Réalisé par Abbas Kiarostami
Avec
Homayoun Ershadi, Abdolrahman Bagheri et Afshin Khorshid Bakhtiari
Édité par Potemkine Films
Monsieur Badii, au volant d’un 4x4, recherche dans les faubourgs de Téhéran quelqu’un pour un « travail particulier », avec la promesse d’un bon salaire, 200 000 tomans. Il prend en stop un jeune soldat, l’emmène dans une carrière, à 20 minutes à pied de la caserne. « Tu vois ce trou ? Sois-là demain matin à 6h00 et appelle-moi deux fois. Si je réponds, tu me prends par la main pour me sortir de là. Si je ne réponds pas, tu jettes vingt pelletées de terre. » Le jeune homme, affolé, s’enfuit en courant…
Le Goût de la cerise (Ta’m e guilass) est salué par l’attribution de la Palme d’or en 1997 qui renforce la notoriété internationale que le photographe et poète Abbas Kiarostami avait déjà acquise avec Close-Up (Nema-ye Nazdik), sorti en 1990 et la 3 films de Abbas Kiarostami : Où est la maison de mon ami ? + Et la vie continue + Au travers des oliviers formée par Où est la maison de mon ami ? (Khane-ye doust kodjast? , 1987), Et la vie continue (Zendegi va digar hich, 1990) et Au travers des oliviers (Zire darakhatan zeyton, 1994). Ayant choisi de rester en Iran en dépit de la censure exercée par la dictature islamiste, il est devenu un des porte-drapeau du nouveau cinéma iranien avec Mohsen Makhmalbaf (Le Cycliste / Bicycleran, 1989, Le Tableau noir / Takhté siah, 2000), Jafar Panahi (Le Ballon blanc / Badkonake sefid, 1995), Sohrab Shahid-Saless (Ordnung, 1980), Bahram Bezai (Bashú, le petit étranger / Bashú, 1989), Parviz Kimiavi (O.K. Mister, 1979), Dariush Mehrjui (La Vache / Gaav, 1969, Leila, 1997)…
Le Goût de la cerise est une forme de défi, avec son argument minimaliste dans un cadre quasi désertique, sans accompagnement musical, avec un seul acteur professionnel. Un film épuré, mais une performance de mise en scène. En effet, malgré l’apparente fluidité du montage, jamais les deux personnages ne sont ensemble dans la voiture : la caméra les filme en alternance, placée sur le siège du passager quand elle cadre Monsieur Badii, placée sur le siège du conducteur quand elle cadre l’autre personnage.
Le Goût de la cerise, hormis Homayoun Ershadi, un acteur réputé (Les Cerfs-volants de Kaboul, The Kite Runner, Marc Forster, 2007), l’interprète de Monsieur Badii, attribue les autres rôles à des débutants, celui du soldat à un Kurde, celui du séminariste à un Afghan, celui du taxidermiste à un Azéri, une façon de souligner la diversité ethnique et culturelle de l’Iran, le résultat de déplacements provoqués par des guerres endémiques dans la région.
Le Goût de la cerise, une oeuvre majeure d’Abbas Kiarostami, cinéaste du « réalisme noir », avec une fin ouverte laissant le choix de son dénouement à l’imagination du spectateur, était depuis longtemps introuvable en vidéo. On appréciera donc sa réédition par Potemkine Films et MK2, la première en haute définition, en même temps que celle de Le Vent nous emportera (Bad ma ra khahad bord, 1999).
Le Goût de la cerise (99 minutes) et ses généreux suppléments (126 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-50 logé, pour cette édition combo, en compagnie d’un DVD-9, dans un digipack non fourni pour le test, effectué sur le seul Blu-ray.
Le menu animé et musical propose le film dans sa version originale en farsi, avec sous-titres optionnels, au format audio DTS-HD Master Audio 1.0.
Le film vu par Jean-Michel Frodon (23’, un entretien conduit par Natacha Missoffe, La Bête lumineuse, 2020). Le cinéma d’Abbas Kiarostami « ne répète rien de ce qui a été fait précédemment (…) dans une continuité dont une des formes les plus évidentes est l’utilisation de la voiture comme dispositif de mise en scène (…) un endroit privé dans l’espace public (…) où l’on est immobile, mais en déplacement dans l’environnement. » Le comportement énigmatique de Monsieur Badii met le spectateur « dans un état de disponibilité » pour les trois rencontres qu’il va faire. La « maquette » de l’oeuvre, Sohanak, où Abbas Kiarostami tient le rôle principal, trahit la dimension personnelle de l’oeuvre. Rien n’est dit du mal-être dont souffre Badii par le scénario qui reste « une sombre abstraction » sur « le goût des choses », un aspect de la poétique chiite. Le Goût de la cerise surprend aussi par sa fin doublement énigmatique laissant sa signification à l’imagination du spectateur : Badii est-il mort ? Que veulent dire les dernières séquences, lumineuses et joyeuses, reprises de Projet, le documentaire sur le tournage ? Le goût de la vie ?
Une intéressante analyse du film par Jean-Michel Frodon, critique de cinéma et auteur de nombreux ouvrages, dont Abbas Kiarostami, coécrit avec Agnès Devictor (sortie annoncée par Gallimard pour le 2 décembre 2020).
Sohanak, film de Bahman Kiarostami (59, 1997, 1.33:1, 1080i, AVC). Un homme, Abbas Kiarostami, arrête sa voiture pour prendre un auto-stoppeur, un soldat qui regagne sa caserne, puis Yadollah Lorar, un vieil homme traumatisé par la guerre, sans le sou, résidant dans les faubourgs de Téhéran, à Sohanak… Abbas Kiarostami, dans le même paysage, improvise le brouillon de Le Goût de la cerise.
Projet (44’, 1997, 1.66:1 en 4/3, 1080i, AVC) est un documentaire sur le tournage du film Le Goût de la cerise, repris de l’édition MK2 de 2007, dans lequel on retrouve certains plans de Sohanak.
L’image (1.66:1, 1080p, AVC), débarrassée après restauration en 4K de toute trace de détérioration de la pellicule, stabilisée, finement résolue, propose une palette de couleurs chaudes, à dominante ocre, soigneusement étalonnées, avec des noirs bien denses.
Le son DTS-HD Master Audio 2.0 mono, très propre lui aussi, restitue clairement les dialogues, dans un bon équilibre avec l’ambiance.
Crédits images : © MK2