note.

Crédits images : © Universal International Pictures