Réalisé par Paul Leni
Avec
Conrad Veidt, Mary Philbin et Olga Baclanova
Édité par Elephant Films
L’Homme qui rit (The Man Who Laughs) (USA 1928) de Paul Leni (1885-1929), produit par Carl Laemmle pour la Universal, est un film muet gros budget appartenant à la période américaine finale de Leni. Il fut projeté à Paris aux Folies-Bergères en tant que « superproduction dramatique » : de fait il a coûté beaucoup d’argent et il est dramatique. Adapté d’un roman français (1869) de Victor Hugo, il en retient une ligne directrice enfantine, éventuellement mais rarement matière à l’expressionnisme dont Leni avait été, en Allemagne, l’un des plus importants cinéastes. Son roi tortionnaire anglais James II (= « Jacques II » dans la VOSTF) a d’ailleurs quelque chose du sadisme du Ivan le terrible que Leni avait déjà mis en scène (d’ailleurs joué par Conrad Veidt) dans l’une des histoires de son Cabinet des figures de cire (All. 1924).
La dualité morale / physique du héros clown défiguré, joué par Conrad Veidt (1893-1943), fait écho à celle des personnages incarnés par Lon Chaney (1883-1930) dans les films fantastiques muets contemporains de Tod Browning. Autre point commun avec la filmographie de Browning : la présence de l’actrice Olga Baclanova qui jouera dans son Freaks, la monstrueuse parade (USA 1932). Cette dualité annonce, en outre, celle des célèbres monstres de l’âge d’or fantastique parlant américain de 1931-1945, initié et achevé par la firme Universal mais auquel s’agrégèrent rapidement d’autres « majors » telles que MGM, Paramount, Warner, RKO. La foule n’est ici pas encore ennemie du monstre : en 1928, chez Leni, elle l’aide à s’échapper au lieu de vouloir le tuer. On lit parfois que Chaney avait été approché pour le rôle ou qu’il fut embauché mais quitta le plateau pour x raison : c’est inexact puisque Chaney, alors sous contrat avec la MGM, ne pouvait pas jouer dans un film Universal. Le rôle, cela dit, lui aurait assurément convenu comme un gant : durant la période 1923-1930, on sait que Conrad Veidt fut autant le Chaney allemand que Chaney fut le Veidt américain. Il faudrait rééditer la filmographie allemande muette expressionniste intégrale de Veidt, la plus passionnante et pour laquelle on ne dispose chez nous que de quelques titres certes majeurs mais ne suffisant tout de même pas à donner une idée de l’ampleur de son registre. Car Veidt fut non seulement, mutatis mutandis, le Chaney allemand mais il fut aussi, en raison de son amour pour les personnages psychopathes, fous ou drogués, le précurseur muet du Klaus Kinski des années 1960-1970, son héritier filmographiquement comme dramaturgiquement le plus direct.
Sur le plan de l’histoire du cinéma fantastique, signalons la présence au générique de L’Homme qui rit des deux bons cinéastes de série B Lew Landers (alias « Louis Friedlander », 1901-1962) et Edward L. Cahn (1899-1963). Chacun d’eux tourna, entre 1930 et 1960 environ, une centaine de films cinéma (et des dizaines d’épisodes de séries TV) parmi lesquels certains classiques du cinéma fantastique qu’il faudrait impérativement rééditer – ou même éditer tout court car certains sont encore inédits chez nous en vidéo ! - en Blu-ray un jour ou l’autre. Le premier est crédité comme « membre de l’équipe de production » et le second est crédité comme « monteur ». Sans oublier, last but not least, un troisième nom important parmi le générique technique, à savoir celui du célèbre maquilleur Jack Pierce (1889-1968) à qui ont doit les visages des monstres les plus célèbres de l’âge d’or fantastique Universal. Cela dit, c’est davantage pour Conrad Veidt acteur expressionniste que pour Paul Leni cinéaste expressionniste qu’il faut visionner L’Homme qui rit car ce titre est nettement plus sobre et nettement moins expressionniste esthétiquement, sur le pur plan de la mise en scène, que le passionnant The Cat and the Canary (The Cat and the Canary) (USA 1927) tourné par Leni un an plus tôt à Hollywood.
1 combo Blu-ray 50 Full HD 1080p zone B + 1 DVD 9 zone 2, édité le 30 janvier 2019 par Eléphant. Format image 1.20 N&B compatible 16/9, son muet avec deux accompagnements musicaux disponibles. Intertitres VOSTF, durée du film : 110 min environ. Suppléments : présentation par M. Macheret (critique au Monde), remarques sur la musique par Jacques Cambra (pianiste), galerie photos, bandes annonces.
Présentation du film par Mathieu Macheret, journaliste au Monde (durée : 25 min. environ) : globalement bonne sur le plan historique comme sur le plan de l’analyse de la mise en scène. Elle comporte une ou deux paraphrases un peu longues du scénario (par exemple vers la 8ème minute) et, bien sûr, elle n’est pas exhaustive sur le plan de l’histoire du cinéma : j’ai donc tenté de la compléter et de la préciser sur certains points dans ma critique. Cela dit, je suis moins enthousiaste que Macheret concernant ce titre.
Remarques sur la nouvelle musique du film par J. Cambra, pianiste (durée : 30 min. environ) : passionnant pour les musicologues mais les spectateurs ordinaires apprendront beaucoup de choses : raisons pour lesquelles l’orchestration fut différente pour un même film d’une projection à l’autre, d’un pays à l’autre, d’une salle de cinéma à l’autre et même, dans une même salle, d’une séance à l’autre (exemple du Gaumont Palace), influence d’Hector Berlioz sur la musique de film, etc. Cela dit, la durée de ce supplément, est, comme celle du supplément précédent, trop longue.
Galerie photos : une quinzaine de photos N&B de plateau. A noter qu’il en existait une (ici non reproduite) dans laquelle le clown devenu Lord invitait à sa luxueuse table la jeune aveugle amoureuse de lui. La scène fut tournée, au moins photographiée mais sans doute coupée au montage avant exploitation ? Macheret n’en dit rien mais il ne peut pas tout savoir non plus.
Bandes annonces : L’Homme qui rit (bande annonce montée pour la reprise vidéo 2019 mais qui n’est pas donc pas la BA originale de 1928), Les Fiancées en folie (Seven Chances) (USA 1925) de et avec Buster Keaton (idem : BA contemporaine récente, pas celle de 1925), La Féérie du jazz (King of Jazz) (USA 1930) de J. M. Anderson, (idem : BA contemporaine récente, pas celle de 1930, et qui comporte même un module de restauration car elle présente certains plans avant et après restauration numérique).
Bref, honorables bonus mais ils seront probablement nettement surclassés en précision et en documents d’histoire du cinéma de première main par les suppléments anglophones annoncés sur l’édition américaine Flicker Alley qui va sortir en juin 2019 et qui devrait comprendre un livret inédit de Kevin Bronlow, un documentaire sur la période Universal du cinéaste Paul Leni, un essai de Sonia Coronado sur la nouvelle partition ainsi qu’une galerie affiches, photos et publicités plus ample que celle ici proposée.
Format 1.20 original N&B compatible 16/9, numérisé en Full HD 1080p. Copie argentique assez bien restaurée mais quelques imperfections subsistent : déchirures occasionnelles, émulsion instable sur certains plans. Numérisation de bonne qualité, effectuée à partir de la copie 35mm tirée en 1954 par Universal d’après le négatif nitrate. La majorité des poussières, saletés et brûlures ont été nettoyées. Très bonne définition, à partir d’un master 4K exploité ici en Full HD.
Aucune piste son puisqu’il s’agit d’un film muet. Intertitres américains aux STF corrects et bien lisibles. Deux musiques d’accompagnement sont disponibles en DTS Master Audio : la musique originale Movietone d’exploitation de 1928 à écouter en priorité car c’est un document sonore de première main et une musique plus récente composée par la Berklee School of Music. La musique Movietone de 1928 n’est pas seulement une musique mais, sur certaines séquences, une musiques additionnée d’effets sonores assimilables à du bruitage. Elle est donc très vivante. La partition récente n’a, selon moi, strictement aucun intérêt mais elle fournit une illustration musicale aux normes techniques actuelles.
Crédits images : © Elephant Films