Réalisé par Hideo Gosha
Avec
Noboru Ando, Akira Kobayashi et Isao Natsuyagi
Édité par Roboto Films
Tokyo, Japon 1974 : le patron d’un bar du quartier Ginza se retrouve impliqué dans une sanglante guerre des gangs entre son ancien clan et un clan rival.
Violent Streets (Boryoku gai / Quartier violent, Jap. 1974) de Hideo Gosha est un film noir policier historiquement intéressant : la Toei produisait de tels films depuis les années 1960 et, surtout depuis 1970, son cinéaste le plus représentatif était Kinji Fukasaku dont le style et la thématique rencontraient un grand succès. Gosha n’était pas spécialiste du genre : il l’avait illustré dans Les Loups (Shussho iwai, Jap. 1971) dont l’action se passait vers 1925 mais sans grand succès ; Gosha s’était surtout fait connaître par des films historiques de combats traditionnels au sabre. La Toei, jugeant qu’il pourrait apporter un sang neuf, lui confia son écurie d’acteurs habituels et, en vedette, l’ancien soldat et yakuza Noboru Ando. L’expression principale de son visage est fascinante car douce et méditative, sobriété apaisée contrastant d’une sournoise manière avec sa réelle et impressionnante cicatrice, suggérant la brutalité et le danger. Ce visage presque physiquement dialectique (au sens platonicien original de ce terme grec antique) se suffit pratiquement à lui-même, enrichissant par sa simple présence des rôles, même secondaires ou tertiaires, qu’il rend aisément inoubliables, par exemple celui du politicien de Shinjuku apparaissant dans quelques plans du Le Cimetière de la morale (Jingi no hakaba, Jap. 1975) de Kinji Fukasaku avec qui il avait aussi travaillé comme conseiller technique sur sa célèbre série des Combat sans code d’honneur durant les années 1970. C’est Koji Shundo, le père de l’actrice Junko Fuji, qui avait lui-même négocié le passage de Ando de la Shochiku à la Toei : ces liens entre milieu du spectacle et milieu yakuza, on peut dire que non seulement Ando les incarnait mais encore qu’il en était une physique mise en abyme !
Le résultat de cette seconde tentative de Gosha dans l’univers du film noir policier, s’avère pourtant inégal. La première partie est à la fois occasionnellement esthétisante (longs plans de coupe de flamenco, accessoires de masques et de mannequins instaurant une distance faussement intellectuelle) et conventionnelle (le yakusa retiré des affaires mais sollicité ou contraint de revenir au crime, le début du film dans un bar, décor le plus convenu du genre). Le scénario, rédigé en partie par Masahiro Kakefuda (le scénariste préféré du cinéaste Teruo Ishii) prend heureusement son envol et retrouve finalement un ton baroque voire frénétique, rivalisant (mais sans jamais l’égaler) avec celui de Fukasaku. Quelques allusions à des faits réels (relevés dans le livret - par exemple dans ses notes 10 et 11 page 33 - et sur lesquels je ne reviens pas) : l’avertissement pré-générique d’ouverture est une simple précaution, d’ailleurs pas seulement juridique. Quelques idées telles que la spectaculaire transsexuelle Madame Joy, redoutable tueuse sexy dont la couverture est un spectacle de peep-show pseudo-lesbien, directement imité de ceux alors visibles en Occident : qu’on songe à la section Copenhague dans le Big Guns (Les Grands Fusils) (Fr.-Ital. 1973) de Duccio Tessari ! Érotisme graphique alors davantage poussé chez Gosha que dans les films contemporains de Fukasaku : cet aspect augmentera en importance durant la décennie 1980-1990, par exemple dans les adaptations par Gosha de la romancière Tomiko Miyao.
Une curieuse faiblesse technique, constante dans les divers films noirs policiers de la Toei des années 1960-1975 et dont Gosha n’est pas responsable car la Toei traitait les effets sonores de la même manière, quel que fût le réalisateur : je veux parler du bruit atténué et à la fois identique donc très irréaliste des détonations d’arme à feu, de poing ou d’épaule. Dans une séquence d’attaque, Ando utilise un revolver à canon de 6 pouces calibre 357 Magnum ou, plus probablement, 44 Magnum (choix évidemment dicté par le succès mondial récent de L’Inspecteur Harry (Dirty Harry, USA 1971) de Don Siegel et du Magnum Force (USA 1973) de Ted Post) ; son complice Bunta Sugawara utilise un fusil de chasse juxtaposé calibre 12 « coach gun » à canon court : les détonations n’ont strictement aucun rapport avec celles qu’on entendrait réellement. Il ne s’agit pas de les restituer telles quelles (l’audition du spectateur serait alors définitivement amputée faute de protection auditive) mais on aurait dû les restituer d’une manière davantage réaliste (par exemple comme dans les films cités de Siegel et de Post où elles le sont remarquablement bien).
Sur le plan de l’histoire du cinéma, une séquence de spectacle (de théâtre mais il s’agit en réalité d’un télécinéma filmé dans certains plans en contrechamps, à la définition un cran nettement inférieur au restant) constitue une claire allusion à la série Lady Yakuza (Hibotan bakuto / La joueuse à la pivoine écarlate) interprétée en vedette par Junko Fuji dans les années 1968-1969. Sur le plan esthétique, en dépit d’un format Scope 2.35 large, Gosha privilégie les plans rapprochés et demi-rapprochés : il faut y voir la conséquence de son activité télévisuelle, quantitativement supérieure à celle de son activité cinématographique et qui influençait inévitablement son style. Le phénomène sera, à partir de la décennie suivante 1980-1990, encore plus marqué.
mediabook limité à 1000 exemplaires, comportant 1 Blu-ray BD-50 région B + 1 DVD9 + 1 livret illustré de 36 pages, édité par Roboto Films le 19 novembre 2024. Durée du film : 96 minutes environ. Images couleurs Full HD 1080p AVC au format original 2.35 respecté, compatible 16/9. Son en DTS-HD Master Audio 2.0 mono VOSTF. Suppléments : présentation par Julien Sévéon + essai vidéo de Robin Gatto sur le cinéma yakusa + bande-annonces de films japonais édités par Roboto Films. Bel objet matériellement soigné et très belle illustration de jaquette sur la première de couverture cartonnée : je la trouve même plus belle que l’affiche originale japonaise. Pourquoi n’avoir pas traduit en français le titre japonais, ce qui donne « Quartier violent » au lieu de « Violent Streets » ? C’est probablement le titre international anglophone Toei à l’exportation et il n’est pas inintéressant de le connaître mais j’aurais préféré une véritable francisation du titre japonais.
Livret illustré 36 pages en couleurs et N&B
Noboru Ando (1926-2016), par Nathan Stuart (pages 4 à 13) : très intéressante biographie, nourrie d’informations précises, de l’ancien soldat et yakuza devenu acteur vedette de films noirs policiers japonais (dont celui-ci) mais aussi écrivain mémorialiste et même chanteur.
Le yakuza moderne, par Pauline Martyn (pages 17 à 33) : brève histoire économique et sociologique des divers clans de gangsters japonais des origines jusqu’à la fin du vingtième siècle, y compris leur influence sur l’histoire du cinéma japonais et les allusions disséminés dans ce film de 1974 à des faits réels.
Ensemble riche, nourri d’informations de première main. Sur le plan matériel, les illustrations couleurs et N&B sont des photos de plateau et / ou des photos d’exploitation (mais alors, dans le second cas, détourées et amputées de leurs lettrines japonaises de présentation) pleines pages. La page 2 reproduit bien l’affiche japonaise originale. L’article de Pauline Martyn mentionne (page 33) quelques références bibliographiques dont une japonaise.
Présentation par Julien Sévéon (2024, 16/9, couleurs, durée 30 minutes environ, 16/9, VF) : c’est la présentation générale, claire et suffisamment pointue à la fois, qu’on peut conseiller en priorité au novice qui apprendra l’essentiel. Elle fait parfois double emploi avec le livret et elle est un peu trop longue mais elle contient des remarques originales qui apportent occasionnellement un complément d’information.
Quartier violent par Robin Gatto (2024, 16/9 couleurs, durée 15 minutes environ) : c’est une présentation cinéphile bio-filmographique pointue - Gatto a écrit le livre Hideo Gosha, cinéaste sans maître (éditions Lettmotif, La Madeleine, 2014) : il connaît son sujet à fond - situant bien le titre dans la carrière de Gosha. En illustration, de belles affiches, un fragment du dossier de presse original japonais (en N&B) et des photos de plateau soigneusement cadrées et même une photo de Christophe Gans en 2014 car Gans aime Hideo Gosha ; il avait préfacé le livre de Gatto. Les noms et les titres japonais sont cités avec un accent japonais assez prononcé, même chose pour les titres anglais : faut-il y voir une coquetterie ou bien l’inévitable habitude de ceux qui ont beaucoup voyagé au Japon et ont dû s’exprimer dans les deux langues ? Quoi qu’il en soit, il faudrait systématiquement fournir le titre français d’exploitation lorsqu’il existe, quitte à s’en tenir aux titres japonais originaux et aux titres anglophones d’exportation dans le cas inverse.
Bandes-annonces : il s’agit de la bande-annonce originale Toei (2.35 compatible 16/9, couleurs, VOSTF) du film de Gosha de 1974 - en excellent état argentique et historiquement intéressante car ses slogans permettent de comprendre dans quel esprit la Toei avait produit et distribué le film : les slogans sont traduits en lettres capitales ; les quelques fragments entendus de dialogue sont traduits juste en-dessous en caractères normaux plus petits - et de quelques bandes-annonces remontées contemporaines à partir du matériel argentique restauré, en parfait état vidéo, des divers titres japonais édités par Roboto Films.
Edition collector indispensable au cinéphile francophone amoureux du cinéma japonais en général, du film noir policier japonais et du cinéaste Hideo Gosha en particulier.
Beau transfert numérique Full HD 1080p AVC au format respecté 2.35 compatible 16/9 d’une copie argentique parfaitement restaurée. La séquence où Sugawara et Ando assistent à un spectacle contient quelques plans à la définition inférieure mais il s’agit d’une curieuse expérimentation de Gosha qui fait passer des plans cinéma (probablement filmés en contrechamps à partir d’un télécinéma) pour une action située sur une scène de théâtre. Cette édition Full HD devient l’édition numérique française de référence.
DTS-HD Master Audio 2.0 en VOSTF : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone car le film était inédit au cinéma en France et n’a donc jamais été doublé en VF. Sous-titres très bien traduits (sauf un « prit » erroné à la place d’un « pris » dans les STF de la bande-annonce originale de 1974 : simple coquille) et très bien lisibles sans être envahissants. Musique parfois un peu décalée, instaurant même, dans le cas des flamenco espagnols, une curieuse distance sonore avec le contexte. Son unifié et irréaliste des détonations d’armes à feu (de poing comme d’épaule) mais c’est une constante Toei, pas un choix de Gosha lui-même.
Crédits images : © Toei Tokyo