Un Justicier dans la ville (1974) : le test complet du Blu-ray

Death Wish

Édition Collector Blu-ray + DVD + Livret

Réalisé par Michael Winner
Avec Charles Bronson, Hope Lange et Vincent Gardenia

Édité par Sidonis Calysta

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Le 27/11/2019
Critique

Film noir policier américain violent désormais classique : une date dans le genre autant que dans les filmographies de Winner et Bronson.

Un justicier dans la ville

Sorti à Paris le 22 octobre 1974, Un justicier dans la ville (Death Wish, USA 1974) de Michael Winner, adapté du roman homonyme de Brian Garfield édité en 1972, bénéficia d’un fort succès public qui ne s’est jamais démenti. La Revue du cinéma - Image et son n°289 d’octobre 1975 reconnaissait qu’on était en présence d’un film extrêmement puissant et dérangeant alors qu’elle passait auparavant son temps à dénigrer le cinéma de Winner. On sait que ce dernier, crédité réalisateur et co-producteur, avait présenté le projet à Bronson en lui assurant, en substance : « On va tous se ramasser un bon paquet de fric » !

Winner et Bronson avaient tourné ensemble Les Collines de la terreur (Chato’s Land, USA 1971), Le Flingueur (The Mechanic, USA 1972) et Le Cercle noir (The Stone Killer, USA 1973). C’est dire que l’intimité était à son zénith entre le réalisateur et son interprète au moment du tournage de 1974. Scénarios virulents et riches, esthétisme décadent et puissance visuelle, chacun des trois avait été un grand succès au box-office. Leur rencontre avec le scénario de Wendell Mayes adapté du roman de Brian Garfield (1939-2018) produisit Un justicier dans la ville : le plus célèbre titre d’une série qui comprend quatre suites avec Bronson : 1981, 1985, 1987, 1994. Sans oublier l’admirable variation Death Sentence (USA 2007) de James Wan d’après le second roman de Garfield de 1975 (adapté en 2007 par Garfield lui-même) ni le remake actualisé du titre de 1974, à savoir le récent Death Wish (USA-Can. 2018) de Eli Roth.

Indéniablement, Un justicier dans la ville venait à son heure : le pourcentage des homicides crapuleux avait grimpé de 60% à New York entre 1968 et 1974 et le phénomène n’allait nullement se ralentir les années suivantes. En France, il fut considéré avec inquiétude comme prémonitoire - les sociologues savaient que les phénomènes qui se produisaient aux USA se reproduisaient à l’identique inexorablement en Europe dix, vingt ou trente ans plus tard - lors de la célèbre émission TV « Les Dossier de l’écran » qui le diffusa en première partie de soirée suivie d’une discussion entre spécialistes du ministère de l’intérieur, de la police et sociologues, tous paniqués par certains appels téléphoniques en direct qui félicitaient le personnage principal du film.

La première qualité du film réside dans l’idée de gradation  : on a tout le temps de s’identifier à son héros pendant les 40 premières minutes, jusqu’au premier meurtre qu’il commet en légitime défense. Ce n’est plus un tueur à gage, un inspecteur de police, un Apache rebelle comme dans les trois films précédents où la distance était instaurée par le genre lui-même. C’est cette nouveauté qui fut bien ressentie par Borde et Chaumeton en 1979 :

 »(…) La série noire des années soixante-dix est donc très importante : sous nos yeux, par ce biais, se joue le drame de l’Amérique, atterrée par la délinquance, déchirée entre les générations, et se demandant si elle ne doit pas, comme à l’époque du Far West et des comités de vigilance, se faire justice elle-même. Un pas de plus et le policier sera remplacé par le citoyen : Charles Bronson vient d’incarner Un justicier dans la ville qui n’est rien d’autre qu’un homme quelconque, poussé à bout par la violence d’une société qui se disloque. » (1)

À partir de cette idée de base, Winner démonte avec sadisme la moindre barrière morale encore debout dans l’esprit du spectateur bien-pensant. Paul Kersey est marié, père de famille, architecte dans un cabinet réputé, fut objecteur de conscience pendant la guerre de Corée, servant comme officier infirmier dans le corps médical actif. Ses collègues plaisantent avec lui au début en le traitant de « liberal » ce qui là-bas est équivalent à « avoir le coeur à gauche ». Il n’a pas peur et est heureux de vivre dans cette grande ville. Et bien entendu toutes ces caractéristiques seront utilisées avec habileté pour renverser et insécuriser davantage encore la suite de l’histoire : une fois sa femme battue à mort et sa fille devenue démente après avoir été violée, les signes de la normalité sautent les uns après les autres et hébergent progressivement du négatif. Kersey va connaître la peur, la folie, la panique, le vertige de l’interdit (qu’ont déjà connu, au prix de leur vie ou de leur raison, sa femme et sa fille) : il infligera et subira la violence urbaine jusqu’à l’évanouissement, il connaîtra ce qu’il n’aurait pas dû connaître (la peur de la police, le plaisir sado-masochiste d’être lui-même un gibier offert aux proies qu’il veut abattre). À mesure que le film progresse, la lumière s’éteint, les zones d’ombre s’étendent davantage. Bronson s’enfonce dans un Riverside Park infernal, sorte d’Enfer de Dante revisité où des animaux fous mais impitoyables et intelligents l’attendent… lui ou un autre. Le début du film se situe sur une plage à Hawaï puis on revient à la ville, puis on s’enfonce la nuit dans ses parcs, dans son métro, dans ses bas-fonds. Les soixante-huitards avaient un slogan célèbre : « Sous les pavés, la plage » : il est transformé, cinq ans plus tard, en « Après la plage, la ville. Et sous la ville, l’enfer ! ». L’argent avec lequel Bronson paye le droit de prendre des photos de sa femme sur une plage, il le gagne en construisant des villes mais, une fois qu’il rentre en ville, on veut lui reprendre cet argent en le tuant. La ville toute entière est ainsi posée comme un piège dialectique, économique, sécuritaire qui se révèle à ses yeux comme aux nôtres.

L’environnement ténébreux de plus en plus prégnant autour de Kersey concorde avec la montée en puissance des agressions de plus en plus cruelles auxquelles il est confronté. La plus hallucinante est, sans conteste, celle qui se produit sans aucune parole échangée dans le wagon du métro : séquence la plus brutalement épurée et stylisée vue sur un écran de la période 1970-1980. Le rapport d’équivalence entre bourreaux et bourreau y est absolu. Le tempo lui-même de la séquence est monté au cordeau ; la profondeur de champ et la dilatation des angles y provoquent une oppression rarement égalée. On peut dire que Winner et son directeur de la photo Arthur J. Ornitz l’ont conçue comme une palpitation que la musique d’Herbie Hancock porte à son paroxysme. Le scénario oscille constamment entre ironie noire et réflexion en forme de jeu de miroir et de spectacle dans le spectacle : cela augmente encore l’angoisse du spectateur. Le scénario fait de Kersey non seulement le réceptacle de la souillure mais son catalyseur et son propagateur symbolique comme médiatique. Où il passe, cette même souillure se répète dorénavant, circulairement et inlassablement. Kersey est devenu le cauchemar collectif de New York : il en est à la fois partie prenante et révélateur premier dans sa chair. Toute l’ambivalence du sacré, du pur et de l’impur, de l’interdit et du permis (2), se retrouve attachée à ce personnage. Ambivalence dont Winner est l’un des grand cinéastes dans ses meilleurs films.

Autour de Bronson sont disposés des acteurs très bons mais aucun ne dispose d’une individualité suffisante pour être à la même hauteur que lui. Famille, police, criminels, collègues de bureau, administration sont des entités incarnées davantage que des personnages à part entière. Le scénario les veut tels afin de pouvoir les contaminer collectivement plus sûrement et renforcer l’identification narcissique du héros avec le spectateur. En paraphrasant la célèbre topologie freudienne, on pourrait dire qu’entre surmoi (famille, collègues, police) et ça (criminels), le moi garde son intégrité presque tout le temps mais finalement, Kersey se dissout comme personne pour devenir ce qu’étaient déjà ses agresseurs : de simples élément d’un rapport fonctionnel. Cette tension insupportable qui écartèle le héros et menace de le disloquer sera anéantie dans les films suivants : Kersey sera considéré par le spectateur comme d’emblée mythique. Le jeu de la mise en scène et du suspense se déplacera sur un redoublement des enjeux : Kersey devra affronter des gangs sauvages à la barbarie décuplée. Il faut attendre le remarquable Death Sentence (USA 2007) de James Wan, né d’une adaptation par Brian Garfield de son propre roman Death Sentence de 1975 (variation novatrice de son roman Death Wish de 1972) pour retrouver un scénario et une mise en scène d’une ampleur et d’une puissance identiques à celles du titre de 1974.

(1) Raymond Borde & Étienne Chaumeton, Panorama du film noir américain, postface de 1979, éditions de Minuit, Paris 1979, page 283.

(2) Roger Caillois, L’Homme et le sacré, éditions Gallimard, NRF, 1950.

Un justicier dans la ville

Généralités - 5,0 / 5

1 édition collector combo : 1 Blu-ray + 1 DVD + 1 livret de Marc Toullec de 110 pages illustrées, édités par Sidonis Calysta le 26 octobre 2019. Image au format 1.85 couleurs compatible 16/9, son VOSTF + VF en DTS-HD Master Audio 2.0. mono. Durée du film : 93 min. Suppléments : présentation par François Guérif (23 min. environ), documentaire sur Charles Bronson (40 min. environ), bande-annonce originale.

1 Livret de Marc Toullec, Des justiciers dans la ville, 111 pages illustrées couleurs + N&B. Il couvre le roman original de Brian Garfield de 1972, le roman-variation de 1975 adapté en 2007 par James Wan, la genèse de l’adaptation du roman de 1974 par Winner et Mayes, la production et le tournage de l’ensemble de la série : Un justicier dans la ville (Death Wish, USA 1974) de Michael Winner, Un Justicier dans la ville 2 (Death Wish II, USA 1981) de Michael Winner, Le Justicier de New York (Un justicier dans la ville 3) (Death Wish III, USA 1985) de Michael Winner, Le Justicier braque les dealers (Death Wish the Crackdown, USA 1987) de Jack Lee Thompson, Le Justicier : L’ultime combat (Death Wish the Face of Death, USA 1994) de Allan Goldstein. Les deux derniers chapitre sont consacrés à la passionnante variation Death Sentence (USA 2007) de James Wan adapté par Garfield lui-même de son second roman de 1975 et au remake simplement (mais soigneusement) « actualisé » Death Wish (USA 2018) de Eli Roth. Je signale les reproductions pleines pages d’affiches originales (affiches italiennes, française, espagnole, américaine du 1974, reproduites pages 4, 13, 110 et 111, affiche française du n°2 reproduite page 39, affiche française du n°3 reproduite page 51, affiche américaine du n°4 page 65, affiche américaine du n°5 page 73, affiche française de Death Sentence reproduite page 83). Certaines sont parfaitement reproduites (l’affiche américaine page 111) d’autres disposent d’une définition inférieure (l’affiche italienne page 4) mais l’ensemble possède une belle valeur documentaire. Nombreuses belles photos de plateau et de tournage. Les photos d’exploitation sont, hélas, en revanche systématiquement détourées. Quelques coquilles sans gravité dont une relevée page 101 où il faut lire non pas l’erroné « Cafin Fever » mais Cabin Fever - Fièvre noire (USA 2002) de Eli Roth, son premier et bon film fantastique. Bref…vous l’aurez compris, c’est un des meilleurs livrets de cette année 2019.

Un justicier dans la ville

Bonus - 5,0 / 5

Présentation du film par François Guérif (16/9, VF, durée 23 min. environ) : elle est assez bonne et comporte des informations sur le rapport du livre et du film, sur le rapport de Garfield à l’ensemble de la série, sur la genèse du projet, sa réception critique et financière, ainsi qu’un jugement critique assez fin et détaillé sur le scénario « équilibré » de Wendell Mayes, le choix des extérieurs, sans oublier la mention du rapport entre le titre de 1974 et ses suites. Je ne suis pas d’accord avec le jugement porté par Guérif sur elles : le n°2 notamment, est un film passionnant. D’autre part Guérif ne me semble pas vraiment saisir le rapport juridique autant qu’ontologique qui relie l’Amérique au droit de posséder une arme et, éventuellement, de s’en servir : sur le plan sociologique et criminologique, en dépit de la propagande anti-arme assenée par la plupart des media français depuis tant d’années, il est statistiquement bien connu que les États américains permettant la détention et le port d’armes étaient en 1974 les plus sûrs et les moins touchés par la criminalité. Autre aspect qui me laisse un peu sur ma faim : l’absence de comparaison entre le livre de Garfield et ses trois adaptations de 1974 par Winner, de 2007 par Wan, de 2018 par Roth. Brefs souvenirs de première main sur les témoignages de Bronson et de Goldblum que Guérif rencontra en leurs temps : brefs mais savoureux.

Documentaire sur Charles Bronson (16/9, VOSTF, couleurs + N&B, durée 40 min. environ) : avec Bronson lui-même témoignant directement de certains moments de sa vie, ce documentaire est bien écrit (il permet de bien mesurer la valeur et l’originalité de la section européenne de la filmographie de Bronson mais aussi l’importance des titres produits aux USA par Dino de Laurentis) monté, bien sous-titré par Franck Lipsik (son nom me rappelle celui de Jean-Jacques Vuillermin, s’il s’agit du même Lipsik : ce sont eux deux qui nous révélèrent en VHS Secam, grâce à leur label American Vidéo, le si beau film policier de James Glickhenhaus de 1980, un des meilleurs dans la lignée issue de ce Winner) et nourri de nombreuses photos d’archives privées. Il comporte également des entretiens avec les acteurs Jack Klugman et James Coburn, avec la première épouse de Bronson et quelques autres témoins de première main. Nombreux extraits de films et téléfilms, à l’état argentique et vidéo très varié. Le mariage de Bronson avec Jill Ireland correspond à son âge d’or filmographique auquel elle contribua régulièrement comme actrice en raison de leur grand amour. Ce documentaire lui consacre une part nécessaire car importante. Sa rencontre et sa vie avec l’acteur sont amplement détaillées mais, assez curieusement, il n’y a aucun entretien filmé avec elle, même pas de quelques secondes. Elle n’apparaît que comme image muette : cette lacune, car c’en tout de même une sérieuse, me semble assez curieuse.

Bande-annonce originale (16/9, VOSTF, durée 2 min. 10 sec. Environ) : en assez bon état argentique, soutenue par un commentaire en voix-off intéressant, oscillant entre ironie (au début) et fatalisme énergique (à la fin).

Ces suppléments, où le livret est l’élément majeur et mérite à lui seul la note maximale, donnent au spectateur français de cette édition Sidonis une réelle édition collector. C’est en France que ce titre américain reçoit enfin le traitement cinéphilique qu’il mérite : le Blu-ray américain Warner de 2014 ne comportait que la bande-annonce, idem pour l’ancien DVD zone 2 PAL Gaumont Columbia Tristar, idem pour l’ancien DVD NTSC zone 1 Paramount, alors que Un justicier dans la ville demeure le plus gros succès financier public de la saison cinématographique 1974-1975.

Un justicier dans la ville

Image - 4,0 / 5

Full HD 1080p au format 1.78 légèrement recadré à partir du 1.85 original nominal : ce master Sidonis montre la même image que celle des Blu-rays américains Paramount et Warner (éditions single de 2014 et édition steelbox de 2018)dont le visuel de jaquette est d’ailleurs repris par cette édition Sidonis. Warner et Paramount partagent les mêmes conceptions : elles auront passé toutes les deux une partie de leur vie d’éditeur vidéo numérique à recadrer systématiquement les 1.85 d’origine en 1.78. La note baisse d’un cran à cause de ça. Copie argentique en parfait état et impeccable transfert numérique sauf un gel d’image d’une fraction de seconde à 1H 10min. 21sec. lorsque le commissaire se prépare à pénétrer dans le bureau du maire de New York et, une autre fraction de seconde, lorsque son inspecteur raccroche, énervé, un combiné dans une cabine de téléphone public.

Son - 5,0 / 5

DTS-HD Master Audio 2.0 mono en VOSTF + VF d’époque parfaitement restaurés et restituées, à tous points de vue. La VF d’époque est très bonne sur le plan dramaturgique comme technique. Excellente musique de Herbie Hancock, racée et sournoisement vigoureuse, notamment durant la scène d’agression dans le wagon de métro, amplifiant encore sa remarquable violence graphique.

Crédits images : © Sidonis/Calysta

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
Note du disque
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francis moury
Le 13 décembre 2019
Film noir policier américain violent, désormais classique : une date dans le genre autant que dans les filmographies de Winner et Bronson.

PS : je signale au lecteur un bref mais très remarquable entretien sur le film paru le 1er novembre 1974 entre Winner et Michel Marmin, qu'on vient de porter à ma connaissance et qui est lisible ici : https://www.revue-elements.com/un-justicier-dans-la-ville-rencontre-avec-son-realisateur-michael-winner/?fbclid=IwAR2kw690vdNy8y3h4DUZuyU6J9kqox4Cr4AwHo3tblqDJ24gWPU0dHmWxJk
Il confirme que le film était prémonitoire.

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CritiKs Moviz
Le 11 mai 2018
« Le Justicier dans la Ville » est un film d’action basique, disposant d’une histoire familière et dont le développement fait désormais figure de classique. Bien que la trame de départ est la vengeance, le métrage bascule la thématique du justicier qui s’octroie arbitrairement tous les pouvoirs, juge, juré et bourreau. On peut y voir une propagande pour la possession d’arme à feu, ce qui est toujours d’actualité… Charles Bronson offre un personnage froid et dénué de sentiment, même lorsque sa famille est décimée, ce qui apparaît aujourd’hui complètement désuet, pour ne pas dire anachronique. La photographie est correcte, et le montage est nerveux. La bande originale est complètement indigeste. Un métrage qui permet de mesurer le chemin parcouru en matière de cinéma, mais qui est fondateur pour le genre.
Lire ma critique complète : https://wp.me/p5woqV-5Wm

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