Réalisé par Teruo Ishii
Avec
Ken Takakura, Nana Kinomi et Bunta Sugawara
Édité par Roboto Films
Japon, région glacée de Hokkaïdo : Ichiro est enfermé dans le couloir de la mort de la prison d’Abashiri où il fait un cauchemar dans lequel il se voit pendu. Condamné sur la base de faux témoignages lors de son procès, ichiro n’attend pas que son cauchemar devienne réalité : il saisit l’occasion de s’évader en compagnie d’autres détenus criminels, la plupart des meurtriers. Le climat extrême de Hokkaïdo, « la Sibérie du Japon », ne leur facilite pas la tâche et des dissensions internes précipitent leur arrestations ou leur mort. Seuls Ichiro et le brutal Kunizo en réchappent : le premier avide de vengeance, le second avide d’argent.
Great Jailbreak(Daidatsugoku, Japon 1975) de Teruo Ishii (1924-2005) est une rareté enfin visible en première mondiale vidéo (hors Japon, s’entend). On peut le considérer comme la dix-neuvième variation du Prisonniers d’Abashiri (Abashiri Bangaishi, Japon 1965) de Teruo Ishii qui avait donné naissance à une série populaire qui fit accéder son acteur principal, Ken Takakura, au statut de vedette. Ishii s’était inspiré de La Chaîne (The Defiant Ones, USA 1958) de Stanley Kramer - ainsi qu’il l’avait confié à Mark Schilling dans un entretien reproduit dans son livre américain de 2003 sur le cinéma japonais desyakuza - et il envisagea immédiatement de tourner les extérieurs naturels à Hokkaïdo. Ishii pensait comme son maître Mikio Naruse (dont il était si fier d’avoir été l’assistant) que le choix des extérieurs naturels était d’une importance capitale. Certains critiques occidentaux refusent d’inclure le film de 1975 dans la série du fait que le nom d’Abashiri ne figure pas dans son titre : cet argument sémiologique n’est cependant pas recevable car la première partie du film de 1975 repose totalement sur ses exigences plastiques et thématiques. Reste que cette production de 1975 connut quelques difficultés initiales, notamment lorsque l’acteur Tetsuya Watari fut contraint sur ordre de ses médecins de renoncer à un tournage physiquement éprouvant ; la Toeï fut contrainte de retirer de la circulation les milliers d’affiches déjà imprimées qui mentionnaient trois héros interprétés par Ken Takakura, Bunta Sugawara et Tetsuya Watari. De son côté, Teruo Ishii avait enchaîné le tournage d’une dizaine de films de cette série Abashiri entre 1965 et 1967 : il était lassé non seulement du sujet mais peut-être aussi et surtout, de son environnement naturel, cette région glaciale d’Hokkaïdo qu’il savait si bien filmer. En 1975, lorsque les producteurs de la Toeï lui proposèrent cette ultime variation, il en respecta donc d’emblée les codes esthétiques et plastiques, notamment durant le début, afin de lancer l’action sur des bases attendues du public mais la suite devint une bien plus classique histoire de vengeance. La mise en scène oscille entre effets stylistiques (arrêts sur image du générique d’ouverture vraiment semblable à ceux de Kinji Fukasaku à la même époque) et classicisme éprouvé (par exemple ce long et très beau plan fixe durant lequel, un soir, la danseuse malade Aki raconte sa vie au fugitif Kozue). Pour celui qui s’intéresse à Teruo Ishii d’une part, à la série Abashiri d’autre part, cette édition est évidemment indispensable : elle comble une lacune importante.
Reste qu’on peut tout de même se poser une question sur le plan éditorial : pourquoi sortir en France le dernier volet d’une série dont les volets antérieurs demeurent inédits en vidéo ? il faudrait tout de même permettre aux cinéphiles français de visionner le premier d’entre eux, à savoir celui de 1965 (tourné en ToeïScope N&B) car sans lui, rien n’aurait existé y compris ce chant du cygne de 1975 ( tourné en ToeïScope couleurs). Ce dernier est, certes, très concerté, doté d’une solide structure et d’une mise en scène aux enchaînements sophistiqués mais Teruo Ishii lui-même m’avait confié, durant l’Etrange Festival 2004 (lire notre entretien actuellement archivé sur le site internet Psychovision) sa préférence pour les trois premiers volets et, au sein de ces trois premiers, pour le troisième. De là à dire qu’il aurait fallu commencer par le troisième… N’allons pas jusque là ! Mais il aurait mieux valu commencer par le premier : c’est l’évidence. On aurait aussi pu réunir ensemble le premier volet de 1965 et ce dernier volet de 1975 dans un coffret qui aurait eu une valeur ajoutée : c’est aussi l’évidence. Seconde question : quel éditeur nous redonnera dans des conditions Full HD cinéphiles les plus remarquables des titres de Teruo Ishii projetés durant l’Etrange Festival 2004 ? Je songe bien évidemment à des titres autrefois sortis en DVD mais qui mériteraient d’urgence une réédition Full HD, tels que la fantastique et surréaliste série des Femmes criminelles (Tokugawa onna keibatsu-shi , Jap. 1968 et série 1968 à 1973) de Teruo Ishii ainsi qu’au remarquable film fantastique L’Effrayant docteur Hijikata ( Kyofu kikei ningen : Edogawa Rampo zenshu, Jap. 1969) de Teruo Ishii ?
1 « mediabook » comportant 1 Blu-ray BD-50 région B + 1 DVD-9 + 1 livret de 40 pages, édités par Roboto Films le 05 septembre 2024, édition collector limitée à 1000 exemplaires. Durée film 91 minutes environ. Images couleurs Full HD 1080p AVC (sur Blu-ray) au format original 2.40 respecté et compatible 16/9. Son DTS-HD Master Audio 2.0 mono VOSTF +. Suppléments identiques sur le Blu-ray et sur le DVD : « Histoires de prisons » par Julien Sévéon (24’46”) + Bande-annonce exclusive Roboto (VOST) + Bandes-annonces d’autres films japonais édités par Roboto (VO). Belle illustration sur le boîtier. La date du film n’est pas indiquée à son verso mais elle est indiquée sur la fiche technique qui ouvre le livret. Fiche légèrement incomplète : le directeur photo n’y figure pas.
Livret illustré 36 pages (couleurs + N&B) :
Ken Takakura et les années 1970, par Pauline Martyn : bio-filmographie succincte de cet acteur, brossant assez précisément ses relations avec la société de production Toeï et l’évolution de son image dans l’histoire du cinéma japonais. Clair, riche en anecdotes d’histoire du cinéma, en citations de première main. Quelques coquilles syntaxiques et grammaticales dans la traduction (« sous fond » (sic) page 5, « dans le sillage de la Nikkatsu qui sorti (sic) Flower and Dragon » page 5, « une suggestion qui mis (sic) en colère » page 9 sans oublier un gênant contre-sens : « de plus en plus soucieux (sic) d’être systématiquement catalogué », page 11, alors que c’est l’inverse puisqu’il est gêné ou mécontent d’être catalogué. Chevauchement occasionnel des usage français (prénom puis nom de famille) et japonais (nom de famille puis prénom) : on lit « Junko Fuji » et « Koji Shundo », écrits correctement selon l’usage français page 9 mais la plupart des autres prénoms-noms sont intervertis à la japonaise, y compris « Ishii Teruo » page 13 alors que la couverture du mediabook orthographie correctement « Teruo Ishii ». Deux lacunes d’histoire du cinéma : il existe un titre d’exploitation française du film de Kramer, cité page 7, qui a inspiré celui de Ishii en 1965 et il faut donc écrire La Chaîne (The Defiant Ones , USA 1958) de Stanley Kramer et non pas seulementThe Defiant Ones ; enfin ce n’est pas « Paul Schrader » (page 13) seul qui a écrit le scénario de Yakuza (The Yakuza, USA 1974) de Sidney Pollack, ce sont Paul Schrader et Robert Towne d’après une histoire originale du frère de Paul, à savoir Leonard Schrader qui était connaisseur émérite du cinéma japonais.
Nathan Stuart, expert de la Toei : le best of de Teruo Ishii : survol de la biographie et de la filmographie de Teruo Ishii, émaillé de bref jugements critiques parfois discutables, suivi, en revanche, de solides précisions sur la genèse et le tournage du titre de 1975. Enthousiasme un peu excessif pour ce titre de 1975 qui n’est pas, selon moi, son meilleur titre bien qu’il soit intéressant et indispensable historiquement au cinéphile.
Ensemble précis, nourri d’informations de première main, stimulant pour le cinéphile s’intéressant au cinéma japonais en général et à la filmographie de Teruo Ishii en particulier, en dépit de quelques bémols signalés de fond et de forme. Sur le plan matériel, les illustrations couleurs et N&B sont des photos de plateau et / ou des photos d’exploitation (mais alors détourées et amputées de leurs lettrines japonaises de présentation) pleines pages. La page 2 reproduit bien l’affiche japonaise originale. L’article de Pauline Martyn mentionne (page 21) quelques références japonaises bibliographiques. Le bord droit des pages 39 et surtout 40 accroche, à mesure que le livret est manipulé, les boutons en plastique push situés au bord droit du boîtier : ne pas trop appuyer lorsqu’on le feuillette, si on veut conserver les pages 39 et 40 en bon état.
Présentation par Julien Sévéon (durée 25 minutes environ) : restituant bien l’histoire de la série Abashiri si méconnue en France (sauf Cinémathèque française vers 1985, Centre Pompidou vers 1990 et L’Etrange Festival en 2004), précisant la place du titre de 1975 qui est son chant du cygne et son dix-neuvième épisode cinématographique, sa place dans la filmographie de Teruo Ishii, le défendant souvent assez bien sur les plans esthétique et thématique. Elle résume (moins précisément que dans le livret mais néanmoins correctement) l’image populaire des deux vedettes masculines. Je ne crois pas trop, en revanche, à son interprétation de certains plans qui traduiraient une éventuelle volonté de Ishii de subvertir discrètement l’atmosphère par ailleurs si soigneusement mise en scène : c’est probablement prêter trop d’individualisme au cinéaste dans un tel contexte de production. Un lapsus involontaire relevé et qu’il faut corriger : l’argument du premierPrisonniers d’Abashiri s’inspire non pas de Les Enchaînés (Notorious, USA 1946) d’Alfred Hitchcock mais de La Chaîne (The Defiant Ones, USA 1958) de Stanley Kramer. Les deux titres d’exploitation sont proches, d’où le lapsus. Concernant la position politique de Teruo Ishii, une remarque de Sévéon me semble curieuse : il regrette qu’un gauchiste terroriste meurtrier soit l’objet d’une critique virulente du scénario et des dialogues ; c’est pourtant tout sauf anormal puisque la Toeï, ses techniciens, ses auteurs et son public ne cautionnaient absolument pas de telles actions, encore moins lorsqu’elles émanaient de la fraction Sekigun et de ses affiliés. Leur sympathie allait plutôt aux nationalistes japonais d’une part, au PLD japonais d’autre part. Concernant le succès de la série, Sévéon semble considérer son grand nombre de titres comme un fait surprenant ou inhabituel : il était pourtant habituel puisque les succès populaire engendraient régulièrement la création d’amples séries cinéma, constituée de titres assez autonomes pour être vus séparément mais toutes évidemment reliées par un fil conducteur thématique. Qu’on cite simplement ici, à titre de contre-exemples, le Godzilla (Gojira, Jap. 1954) de Inoshiro Honda qui est peut-être le film ayant engendré (et continuant encore aujourd’hui d’engendrer) la plus grande série cinématographique de l’histoire du cinéma mondial des origines à nos jours ! Qu’on songe aussi au Le Masseur aveugle (Zatoichi monogatari, Jap. 1962) de Kenji Misumi qui donna naissance à une série comprenant environ 25 films, au Combat sans code d’honneur (Jingi naki tatakai, Jap. 1973) de Kinji Fukasaku qui donna naissance à une série d’une dizaine de titres, à Lady Yakuza - La pivoine rouge (Hibotan Bakuto, Jap. 1968) de Kosaku Yamashita, au scénario écrit par Norifumi Suzuki, qui en engendra environ une dizaine en ne comptant que ceux interprétés par la mignonne Sumiko / Junko Fuji. On pourrait multiplier les exemples dans l’histoire du cinéma japonais, variant de la dizaine à plusieurs dizaines.
Bande-annonce Roboto Films (durée 1 minute 37 sec., VOSTF) : très bien montée, beaucoup plus courte, suivant l’usage actuel, en excellent état argentique et vidéo mais… ce n’est pas la bande-annonce japonaise originale avec ses mignons slogans de la Toeï incrustés sur la pellicule. Pourquoi une nouvelle bande-annonce franco-française alors qu’il en existe une d’époque originale, ayant valeur de document d’histoire du cinéma ? Même dans le cas d’une sortie cinéma, l’ancienne bande-annonce ferait parfaitement l’affaire, à condition de la présenter en VOSTF, et munie d’un plan préliminaire mentionnant le nom du distributeur français et sa date de sortie en fonction du support. La question se pose d’ailleurs en général et pas seulement à Roboto Films car de nombreux distributeurs français croient devoir le faire aussi.
Bande-annonce Roboto Films de Violent Panic: The Big Crash, Gamera : la trilogie Hensei, Shogun’s Samourai (durée 1 minute à 1 minute 30 secondes environ, pour les 3 BA, VO sans STF) : au format original large respecté, en excellent état. Même question subsidiaire: pourquoi refaire de nouvelles bandes-annonces alors qu’il en existe d’époque ayant valeur de document d’histoire du cinéma ?
Beau transfert numérique Full HD 1080p au format respecté ToeïScope 2.40 compatible 16/9 d’une copie argentique bien restaurée. Dans l’ensemble l’image argentique est impeccable. Filmer la neige est ce qu’il y a de plus difficile : Ishii prouve ici à nouveau sa maîtrise. Définition remarquable, lissage soigné de l’image, colorimétrie un peu froide (sans mauvais jeu de mots) typique des années 1975 et, ici, très soigneusement restitué.
DTS-HD Master Audio 2.0 stéréo en VOSTF : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone car le film était inédit en France au cinéma et donc dénué de VF d’époque. Aucun défaut technique à signaler. STF corrects et bien lisibles.
Crédits images : © Toei Tokyo