Réalisé par Barbet Schroeder
Avec
Mickey Rourke, Faye Dunaway et Alice Krige
Édité par ESC Editions
Los Angeles. Henry Chinaski, jeune écrivain, passe le plus clair de son temps dans un bar et cuve son whisky dans une chambre lépreuse dont il peine à payer le loyer. Sa rencontre avec Wanda, aussi paumée que lui, marque le début d’une histoire d’amour, forte et chaotique…
Barfly, présenté à Cannes, sorti en France en septembre 1979, un mois plus tard aux USA, met en images un scénario original de Charles Bukowski mêlant les souvenirs de sa grande histoire d’amour avec une Wanda à Los Angeles et du temps passé dans un bar de Chicago où éclatait une bagarre tous les soirs.
Barbet Schroeder fonde en 1962, à 22 ans, la société de production Les Films du Losange, produit le long métrage collectif Paris vu par…, puis plusieurs films d’Éric Rohmer avant de se lancer en 1969 dans la réalisation de son premier film, More, puis de La Vallée (1972), tous deux accompagnés par une composition originale de Pink Floyd. Il est aussi le réalisateur français qui réussit à faire carrière aux USA où il réalisa en dix ans une dizaine de films, parmi lesquels Le Mystère von Bülow (Reversal of Fortune), nommé à l’Oscar du meilleur réalisateur et qui valut à Jeremy Irons l’Oscar du meilleur acteur.
Après le tournage à San Francisco de Koko, le gorille qui parle, en 1979, Barbet Schroeder succombe au talent de Charles Bukowski dont il dévore tous les livres. Il réussit, en dépit de la détestation de l’écrivain pour le cinéma, à le convaincre d’écrire un scénario. Une histoire d’amour entre alcooliques, à rebrousse-poil de l’apologie de la performance et du rêve américain, écrit par un des écrivains les plus contestés à cette époque, n’allait pas provoquer l’enthousiasme des studios hollywoodiens. Le cinéaste s’entête et, huit ans plus tard, s’appuyant sur l’intérêt de Mickey Rourke pour le rôle principal, finit par obtenir de Menahem Golan d’ouvrir les cordons de la bourse de Cannon qu’il avait racheté en 1979 avec Yoran Globus. Le film est présenté et coproduit par Zoetrope, fondée en 1969 par Francis Ford Coppola.
- What do you do? - I drink. - What do you drink? - Anything!
Barfly, un récit autobiographique de première main, révèle, à travers ses dialogues, l’inventivité du style du poète et romancier, mieux que Marco Ferreri ne pourra le faire en 1981 avec Conte de la folie ordinaire (Storie di ordinaria follia).
Barfly bénéficie, de plus, d’une remarquable direction des acteurs. Barbet Schroeder a obtenu de Mickey Rourke qu’il abandonne l’image de beau gosse qu’il avait projetée jusque-là, et se glisse si bien dans la peau du personnage principal au point de faire dire à Bukowski : « Il est meilleur que moi ! ». Et Faye Dunaway communique avec une surprenante sobriété le silencieux désespoir de Wanda. Dans le rôle du serveur du bar, Frank Stallone, le jeune frère de « Sly ».
Barfly a d’autres points forts. La photo de Robby Müller, disparu en 2018, que Barbet Schroeder connaissait pour l’avoir employé en 1984 pour Tricheurs. C’était un des grands chefs opérateurs américains, connu notamment pour Paris, Texas (Wim Wenders, 1984), Police fédérale, Los Angeles (To Live and Die in L.A., 1985). Il était réputé pour savoir travailler en basse lumière, un atout essentiel pour le réalisme des nombreuses prises dans le bar. Un réalisme auquel veille Barbet Schroeder, renforcé par la présence de clients fidèles parmi les figurants et par les costumes de Milena Canonero, saluée par quatre Oscars, le premier pour Barry Lyndon de Stanley Kubrick en 1976. Toujours active, elle est, pour le réalisateur, « celle qui sait le mieux comment exprimer un personnage à travers son costume ».
Barfly, une machine à recettes rachetée par MGM après la faillite de Cannon, longtemps invisible, arrive enfin en France en vidéo numérique, pas loin de trente ans après l’apparition du DVD. Sa sortie donne l’occasion de rappeler l’édition par Carlotta Films en 2017 de The Charles Bukowski Tapes, l’enregistrement par Barbet Schroeder, sorti en 1987, de 50 « monologues » de l’écrivain qui furent diffusés par France 3 le soir, juste avant la fin des émissions.
Barfly (109 minutes) et ses généreux suppléments (136 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-50 logé, pour cette édition combo, en compagnie d’un DVD-9, dans un boîtier non fourni pour le test, effectué sur le seul Blu-ray.
Le film est proposé dans sa version originale, en anglais, avec sous-titres optionnels, et dans un doublage en français, les deux au format audio DTS-HD Master Audio 2.0 stéréo.
À l’intérieur du boîtier, un livret de 32 pages écrit par Marc Toullec, intitulé Barfly, ce film qui ne devait pas exister, rappelle la longue genèse du film, allant de la rencontre de Barbet Schroeder avec Charles Bukowski jusqu’à, presque huit ans plus tard, celle avec Menahem Golan qui, pour démontrer que Cannon n’était pas cantonné au cinéma commercial, s’était ouvert à la production de films d’auteur, tels Maria’s Lovers d’Andrei Konchalovsky. Barbet Schroeder a dû composer avec le mépris de Bukowski pour le cinéma, « cette chose factice, bidon », pour obtenir qu’il écrive la chronique d’une partie de sa jeunesse « à 93 % authentique » et sa liaison avec Jane Cooney Baker, devenue Wanda Wilcox dans le scénario. Barbet Schroeder souligne son choix d’un montage en « rupture radicale avec l’obligation des trois actes, l’exposition, la confrontation et la fin », rappelle les sollicitations de Dennis Hopper, Sean Penn et James Woods pour tenir le rôle principal, son choix de Mickey Rourke, « propulsé sous les projecteurs » par 9 semaines ½, qui ajoute au personnage de Henry Chinaski « sa propre singularité ». Faye Dunaway, pour laquelle Barfly fut « une résurrection » après un passage difficile, livre ses impressions sur le tournage. Le livret rappelle toutes les péripéties du projet jusqu’à « l’affaire du petit doigt », la liberté dont a disposé le réalisateur pendant le tournage et le montage, la sélection de Barfly à Cannes qui permit à Menahem Golan de monter les marches. Un utile complément, très documenté !
Barbet Schroeder par Barbet Schroeder : leçon de cinéma animée par Frédéric Bonnaud et Bernard Benoliel (79’), respectivement directeur de la Cinémathèque française et directeur de l’action culturelle et éducative de cette institution. L’entretien suit la projection du film à la Cinémathèque dans le cadre d’une rétrospective Barbet Schroeder en décembre 2023. Le cinéaste revient sur sa rencontre fructueuse avec Bukowski sur les « sept ans de cauchemar » qui prirent fin avec la menace de se couper un petit doigt si Menahem Golan n’honorait pas son engagement ! Mickey Rourke, intéressé par le cachet promis pour un tournage court, avait amené Faye Dunaway. Ignorant tout de Bukowski, il réussit à s’imprégner du personnage en visionnant certains monologues de Bukowski déjà enregistrés. Barbet Schroeder dit vouloir rester attaché à la diversité de sa filmographie, refusant de rentrer dans un moule…
À propos de Barfly : dialogue entre Barbet Schroeder et Jean Douchet à la Cinémathèque Française (2015, 41’). Considérant que l’adaptation d’un roman n’aurait pas pu communiquer la richesse de l’écriture de Bukowski, il lui a demandé de raconter les débuts de sa vie d’écrivain. La réalisation du film fut une longue et difficile épreuve, racontée par Bukowski dans Hollywood, publié en 1989. Le budget du film n’autorisant pas de resituer les personnages à la fin des années 50, il a choisi des lieux de tournage « intemporels ». Jean Douchet souligne « le mouvement (…) la fuite en avant du film ». Faye Dunaway, après avoir visionné un premier montage, a compris que la nature du film n’allait pas permettre ses habituels caprices de star. Le réalisateur dit espérer qu’une édition Blu-ray du film soit un jour disponible…
Je bois, je joue et j’écris (I drink, I gamble and I write: The Making of Barfly, 1986, 12’). « I just do it because I do it, like a spider makes a web, a fish swims… » martèle Bukowski pour évoquer une période de sa vie où, à 24 ans, désargenté, il faisait « l’ouverture et la fermeture du bar » où il tomba amoureux de « la femme de sa vie ». Il déteste le cinéma, mais l’offre de 20 000 dollars l’a décidé à accepter l’invitation de Barbet Schroeder, fasciné par son oeuvre. « Un mélange de pessimisme et d’humanisme », selon le réalisateur…
Extraits des Bukowski Tapes (1984, VOST). Épisode 3 : Les repérages du bar (2’35”) et Épisode 37 : Le personnage de Wanda (2’34”).
Bande-annonce (2’, 1.33:1, VO).
L’image, au ratio d’origine de 1.85:1, soigneusement restaurée à partir d’un scan 2K du négatif original, très propre, finement définie, stable, agréablement contrastée entre blancs lumineux et noirs denses, affiche des couleurs étalonnées dans une palette chaude, avec respect du grain du 35 mm.
Le son Ultra Stereo d’origine, réencodé au standard DTS-HD Master Audio 2.0 stéréo, très propre lui aussi, assure l’essentielle clarté des dialogues. L’ambiance et l’illustration musicale sont restituées avec réalisme, mais sans effet immersif en raison d’une quasi-absence de séparation du signal entre les deux canaux.
Ce constat s’applique au doublage en français. Très peu naturel et gâché par une vulgarité outrancière, il n’a pas été pris en compte pour l’attribution de la note.
Crédits images : © Golan-Globus Productions, Zoetrope Studios