Le Corps et le fouet (1963) : le test complet du Blu-ray

La Frusta e il corpo

Édition Collector Blu-ray + DVD + Livret

Réalisé par Mario Bava
Avec Daliah Lavi, Christopher Lee et Tony Kendall

Édité par ESC Editions

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Le 13/10/2020
Critique

« C’est peut-être le préféré de mes films tournés en Italie ». (Christopher Lee, in Midi-Minuit Fantastique n°14, Paris juin 1966, p. 342

Le Corps et le fouet

Europe, dix-neuvième siècle : Nevenka est victime d’une dangereuse passion sado-masochiste pour son beau-frère Kurt Menliff, baron violent responsable du suicide de la fille de Giorgia, gouvernante de leur château. Il y est revenu, après un exil solitaire, à l’annonce du mariage de Nevenka avec son frère Christian. L’accueil qu’on lui réserve est glacial et leur père lui manifeste publiquement sa réprobation. Nevenka ne peut néanmoins se soustraire à l’emprise de Kurt : elle se livre à lui sur la plage, dès le lendemain. Kurt meurt le soir même, mystérieusement assassiné. Nevenka se persuade alors progressivement que le fantôme de Kurt hante la demeure, revenu d’entre les morts non seulement pour se venger de ceux qui l’ont trahi mais aussi pour elle.

Le Corps et le fouet (La Frusta e il corpo, Ital.-Fr. 1963) de Mario Bava se situe, dans sa filmographie, entre Les Trois visages de la peur (Ital.-Fr.-USA 1963) et Six femmes pour l’assassin (Ital.-Fr.-RFA 1964).

Il avait été conçu par ses co-producteurs (à commencer par Luciano Martino) comme un rival formel des productions contemporaines Hammer Films d’une part, American International Pictures d’autre part. Sur le plan plastique comme thématique, il ressemble effectivement assez à un film de la série Edgar Poe dirigée par Roger Corman pour la A.I.P. : casting réduit, scénario exploitant la nécrophilie latente ou manifeste, une psychopathologie criminelle, un érotisme virulent et des manifestations surnaturelles, des décors de studio magnifiquement exploités - aux intérieurs repérables dans divers films fantastiques italiens contemporains, par exemple la même année dans La Vierge de Nuremberg (Ital.-Fr. 1963) d’Antonio Margheriti - et quelques beaux extérieurs.

Le suspense tendu du scénario signé Ernesto Gastaldi (l’un des scénaristes les plus doués et les plus prolifiques du cinéma-bis italien des années 1960-1975) repose sur la question classique de savoir si le surnaturel est avéré. Il pousse les choses un peu plus loin que d’habitude, en donnant la vedette à une femme, Nevenka, clairement dépeinte comme une masochiste dont la passion n’est pas annihilée mais renforcée par la mort de l’amant. Au fond, ce Bava retrouve, sous des dehors sophistiqués et modernistes, le thème classique de l’âge d’or américain 1931-1945 du genre : celui de l’amour fou et / ou du monstre amoureux. La fin fait écho au vieux songe romantique de l’union des âmes par-delà la mort mais il est renforcé par une sorte d’androgynie non moins romantique : Nevenka est devenue le corps agissant de Kurt par une surnaturelle osmose d’outre-tombe, à moins qu’elle ne soit démente ou… qu’il s’agisse d’un cauchemar ? Les trois interprétations sont juxtaposées par une mise en scène consciente d’elle-même et manifestant plastiquement cette conscience au spectateur, d’où le sentiment constant - celui d’une construction s’élaborant sous nos yeux, résultat d’une dynamique dont l’étiologie nous échappe jusqu’à la fin - de modernité et d’inquiétude.

Le budget n’est pas si serré qu’il y paraît (après tout, six semaines de tournage, une semaine pour les effets spéciaux : convenons qu’il y eut et qu’il y aura bien pires conditions de tournage dans l’histoire du cinéma-bis) et ce titre de Bava respire même mieux que certains films contemporains de Roger Corman car il est plus riche en extérieurs, tournés près d’Anzio. L’originalité relative (car c’est un des films de Bava les plus classiques sur le fond comme sur la forme, bien que cette dernière soit passible d’analyses complexes sur le plan technique) provient de deux éléments : la relation sado-masochiste entre Nevenka et Kurt, ouvertement donnée comme telle par le script de Gastaldi sans autre justification ni précaution oratoire, et le traitement temporel de l’action, conçue comme une sorte de cauchemar au temps distendu par l’angoisse, la terreur panique puis refermé in-extremis sur lui-même. Sur le plan du casting, Christopher Lee et Daliah Lavi crèvent l’écran à chaque fois qu’ils apparaissent mais ils sont entourés par d’excellents seconds rôles qu’il ne faut pas négliger car ils furent la chair et le sang du cinéma-bis de cette décennie : qu’on songe à Luciano Pigozzi, le Peter Lorre italien qui sera aussi bien servi par Bava que par Margheriti. Direction artistique soignée, stylisée et soucieuse du moindre détail : la rose épineuse rouge sang que tient Daliah Lavi entre ses beaux doigts effilés, le poignard taché de sang et au manche délicatement sculpté conservé par Giorgia.

Il faudrait décidément éditer un jour un coffret Mario Bava qui contiendrait l’intégralité de sa filmographie fantastique de 1960 (Le Masque du démon) à 1977 (Shock).

PS :
Sorti avec trois ans de retard à Paris en 1966 mais en version intégrale (ce qui n’était pas le cas en Angleterre ni en Italie, selon Paul-Louis Thirard in Midi-Minuit Fantastique n°14, Paris juin 1966, page 449), Le Corps et le fouet de Bava était devenu pratiquement invisible en exploitation dans les cinémas français dès 1970. Ce n’était pas un film-culte (l’objet d’un culte, lorsqu’il s’agit d’un film, doit de préférence être visible) mais un film littéralement mythique. Qu’on en juge par ce simple exemple : lorsque l’homonyme Le Corps et le fouet (Gefangene frauen / Caged Women, Suisse 1980) d’Erwin C. Dietrich (alias Michael Thomas au générique) fut distribué à Paris, les caissières des salles populaires de boulevards qui le programmaient, reçurent des coups de téléphones de cinéphiles demandant s’il s’agissait d’une providentielle reprise du Bava. Elles étaient généralement dans l’incapacité de répondre à la question. D’autant moins que les titres homonymes étaient depuis longtemps un fléau que l’attribution des n° de visas de censure ne suffisait pas à corriger. La seule solution était de se déplacer pour en avoir le coeur net : une partie non négligeable des spectateurs parisiens qui contribuèrent aux recettes en salles de ce titre signé Dietrich venaient donc, à l’origine, uniquement voir ou revoir le titre classique de Bava.

Le Corps et le fouet

Présentation - 5,0 / 5

1 mediabook combo collector 1 Blu-ray BD50 région B + 1 DVD + 1 livret, édité par ESC le 5 févier 2019 (puis le 16 septembre 2020 sans le DVD ni le livret), collection Mario Bava. Image couleurs au format original 1.85 (1.78 nominal) compatible 16/9. Son DTS-HD Master Audio 2.0 VISTF, VASTF et VF. Durée du film sur BRD : 87 min. environ. Suppléments : commentaire audio de Tim Lucas (VOSTF), présentation par Alexandre Jousse (25 min. environ) + analyse par Nicolas Stanzick (21 min. environ) + entretien sur Christopher Lee avec Laurent Aknin (20 min. environ).

Livret 16 pages de Marc Toullec : illustré de quelques affiches et surtout de très belles photos de plateau (dont la plus célèbre : Daliah Lavi à la rose rouge), il utilise les témoignages de première main de l’actrice vedette Daliah Lavi et du scénariste Ernesto Gastaldi (y compris sa curieuse déclaration de 1970 reprochant à Bava d’avoir transformé son scénario original de 1963 en un « mélodrame baroque et décadent ») afin de retracer au plus près la genèse, le tournage, et la réception commerciale et critique du film. Il brosse aussi succinctement mais précisément la bio-filmographie des acteurs principaux (Daliah Lavi, Christopher Lee, Luciano Pigozzi, Tony Kendall, Ida Galli). Juste une correction factuelle : ce n’est pas seulement à la télévision américaine que Le Corps et le fouet a été présenté sous le titre de What (sans point d’interrogation ni d’exclamation, ainsi que le précise Tim Lucas) mais aussi dans les salles américaines de cinéma. Un regret : la bibliographie des sources - que Marc Toullec mentionne scrupuleusement à la fin de chaque livret - devrait mentionner l’année d’édition de chaque source, pas seulement le nom de l’auteur du livre, son titre et son éditeur.

Bonus - 5,0 / 5

Cette édition rend justice au film de Bava et permet d’appréhender parfaitement sa place dans l’histoire du cinéma.

Commentaire audio par Tim Lucas (VOSTF) : c’est le supplément majeur de cette édition puisque Lucas est non seulement le rédacteur en chef du célèbre fanzine (devenu un magazine) fantastique Video Watchdog mais encore l’historien du cinéma ayant écrit l’un des livres de référence anglophone le plus ample sur Mario Bava. Il contient des informations de première main, puisque Lucas a pu s’entretenir avec Ernesto Gastaldi, avec Luciano Pigozzi, avec Christopher Lee, avec Harriet Medin White. Les spectateurs anglophones pouvaient déjà écouter ce commentaire audio en supplément à l’ancien DVD américain NTSC zone 1, raison pour laquelle le terme « DVD » est entendu une ou deux fois. Il avait été ensuite repris sur le Blu-ray américain Kino Lorber édité en 2013 et il est enfin accessible aux spectateurs francophones par la grâce de cette VOSTF en 2020.

D’où vient le pseudonyme « John M. Old » que le producteur Luciano Martino avait demandé à Bava d’inventer pour faire croire que le réalisateur du film était anglais ou américain ? Vous le saurez, parmi mille autre choses, en l’écoutant vous aussi. Lucas croise savamment les filmographies afin d’en extraire les lignes de force : ce titre de 1963 est, par exemple, le premier film fantastique joué par le sosie italien de Peter Lorre, à savoir Luciano Pigozzi tandis que cette même année 1963, Peter Lorre tourne son ultime film fantastique aux USA.

Cela dit, comme toute oeuvre, ce commentaire est perfectible : il arrive (rarement mais cela arrive) qu’il paraphrase l’action. Il arrive aussi qu’il pèche un peu par omission : bien sûr le thème de la prophétie est présent dans le scénario, co-écrit (et non pas intégralement écrit, comme on pourrait le croire en s’en tenant à ce que dit Lucas) par Ernesto Gastaldi, de Persée l’invincible (Ital.-Esp. 1963) d’Alberto de Martino mais le même thème se trouve aussi dans Jason et les Argonautes (GB 1963) de Don Chaffey. Lucas a d’ailleurs raison de mentionner qu’on le trouvait dans Hercule contre les vampires (Ercole al centro della Terra, Ital.-RFA 1961) de Mario Bava mais alors pourquoi ne pas ajouter qu’il se retrouve aussi, dix ans plus tard, dans La Baie sanglante (Ital. 1971) de Mario Bava ? Abondance de biens ne nuit jamais : inutile de se restreindre ! Enfin, on peut tiquer à l’énoncé de certains jugements historiques : comment qualifier de classique une série C certes historiquement intéressante mais fondamentalement mineure telle que L’Orgie des vampires (Il mostro dell Opera, Ital. 1961-1964) de Renato Polselli et la placer, dans la même phrase, sur le même plan qu’un film fantastique de Freda ou de Bava ou de Margheriti ? Lucas aurait dû préciser qu’il emploie ce terme de « classique » plutôt au sens historique qu’au sens critique. Pour le formuler autrement, il est donc parfaitement vrai que le titre de Polselli appartient à la période désormais classique du cinéma fantastique italien d’horreur et d’épouvante au sens historique du terme mais il n’est pas vrai qu’il soit par-lui-même un classique au sens critique du terme. Abondance de nuances ne nuit pas non plus !

L’un des grands mérites de Lucas est d’arriver, en quelques phrases, à donner un excellent résumé de la trajectoire et des lignes de force d’une bio-filmographie : qu’il s’agisse du réalisateur Mario Bava, du scénariste Ernesto Gastaldi, du compositeur Carlo Rustichelli, du décorateur, des acteurs, vous saurez l’essentiel de ce qu’il faut savoir. L’exercice n’est pas si évident et Lucas me paraît être l’un de ceux qui s’y plie le mieux. Autre mérite : il est capable d’analyser techniquement la texture des plans sur lesquels des effets spéciaux sont visibles, d’une manière simple et très claire. Son livre sur Bava est devenu un objet de collection recherché par les cinéphiles du monde entier : les auditeurs de ce commentaire audio auront un aperçu de la richesse d’informations qu’il déployait, en l’écoutant.

Le sous-titrage en est globalement correct mais n’est pas exempt de coquilles : par exemple, Liciano au lieu du correct Luciano Pigozzi survient une ou deux fois. Le titre d’exploitation français Les Week-ends de Néron (Mio figlio Nerone, Ital.-Fr. 1956) de Steno, photographié par Bava et dans lequel Brigitte Bardot jouait le rôle de Poppée, n’est pas La Maîtresse de Néron. Ce dernier titre est la traduction littérale du titre d’exploitation américain, cité par Lucas dans son commentaire audio américain mais il est inadapté à l’auditeur français à qui on doit fournir le titre correspondant à son visa français d’exploitation et sous lequel l’histoire française du cinéma mondial le connaît depuis sa sortie.

Le Corps et le fouet

Présentation par Alexandre Jousse (durée 25 min. environ) : illustrée par de nombreuses affiches et photos de plateau de divers films de Bava, elle analyse très précisément et très soigneusement la mise en scène et les effets spéciaux de Le Corps et le fouet, tout en les replaçant thématiquement dans l’ensemble de la filmographie de Bava : fondus enchaînés, peinture sur verre (ou même fragment de carte postale sur verre), panoramiques, travellings, traitement de la couleur. Elle cite également des extraits utiles d’entretiens avec Bava dans lesquels il caractérise lui-même son art et sa thématique : ce qui l’intéressait, c’était de filmer la montée de la peur chez un personnage. Son cinéma avait donc, de ce point de vue, quelque chose de phénoménologique et il me semble avéré que Bava est un héritier de Carl Th. Dreyer : je renvoie ici à mon analyse du Vampyr (Dan. 1932) de Dreyer, parue sur Stalker-Dissection du cadavre de la littérature. Cela dit, attention aux effets de fausse perspectives dans l’histoire du cinéma : l’esthétique du cinéma fantastique ne débute évidemment pas, même si le scénariste Ernesto Gastaldi, cité par Jousse, revendiquait son influence comme décisive, avec Les Diaboliques (Fr. 1955) d’Henri-Georges Clouzot. Bava hérite et modèle à sa guise l’ensemble l’héritage du cinéma fantastique des origines muettes à 1960 et il l’intègre aux autres aspects de la culture. Jousse utilise d’une manière intéressante la critique de Paul-Louis Thirard parue dans Midi-Minuit Fantastique n°14 en 1966 afin de mettre en lumière en quoi l’usage de l’entrée des mains inconnues dans le champ n’est pas, comme le pensait Thirard, un simple jeu gratuit avec le spectateur mais préfigure au contraire, d’une manière très rigoureuse, la séquence-clé finale où Nevenka est révélée comme dea ex machina. Peut-être Jousse est-il cependant un peu trop indulgent envers ce texte français de 1966 : je ne pardonne pas, pour ma part, à Thirard d’avoir osé écrire que les raccords de Bava étaient beaux mais faux. Jousse apprécie certainement en connaisseur l’absurdité de l’assertion de Thirard : c’était l’occasion de la contredire et j’aurais aimé qu’il le fît expressément. Cette assertion, lorsque je la relis aujourd’hui, persiste à m’agacer souverainement. Bonne remarque sur l’influence plastique du plan photographié par Freddie Francis dans Les Innocents (GB 1961) de Jack Clayton (adapté d’après Le Tour d’écrou d’Henry James), montrant le fantôme apparaissant derrière une fenêtre : il a probablement influencé Bava pour le plan de Lee correspondant, lorsque Nevenka l’aperçoit. Présentation au total bien montée, brillante, utile et mettant en valeur les documents sélectionnés.

Analyse par Nicolas Stanzick (durée 21 min. environ) : illustrée par quelques extraits du film, c’est plutôt elle la véritable présentation et c’est par elle qu’il faudrait donc plutôt débuter la vision de ces bonus. Stanzick replace soigneusement Bava dans l’histoire du cinéma fantastique de 1955-1965, examine en quoi son esthétique diffère de celle de ses contemporains, en quoi elle s’y rattache. Je suis d’accord avec lui concernant le fait que Daliah Lavi est le pivot central du film, d’accord aussi concernant l’aspect hitchcockien du suspense : Le Corps et le fouet pourrait être un cauchemar de Nevenka et le film tiendrait encore debout. Il a un aspect absolument surréaliste. Tout le suspense de l’histoire repose d’ailleurs sur ce conditionnel « pourrait » qui n’est pas l’indicatif ! Savoureuses remarques sur l’abstraction et la manière dont les images acquièrent une sorte d’autonomie abstraite dans le cinéma de Bava : Jousse s’y est d’ailleurs aussi très bien intéressé dans sa propre présentation. C’est un aspect qui mérite d’être souligné et auquel le recul du temps confère une prégnance à laquelle les critiques contemporains étaient moins sensibles, Jean-Marie Sabatier mis à part mais on sait qu’il fut le meilleur exégète de Bava en France. Ce qui déplaisait aux spectateurs des années 1980, cette lenteur apparente des déplacements, leur complication sophistiquée mais considérée comme irréaliste, est précisément ce qui caractérise la profondeur de l’art de Bava, ce qui confère un pouvoir de fascination à la manière dont sa caméra sculpte plastiquement l’histoire qu’il raconte.

Remarque factuelle : c’est plutôt La Chambre des tortures (USA 1961) de Roger Corman que La Chute de la Maison Usher (USA 1960) de Corman qui influença, à la demande du producteur Luciano Martino (le livret et le commentaire audio de Tim Lucas le confirment) la conception plastique de Le Corps et le fouet. L’insistance du scénario de Gastaldi sur l’action finale se déroulant dans une crypte provient de cette exigence.

Entretien avec Laurent Aknin sur Christopher Lee (durée 20 min. environ) : Aknin est l’auteur d’une biographie de Christopher Lee et est donc bien placé pour examiner la section italienne de la filmographie de cet acteur en partie d’origine italienne. Lee était particulièrement satisfait de sa collaboration avec Bava sur Le Corps et le fouet. Il aurait souhaité tourner avec lui une fois de plus (Bava avait dirigé Lee une première fois dans Hercule contre les vampires en 1961) mais les aléas des tournages et des contrats de casting ne lui en donnèrent finalement jamais une troisième occasion. En revanche, des années plus tard, lors de la projection de La Baie sanglante à laquelle Lee assistait, il manifesta publiquement sa désapprobation de la violence du film de Bava en quittant la salle, ce que Aknin ne mentionne pas mais qui mérite de l’être, si on veut brosser complètement leur relation. La majeure partie de l’entretien avec Aknin concerne la carrière de Lee en général mais il utilise, vers la 13ème minute 30 seconde, un extrait de la version anglaise du Corps et le fouet afin de montrer les qualités de la diction et de la sonorité de la voix de Lee : ce n’est pourtant pas la voix de Lee qu’on entend dans cette version ainsi que je l’explique un peu plus bas dans la section consacrée au son.

L’utilisation récurrente du terme « gothique » comme synonyme de « film fantastique d’épouvante » par Aknin, Jousse, Stanzick et Toullec correspond à une mode bien établie depuis plusieurs années mais me semble cependant assez regrettable car inexact sur le plan historique. La plupart des films d’épouvante produits par la Hammer films anglaise de 1955-1975, par la American International Pictures de Samuel Arkoff et James H. Nicholson de 1955-1975, et par les producteurs italiens des années 1960-1975 ne sont pas inspirés par le roman gothique anglais de 1770 ni par l’art gothique du treizième siècle étudié par Émile Mâle mais par une littérature anglaise et américaine victoriennes et post-victoriennes. Je renvoie ici à ma note additionnelle historique et critique sur l’emploi abusif de ce terme, située à la suite de ma critique de Les Sévices de Dracula (Twins of Evil, GB 1971) de John Hough et qu’on pourra lire, en version revue et augmentée, archivée en ligne chez Stalker-Dissection du cadavre de la littérature. Littéralement, le terme « gothique » désigne uniquement, en histoire de l’art, l’art plastique et l’architecture du treizième siècle et, en histoire de la littérature, les romans fantastiques anglais de la fin du dix-huitième siècle mais pas ceux du dix-neuvième siècle, donc pas les romans victoriens et post-victoriens adaptés par le cinéma fantastique classique. Ce terme ne s’applique donc pas aux objets ici envisagés, en dépit de sa popularité actuelle parmi les critiques français. C’est un détail qui n’invalide évidemment pas la pertinence récurrente de leurs autres propos mais que je ne me lasse néanmoins pas de relever à chaque fois que j’en ai l’occasion.

Au total ensemble remarquable qui, si on y ajoute le livret, mérite bien la note maximale. Un seul regret : l’absence d’une galerie photos comprenant la reproduction des jeux complets de photos italiennes (1963) et françaises (1966) d’exploitation.

Le Corps et le fouet

Image - 5,0 / 5

Full HD 1080p au format large original 1.85 (ici en 1.78 nominal) en couleurs et compatible 16/9. Copie argentique en très bon état en dépit de quelques poussières blanches (une dizaine environ, pas plus) et d’une très fine, à peine perceptible, rayure verticale en plein milieu d’un gros plan de Daliah Lavi, pendant l’enterrement de Kurt. Le reste est impeccable. Sur écran large, la texture chaude du grain est préservée et son spectre bien nuancé, à la dominante bleue (alliée régulièrement au rouge sang, au violet, au vert) s’allie à une admirable définition et à des noirs profonds. Le surcroît de définition fait merveille dans les scènes de nuit (extérieurs comme intérieurs). Direction de la photographie signée Ubaldo Terzano (sous pseudonyme anglo-saxon) mais contrôlée, comme d’habitude, par Mario Bava lui-même. Générique français d’ouverture sur les trois versions sonores ne mentionnant que les pseudonymes anglo-saxons de l’équipe italienne de production et de tournage. Ils sont soigneusement décryptés dans les bonus, notamment dans le commentaire audio de Tim Lucas. Ces correspondances étaient déjà soigneusement fournies dès 1966 aux cinéphiles francophones dans la fiche technique accompagnant la critique parue in n°14 de la revue Midi-Minuit Fantastique.

Son - 5,0 / 5

DTS-HD Master Audio 2.0 mono en VO italienne STF (mono), en VF (stéréo), en VA anglaise STF (stéréo). Offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone car il existe parfois des distinctions intéressantes à relever entre les trois pistes sonores. Par exemple, peu avant sa mort violente, Kurt ouvre une porte et observe le couloir désert : il a cru entendre quelque chose mais quoi ? Dans la VA, une voix féminine sourde a prononcé deux fois son prénom; dans la VF et dans la VI, cette voix est remplacée par une mélodie angoissante. En revanche, dans les trois pistes sonores, cette fois juste avant sa mort, la même voix se fait décidément à nouveau entendre. Concernant la VF d’époque, le générique français d’ouverture d’époque (bien conservé) mentionne sur une colonne les doubleurs français mais pas les rôles auxquels leurs noms correspondaient. C’était parfois le cas sur certaines VF d’autres films italiens, pas sur celui-là. Christopher Lee, déjà de retour en Suisse à la suite du tournage, fut doublé en auditorium non seulement sur la piste italienne mais encore sur la piste anglaise : il le regretta car il considérait que c’était le meilleur titre qu’il ait tourné en Europe continentale. C’est à cause de ce regret qu’il exigea ensuite l’insertion systématique d’une clause dans ses contrats, mentionnant qu’il se doublerait lui-même en version anglaise dans le cas d’une post-synchronisation en auditorium. Célèbre partition musicale composée par Carlo Rustichelli : certains fragments en furent réutilisés pour les postérieurs Six femmes pour l’assassin de Bava et Opération peur (Ital. 1966) de Bava.

Crédits images : © Droits réservés

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
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francis moury
Le 14 octobre 2020
Film d'épouvante classique où Bava, au moyen d'une mise en scène très sophistiquée, illustre le thème surréaliste de l'amour fou.
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Patrick
Le 1 mars 2008
Ce n'est pas le meilleur de la filmo de M. Bava mais l'histoire et le rythme sont bien cadencés. Je ne raconterai pas l'histoire elle a été déjà décrite plus haut.
La note de 8 est le manque de bonus pour un film qui méritait d'en avoir, exemple l'analyse du scénario, dommage.
A découvrir ou à revoir.
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Josquin
Le 28 février 2006
Un chef-d'oeuvre sulfureux et obscur signé Mario Bava, le maître italien du Gothique. L'histoire, teintée fortement de sado-masochisme, est soutenue par un Christopher Lee plus sombre que jamais, et la sublime Daliah Lavi qui s'abandonne avec langueur à un traitement de choc, effrayée d'y prendre plaisir. Le film est d'autant plus évocateur qu'ici point de chaînes, de cages ou d'accessoires faisant références à un certain marquis. Non, juste un ruban de cuir tressé dont les volées s'abattent avec conviction. Ajoutez à cela les intérieurs rustiques d'un château loin de tout, ses couloirs ténébreux, une tension intestine, un lot de phénomènes inexpliqués, des acteurs géniaux, et vous obtenez un film de spectre vengeur rare de beauté et d'intensité. Une oeuvre incontournable.

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