Week-end (1967) : le test complet du Blu-ray

Réalisé par Jean-Luc Godard
Avec Mireille Darc, Jean Yanne et Jean-Pierre Kalfon

Édité par Gaumont

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Le 27/11/2019
Critique

Une comédie noire apocalyptique de Godard oscillant entre politique-fiction et poésie surréaliste.

Week-end

Paris puis Seine et Oise, 1967. Corinne et Roland, couple désuni mais avide, se rendent en voiture chez les parents de Corinne, dont le père agonise, dans l’intention de négocier son héritage avec sa future veuve. Mais des accidents de la route, souvent sanglants, ainsi que diverses étranges rencontres (avec Saint-Just, Joseph Balsamo, Emily Brontë lisant une page du logicien romancier Lewis Carroll) les retardent considérablement. Enfin arrivés à destination et faute de tomber d’accord sur le montant de l’héritage, ils assassinent la veuve. Alors qu’ils reviennent sur Paris, ils sont pris en otage par le Front de Libération de Seine et Oise, composé de hippies armés vivant dissimulés dans une forêt marécageuse : ils tuent Roland et convertissent Corinne à l’anthropophagie.

Week-End (France 1967) de Jean-Luc Godard est un de ses meilleurs titres. Il ressort de plusieurs genres : fantastique apocalyptique, parabole philosophique de politique-fiction, militantisme gauchiste (son aspect satirique et provocateur style « Hara-Kiri » demeure savoureux, le reste a, en revanche, très mal vieilli). Ce mélange aboutit à un surréalisme virulent, inégal mais oscillant entre cauchemar, pochade et poésie pure. C’est, avec Alphaville (Fr.-Ital. 1965), l’autre long métrage de Godard relevant franchement du cinéma fantastique, qu’il soit à tendance science-fiction (1965) ou politique-fiction (1967). Les meilleurs moments de Week-End sont ceux de la première partie apocalyptiques où le couple croise des cadavres sanglants et des vivants d’une violence absurde et démesurée, dépeignant une normalité devenue folle le long des routes françaises d’un futur plus ou moins proche. Il faut dire que le thème était sociologiquement d’actualité (1).

Week-end

Le montage est divisé en amples plans-séquences (parmi lesquels un travelling souvent considéré comme « le plus long de l’histoire du cinéma » mais il faudrait vérifier plus avant dans l’histoire du cinéma des origines muettes à nos jours, avant de le qualifier ainsi) parfois brusquement interrompus par des panneaux écrits distillant plaisanteries ou allusions diverses : un d’eux arbore tranquillement le titre du roman Lumière d’août de William Faulkner sans qu’on en distingue vraiment la raison : « par plaisanterie ou par erreur » comme disait Lovecraft de la création du monde ? Week-End est sophistiqué, expérimental mais demeure assez clair et fluide pour que le spectateur le moins prévenu s’immerge dans ce nouveau monde insolite, cruel, drôle et parfois fantastique. On y lit, à haute voix ou en voix-off, divers auteurs (une constante chez Godard dont le cinéma est un cinéma des images mais aussi des écrits, lus ou montrés) : un discours révolutionnaire de Saint-Just (joué par Jean-Pierre Léaud qui tient un autre rôle, contemporain, quelques séquences plus loin !), un des Chants de Maldoror de Lautréamont, d’autres encore. Corinne raconte par exemple (d’une manière froide et peu concernée) à son amant une rencontre érotique provenant de l’Histoire de l’oeil de Georges Bataille.

Le thème plastique majeur (surtout dans la première partie qui est probablement la meilleure) de Week-End étant celui de la voiture comme technologie bouleversant la société humaine, on y voit logiquement de nombreux et souvent mignons modèles des années 1960. Avis aux amateurs nostalgiques : si vous ne devez voir qu’un seul Godard dans votre vie, visionnez la première partie de celui-là ! Ce thème fut repris par Trafic (Fr.-Ital. 1971) de Jacques Tati et par Le Grand embouteillage (Ital. 1979) de Luigi Comencini. Il n’y a en revanche aucun rapport, mis à part ce belles séquences de poursuite en voiture et leur titre homonyme d’exploitation assez proche, entre ce Godard et le fleuron du cinéma de la violence que demeure Week-end sauvage (Death Week-End, Can. 1976) de William Fruet.

Week-end

Cela dit, ce thème n’est pas si original dans l’histoire du cinéma. Souvenons-nous que La Splendeur des Amberson (The Magnificent Amberson, USA 1941) d’Orson Welles comportait déjà certains aspects précis de cette prospective sociologique : le personnage de constructeur automobile joué par Joseph Cotten prévoyait que la voiture modifierait l’ensemble de la vie et du comportement des sociétés humaines. Welles le montrait à plusieurs reprises, notamment en filmant un accident. Godard l’exprime ici sous une forme nouvelle, certes plus angoissée et plus angoissante. Il est vrai qu’au cinéma, le véritable fond, c’est la forme : Godard apporte assurément cette forme nouvelle à l’étrange aspect de kaléïdoscope. Mentionnons enfin son casting savoureux, une autre constante de sa filmographie : certains acteurs sont des cinéastes contemporains expérimentaux (Jean Eustache, Daniel Pommereulle); certaines actrices et certains acteurs sont des icônes de la Nouvelle vague (Valérie Lagrange, Juliet Berto, Jean-Pierre Léaud, Jean-Pierre Kalfon parmi d’autres); certains acteurs viennent du cinéma narratif classique (Mireille Darc, Jean Yanne).

(1) Cf. le rétrospectivement assez hallucinant tableau statistique des morts et blessés de 1953 à 1975 établi par Jacques Vallin, Les Accidents de la route en France : mortalité et morbidité depuis 1953, publié in Population - Revue de l’Institut National d’Études Démographiques, 30ème année, n° 3 de mai-juin 1975, page 445. Pour la seule année 1966, il comptabilisait 209.906 accidents ayant occasionné 14.648 morts et 287.619 blessés : des statistiques de guerre.

Week-end

Présentation - 5,0 / 5

1 Blu-ray BD50 multi-régions ABC, édité par Gaumont, collection Gaumont classiques, le 16 octobre 2019. Image Full HD 1080p, encodage MPEG 4 AVC, au format 1.66 original respecté, en couleurs et compatible 16/9, son VF en DTS-HD Master Audio 2.0 mono. Durée du film : 104 min. Suppléments : entretiens de P.-H. Gibert (filmés en 2010, 16/9) avec l’historien du cinéma et critique Antoine de Baecque (12 min.), les cinéastes Claude Miller (24 min.) et Patrice Leconte (34 min.).

Bonus - 4,0 / 5

Entretien de P.-H. Gibert avec A. de Baecque (16/9, 2010, 12 min.), historien du cinéma et critique, auteur d’un livre sur le cinéaste (éditions Grasset, Paris 2010). Ce titre de 1967 marque, dans l’esprit de son cinéaste alors au sommet d’une certaine gloire médiatique qui le mettait mal à l’aise, la fin d’un cycle. A l’issue de son tournage, Godard réunit ses plus proches collaborateurs techniques en leur expliquant qu’il va s’arrêter quelques temps et qu’ils doivent chercher du travail ailleurs. On évoque « le plus long travelling de l’histoire du cinéma » sur le plan technique et esthétique, on analyse succinctement les enjeux du film, son casting. Bonne présentation.

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Entretien de P.-H. Gibert avec le cinéaste Claude Miller (16/9, 2010, 24 min.) : c’est le plus intéressant et le plus utile des trois pour l’historien du cinéma car Miller fut régisseur de Godard sur le tournage de 1967. Il se souvient donc très précisément des méthodes de travail de Godard : son témoignage est un document de première main. Miller examine en outre, en cinéaste, lui-même émérite, l’oeuvre globale de Godard et avoue sincèrement préférer son aspect émotionnel à son aspect intellectuel à laquelle il a raison de ne pas vouloir la réduire.

Entretien de P.-H. Gibert avec le cinéaste Patrice Leconte (16/9, 2010, 34 min.) : c’est le plus inattendu et le plus long des trois entretiens mais il est sincère et intéressant car Leconte est une sorte de témoin de première main de la réception publique de l’oeuvre de Godard et il en définit, en passant, assez précisément les aspects techniques novateurs précis (montage, mixage, photo).

Au total, honorable édition spéciale permettant d’appréhender correctement ce titre. Les bonus proviennent probablement de l’ancien coffret DVD édité en 2010 par Gaumont : leur date de tournage en témoigne. Ils méritaient d’être réédités sur ce Blu-ray. Je regrette juste l’absence d’une galerie affiches et photos françaises d’exploitation (non détourées), ainsi que celle du court-métrage intitulé Bande-annonce de Week End (Fr. 1967) de Godard, qui est un peu plus qu’une simple bande-annonce originale, également absente, ce qui est dommage.

Week-end

Image - 5,0 / 5

Format original 1.66 respecté en couleurs, compatible 16/9 Full HD 1080p, encodage MPEG 4 AVC. Photo parfois sophistiquée, signée Raoul Coutard, travaillant autant les mouvements d’appareil que les effets de contre-jours. Copie argentique très bien restaurée, en excellent état mis à part un ou deux plans à l’émulsion un peu instable. La performance est notable, comptes tenus de l’âge déjà respectable du matériel et de la durée du métrage. Transfert numérique préservant un parfait équilibre entre grain et lissage. Dorénavant l’édition de référence en Full HD.

Week-end

Son - 5,0 / 5

VF originale en DTS-HD Master Audio 2.0 mono + VFSTAnglais + VFST pour sourds et malentendants. Ces derniers sont très soigneusement réalisés et très intuitifs, comme toujours chez Gaumont. Musique originale signée Antoine Duhamel (surtout belle, à mon avis, lors du récit érotique de Corinne, au début du film) qu’il ne faut pas confondre avec l’écrivain Georges Duhamel ni, euphoniquement, avec le personnage Antoine Doinel, interprété par Jean-Pierre Léaud pour François Truffaut dans sa célèbre série de comédies dramatiques.

Crédits images : © Gaumont

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
Note du disque
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francis moury
Le 28 novembre 2019
Une comédie noire apocalyptique de Godard, oscillant entre politique-fiction et poésie surréaliste.

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