Réalisé par John Ford
Avec
John Wayne, William Holden et Constance Towers
Édité par Rimini Editions
En avril 1863, une compagnie de soldats de l’Union, sous les ordres du colonel Marlowe, doit couper une ligne ferroviaire à Newton’s Station, Mississippi. Hannah Hunter, une sudiste qui a épié les officiers est contrainte d’accompagner la troupe. Les relations sont tendues entre le colonel Marlowe et le major Kendall, médecin militaire…
Les Cavaliers (The Horse Soldiers), sorti en 1959, une adaptation par les scénaristes John Lee Mahin et Martin Rackin du roman éponyme de Harold Sinclair (1907-1966) paru en 1956, complète, après une dizaine d’années, la « trilogie de la cavalerie », composée de Le Massacre de Fort Apache (Fort Apache, 1948), La Charge héroïque (She Wore a Yellow Ribbon, 1949) et Rio Grande (1950).
Les Cavaliers est difficilement étiquetable. Ce n’est pas vraiment un film de guerre, encore moins un western. C’est, peut-être, parce qu’il ne répondait pas à ce qu’attendait le public de John Ford, probablement un autre western après La Prisonnière du desert (The Searchers, 1956), que cette superproduction fut un relatif échec commercial.
Les Cavaliers rappelle un épisode de la guerre civile qui opposa les états du Nord et du Sud de l’Amérique de 1861 à 1865, un sujet délibérément délaissé par Hollywood, après l’extraordinaire réussite d’Autant en emporte le vent (Gone with the Wind, Victor Fleming, George Cukor, Sam Wood 1939, aujourd’hui épuisé, dans l’attente d’une réédition de référence). C’était un épisode mineur, une opération de diversion, l’attaque de Newton’s Station par le colonel Benjamin Grierson à la tête de 1 700 hommes, que John Ford réussira à reconstituer, en respectant les grandes lignes de l’histoire, avec seulement 160 figurants et la complicité de William H. Clothier, chef-opérateur de quatre autres de ses films, dont Fort Apache et L’Homme qui tua Liberty Valance (The Man Who Shot Liberty Valance, 1962).
John Ford met l’accent sur la faiblesse des hommes et les souffrances que la guerre leur inflige. Il accorde aussi une place importante à deux femmes, Hannah Hunter et sa servante noire Lukey. Plutôt que glorifier la guerre, il en souligne l’absurdité, notamment dans une scène où des enfants sont envoyés sur le champ de bataille, les élèves de la Jefferson Military Academy. Une scène imaginée : l’école est restée fermée de 1861 à 1865. À plusieurs reprises, il met surtout en avant l’entraide, y compris vis-à-vis des ennemis.
John Wayne, dans une de la quinzaine de ses collaborations avec John Ford, partage le haut de l’affiche avec William Holden. Ils firent tous deux consciencieusement le job en ponctionnant lourdement le budget, sans que leur statut de superstars et leurs Oscars ne suffisent à attirer l’audience espérée. Hannah Hunter est interprétée par Constance Towers, que John Ford réemploiera en 1960 dans Sergeant Rutledge (Le Sergent noir). Samuel Fuller la placera en 1963 et 1964 en tête d’affiche de Shock Corridor et de Naked Kiss - Police spéciale, mais l’essentiel de sa carrière se déroula sur les petits écrans, notamment dans la populaire et interminable série General Hospital, jusqu’à sa retraite en 2023. Ford s’est toujours attaché la collaboration de fidèles : on reconnaît, sous l’uniforme d’un sheriff sudiste, Russell Simpson, une figure emblématique du cinéma fordien, dans son tout dernier rôle : il allait mourir six mois après la sortie du film.
Les Cavaliers, introuvable depuis l’épuisement de sa dernière édition en 2012, nous revient après une nouvelle restauration opérée en 2024 par le laboratoire TCS à partir d’une numérisation 2K du négatif original. Rimini Éditions lui a donné un des plus beaux écrins dédiés à un film de John Ford après celui de L’Homme tranquille (The Quiet Man, 1952), aujourd’hui épuisé, récompensée le Prix 2022 du meilleur DVD/Blu-ray de patrimoine du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des films de télévision.
De nombreux films de John Ford sont aujourd’hui absents de nos catalogues, qu’ils soient restés inédits ou que les éditions antérieures aient été épuisées. La liste est longue, même en la limitant aux films les plus importants : Le Cheval de fer (The Iron Horse, 1924), Toute la ville en parle (The Whole Town’s Talking, 1935), Le Mouchard (The Informer, 1935), Vers sa destinée (Young Mr. Lincoln, 1939), Sur la piste des Mohawks (Drums Along the Mohawk, 1939), Les Raisins de la colère (Grapes of Wrath, 1940), Les Hommes de la mer (The Long Voyage Home, 1940), Qu’elle était verte ma vallée (How Green Was My Valley, 1941), Les Sacrifiés (They Were Expendable, 1945), La Poursuite infernale (My Darling Clementine, 1946), Le Massacre de Fort Apache (Fort Apache, 1948), La Charge héroïque (She Wore a Yellow Ribbon, 1949), Le Convoi des braves (Wagon Master, 1950), Rio Grande (1950), Mogambo (1953), Le Sergent noir (Sergeant Rutledge, 1960), La Prisonnière du désert (The Searchers, 1962), La Conquête de l’Ouest (How the West Was Won, 1962), La Taverne de l’Irlandais (Donovan’s Reef, 1963), Les Cheyennes (Cheyenne Autumn, 1964).
Les Cavaliers (120 minutes) et ses suppléments (84 minutes, sans compter le commentaire audio) sont supportés par un Blu-ray BD-50 et un DVD-9, logés dans les couvertures d’un Mediabook.
Le film est proposé dans sa langue originale, l’anglais, avec sous-titres optionnels, et dans un doublage en français, les deux au format audio DTS-HD Master Audio 2.0.
Le livre exclusif de 184 pages de Marc Toullec, intitulé John Ford, Monument Man : le réalisateur et ses westerns, abondamment illustré rappelle dans son premier chapitre, Le pied à l’étrier, les six de ses premiers films, parmi lesquels la superproduction Le Cheval de fer (The Iron Horse, 1924). Le chapitre suivant, Renaissance, est consacré, après un passage dans l’ombre du genre du western, à deux jalons de 1939, La Chevauchée fantastique (Stagecoach) et Sur la piste des Mohawks (Drums Along the Mohawk). Ensuite, Quand naissent les légendes analyse le regard du réalisateur sur trois événements historiques avec La Poursuite infernale (My Darling Clementine, 1946), Le Fils du désert (3 Godfathers, 1948) et Le Convoi des braves (Wagon Master, 1950). Puis, Sabres au clair explore la « trilogie de la cavalerie », Le Massacre de Fort Apache (Fort Apache, 1948), La Charge héroïque (She Wore a Yellow Ribbon, 1949) et Rio Grande (1950), « des histoires d’hommes, le moyen pour le réalisateur de démontrer que, sous son cuir épais de cabochard irascible, il peut faire preuve d’une grande sensibilité ». Suit Zone grise, entièrement consacré à La Prisonnière du désert (The Searchers, 1956), « un accomplissement dans l’oeuvre de John Ford, l’un de ses meilleurs films, sinon le meilleur ». Pieds à terre est ensuite réservé aux trois films sur la guerre de Sécession, Les Cavaliers, Le Sergent noiret Les 2 cavaliers (Two Rode Together, 1961). Le chapitre final, Crépuscules, se penche sur les trois derniers grands films de John Ford, L’Homme qui tua Liberty Valance (1962), La Conquête de l’Ouest (How the West Was Won, section sur la guerre de Sécession, 1962) et Les Cheyennes (Cheyenne Autumn, 1964), sortis alors qu’arrivent les westerns spaghetti.
Un livre passionnant sur John Ford et ses westerns, sur leur genèse, sur ses relations avec les acteurs et les studios, sur la réception des films… rendu très vivant par de nombreuses anecdotes de tournage.
Commentaire audio (2001, anglais, sous-titré) par l’historien du cinéma Joseph McBride, auteur de plusieurs livres sur le cinéma, dont deux consacrés à John Ford, John Ford, coécrit avec Michael Wilmington (1974) et Searching for John Ford (2001). Les Cavaliers est le premier film de Ford sur la guerre de Sécession qu’il avait étudiée en profondeur. William H. Clothier, le chef-opérateur, est « la star du film ». Plusieurs autres films de Ford touchant incidemment à la guerre de Sécession sont cités. Le commentaire évoque beaucoup d’autres longs métrages de Ford, l’histoire de la guerre civile, donne de nombreuses informations sur les acteurs secondaires, rapporte des anecdotes de tournage, dont la mort du cascadeur Fred Kennedy et son impact sur Ford…
Bien qu’il n’analyse qu’assez peu la mise en scène, ce commentaire par un spécialiste de Ford et un grand connaisseur de Hollywood, absent des quatre précédentes éditions du film en France, est un utile complément au film.
Conversation entre Margaux Baralon, journaliste cinéma et Emmanuel Raspiengeas (Positif) (2024, 40’). Les deux scénaristes et producteurs John Lee Mahin et Martin Rackin sont à l’origine du projet. Effet du star-system naissant, l’allocation de près des deux tiers du budget de 5 millions de dollars aux cachets de John Wayne et William Holden est mal ressentie par John Ford, de plus agacé par les interventions de Martin Rackin pendant le tournage et affecté la mort d’un cascadeur. Les Cavaliers, un film de guerre à part avec deux personnages principaux ne portant pas d’arme, met l’accent sur les hommes, sur les « soldats sacrifiables ». Les chroniqueurs évoquent la réception décevante du film, les autres scénarios de Mahin, les acteurs, le tournage le matin ou en fin d’après-midi pour avoir la plus belle lumière…
Interview de John Ford, extrait du magazine Cinéastes de Notre Temps du 16 juin 1966 (INA, 29’). Interrogé par André S. Labarthe et Hubert Knapp, John Ford, souffrant et peu impliqué, en anglais avec quelques tentatives en français, rappelle qu’il rejoignit Hollywood comme accessoiriste, cascadeur puis assistant, après avoir été matelot, plongeur et cowboy. Puis, de ses premiers films à partir de 1916, celui dont il se souvient aujourd’hui est The Iron Horse. Hollywood, en dépit d’une mauvaise presse, rassemble des gens merveilleux. Il aime l’argent que lui rapporte son métier, mais aussi l’ambiance des studios. « I have no ambition. I like to make pictures! ». Refaire Stagecoach ? Ce serait une erreur : il n’y a jamais eu de bons remakes ! Parmi les films dont il est fier, bien qu’ils n’aient pas eu de succès : Young Mr. Lincoln (1939) et The Sun Shines Bright (1953). Il aime aussi ses films sur l’Irlande, The Long Voyage Home (1940), six fois nommé aux Oscars, et The Quiet Man (1952).
Interview de William Holden, extrait du magazine Ciné Regards du 14 octobre 1979 (INA, 12’). Interrogé par la journaliste Catherine Laporte Coolen pendant le tournage de When Time Ran Out… (James Goldstone, 1980), il dit aimer la moto, son ranch africain, les voyages, l’agitation des tournages, l’art africain qu’il collectionne. Il avoue être un peu moins enthousiasmé par ses rôles au bout de 40 ans. Parmi les films dans lesquels il a joué, il préfère ceux qui font réfléchir, comme Network, main basse sur la TV (Network, Sidney Lumet, 1976).
Bande-annonce (2’38”).
L’image, au ratio originel de 1.85:1, réencodée au standard 1080p, AVC, soigneusement débarrassée des marques de dégradation de la pellicule, lumineuse, fermement contrastée, affiche des couleurs ravivées, dans une palette Color by Deluxe, beaucoup moins saturée que le Technicolor de plusieurs westerns de John Ford. La définition est satisfaisante, avec un grain irrégulier, paraissant çà et là artificiel.
Le son mono d’origine, réencodé au format DTS-HD Master Audio 2.0, très propre, sans souffle, assure la clarté des dialogues. Une excellente dynamique donne à l’ambiance une présence réaliste, notamment dans les scènes de bataille, et délivre sans saturations la partition de David Buttolph, compositeur de la musique de sept autres films de John Ford.
Le doublage en français, propre lui aussi, est affecté par de fortes saturations de l’accompagnement musical et, surtout, par la monotonie et le manque de naturel des dialogues, placés un peu trop en avant. Il n’a pas été pris en compte pour l’attribution de la note.
Crédits images : © MGM