Moscou ne croit pas aux larmes (1980) : le test complet du Blu-ray

Moskva slezam ne verit

Version Restaurée

Réalisé par Vladimir Menshov
Avec Vera Alentova, Aleksey Batalov et Irina Muravyova

Édité par Potemkine Films

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Le 29/07/2020
Critique

Trois amies récemment arrivées à Moscou, installées dans un foyer pour ouvrières, ont des projets pour un avenir meilleur. Reste à choisir la marche à suivre…

Moscou ne croit pas aux larmes

Moscou, 1958, dans un foyer pour ouvrières, trois amies venues de province. Antonina ‘Tonia’ n’a d’autre ambition que de se marier et de fonder une petite famille. Lyudmila ‘Lyudia’, pour réaliser son rêve d’une vie facile, d’un bel appartement, d’élégantes toilettes, a sa recette : trouver le mari adéquat. Kateria ‘Katia’, ajusteuse, indépendante, a décidé que seuls des diplômes assureront son ascension sociale. La deuxième partie du film, vingt ans après, montreraxs les résultats obtenus par chacune des trois femmes.

Moscou ne croit pas aux larmes (Moskva slezam ne verit), sorti en 1980, le deuxième long métrage de l’acteur Vladimir Menshov, tourné avec un tout petit budget, en dépit d’une critique plutôt tiède, eut un énorme succès avec près de 85 millions d’entrées en URSS dans la première année. Un succès qui dépassa les frontières du bloc soviétique, conforté par l’attribution, en 1981, en pleine guerre froide, de l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, devant Kagemusha : l’ombre du guerrier d’Akira Kurosawa et Le Dernier métro de François Truffaut.

Le réalisateur a décidé de diviser en deux parties le scénario d’un mélodrame écrit par Valentin Chernykh, dans lequel de nombreux personnages entourent les trois héroïnes. La première partie, en 1958, montre leur quête d’un futur, avec l’aide d’une supercherie imaginée par Lyudia. L’oncle de Katia lui a demandé de garder pendant ses vacances son appartement cossu au vingt et unième étage d’un immeuble réservé aux hauts fonctionnaires. Lyudio saute sur l’opportunité : les deux filles vont s’y installer pendant trois semaines, y convier des invités de marque et s’inventer un ancrage dans la bourgeoisie, dans l’espoir de harponner le mari idéal.

Moscou ne croit pas aux larmes

Le dernier plan de cette première partie montre Katia, avant de s’endormir dans l’étroit lit du foyer, découragée, en sanglots, avançant la sonnerie de son réveil à 5 heures du matin pour être à l’heure à l’usine. Son réveil sonne, au début de la deuxième partie, mais vingt ans et deux heures plus tard, à 7h00 du matin : elle sort d’un large canapé-lit installé dans un appartement luxueux qu’elle partage avec Alexandra, sa fille âgée de 20 ans.

Moscou ne croit pas aux larmes, dans cette deuxième partie, montre ce que sont devenues les trois femmes, restées amies malgré les parcours divergents qui auraient pu les séparer. Le scénario se concentre surtout sur Katia, sa réussite professionnelle et sa rencontre fortuite avec l’ajusteur Gosha, dans un train où, portant un énorme samovar, il proposait du thé aux voyageurs.

Réalisé avec simplicité, le film séduit par la justesse de la distribution des rôles et par l’apparente spontanéité du jeu des acteurs, la plupart issus du théâtre. Difficile de rester insensible au charme de Vera Alentova, qui réussit à donner une réelle épaisseur à Katia, le personnage principal d’un film féministe, en marge du cinéma russe de l’époque. Dans le rôle de Gosha, figure importante de la deuxième partie, Aleksey Batalov, universellement connu pour son interprétation de Boris dans Quand passent les cigognes (Letyat zhuravli, Mikhail Kalatozov, 1957) et de Dmitri dans La Dame au petit chien (Dama s sobachkoy, Iosif Kheifits, 1960).

Moscou ne croit pas aux larmes, un tendre et drôle tableau expressionniste du quotidien dans le Moscou de l’ère poststalinienne, était introuvable depuis des années, l’édition Ruscico de 2001 étant depuis longtemps épuisée. On accueille donc avec plaisir cette édition en haute définition que Potemkine Films a complétée de trois entretiens pertinents sur le film et son contexte socioculturel.

Moscou ne croit pas aux larmes

Présentation - 3,0 / 5

Moscou ne croit pas aux larmes (149 minutes, en deux parties de 67 et 82 minutes) et ses généreux suppléments (124 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-50, logé dans un boîtier non remis pour le test, effectué sur check disc.

Le menu animé et musical propose le film dans sa version originale, en russe, avec sous-titres optionnels, au format DTS-HD Master Audio 1.0, et dans un doublage en français Dolby Digital 5.1.

Bonus - 4,0 / 5

Trois documents inédits, des entretiens avec Françoise Navailh, historienne du cinéma russe, produits en 2020 par La Bête Lumineuse/Potemkine Films) :

Portrait de Vladimir Menshov (16’). Après une formation à Moscou, il s’engagea dans une longue carrière d’acteur, avec, de 1970 à aujourd’hui, plus d’une centaine d’interprétations de personnages très divers. Il suivit aussi une formation à la réalisation au VGIK avec Mikhail Romm, et réalisera 11 films, « un cinéma au service de l’histoire », sans recherche d’effets. Il a affiché son indépendance, notamment en s’opposant à retenir dans la sélection pour les Oscars Soleil trompeur 2 (Utomlennye solntsem 2, 2010, édité en 2013 dans le Coffret Nikita Mikhalkov - Soleil trompeur, la trilogie) et en montrant l’orgasme d’une femme dans son dernier film, L’Envie des dieux (Zavist bogov, 2000). En 1995, son film Shirli-myrli (« quel foutoir ») illustrait le désordre entraîné par l’effondrement du régime soviétique. Moscou ne croit pas aux larmes, un film « ancré dans son année de tournage, a traversé le temps ». Frappé par une interdiction de quitter l’URSS, Vladimir Menshov n’a pu recevoir lui-même l’Oscar, remis à un représentant de l’ambassade soviétique.

Les acteurs et le film (22’). Après le refus d’une star, Vladimir Menshov engage son épouse, Vera Alentova, une actrice de théâtre, pour son premier grand rôle au cinéma. Le succès du film favorisa la carrière d’Irina Muravyova (Lyudia) et de Raisa Ryazanova (Tonia). On ne voit Aleksey Batalov que « pendant 27 minutes, mais on ne se souvient que de lui ». Le scénario, construit en deux parties symétriques, rend habilement compte, par plusieurs traits, de l’ambiance du dégel après l’isolation stalinienne. Une bonne place a été réservée à la musique, un élément important du cinéma russe.

Les femmes en URSS (17’). Les trois ouvrières, avec des objectifs différents, composent « un éventail assez fin de ce que pouvait être une vie de femme » dans la partie slave du bloc soviétique. Le titre du film illustre un principe : chacun a les mêmes chances de réussir à condition de prendre sa destinée en mains au lieu de geindre, y compris les femmes, qui peuvent accéder aux mêmes postes que les hommes. Dans ce film féministe, Gosha est délicat, attentionné, pas vraiment représentatif de l’homme russe d’alors, assez immature.

Moscou ne croit pas aux larmes

Entretien avec Vladimir Menshov (9’, 2000). Il évoque le budget de misère alloué par la production, le casting, délicat pour les personnages masculins. Batalov finit par accepter le rôle de Gosha après une seconde lecture du scénario, que personne ne prenait au sérieux. Il a obtenu d’Innokentiy Smoktunovskiy, un acteur réputé de l’époque, universellement encensé pour son interprétation de Hamlet dans Hamlet II (Gamlet, Grigoriy Kozintsev, 1970), qu’il fasse une apparition caméo sur les marches de la Maison du cinéma. Le lendemain de la première, en février 1980 au cinéma Pushkin (« Rossia », à l’époque), il fallait faire la queue pendant quatre heures dans le froid pour acheter un billet.

Entretien avec Valentin Chernykh (25’, 2000). Une amie, femme de ménage, qui s’était inventée une paternité flatteuse, lui a donné l’idée du scénario d’une pièce, La Femme qui ment deux fois, qu’il a repris, « dans l’urgence et dans un semi-délire dû à la grippe », pour un concours de scénarios organisé en 1977 sur le thème de Moscou et les Moscovites, où il obtint le troisième prix. Le succès du film fut tel qu’il fallut d’urgence faire des copies supplémentaires. Pourtant, la critique fut sévère vis-à-vis d’une histoire « à la Cendrillon ». Provincial, comme Menshov, Valentin Chernykh est venu à Moscou pour se former au VGIK. Partis de zéro, les personnages sont inspirés des provinciaux, « les néo-Moscovites », décidés à se faire une bonne place dans la société.

Entretien avec Sergei Nikitine (11’, 2000). Il était en troisième cycle de biophysique, spécialisé dans la recherche sur les protéines, quand il a été appelé pour la musique du film. Il a composé celle de la chanson Alexandra sur des paroles de Dmitri Sukharev et Yuri Vizbor et a adapté des standards internationaux, Besame mucho et La Paloma. Sergei Nikitine s’accompagne à la guitare pour chanter trois versions successives d’Alexandra, puis sa traduction en français et en anglais. On lui a rapporté que Ronald Reagan avait visionné deux fois le film avant sa rencontre avec Mikhail Gorbachev à Reykjavik en 1986, pour s’imprégner du mode de vie moscovite.

Entretien avec Vera Alentova (3’, 2000). Elle est heureuse de voir que le film, vingt ans après sa sortie, est toujours projeté et a été édité en vidéo, sur cassette VHS, puis sur DVD. Elle se souvient du stress ressenti à tourner avec Aleksey Batalov alors qu’elle débutait au cinéma. Le film lui a rappelé son arrivée à Moscou où elle fut logée dans un foyer, comme Katia.

Entretien avec Irina Muravyova (6’, 2000). Elle a vite accepté ce second rôle, servi par de bons dialogues et a gardé du tournage le souvenir d’une fête quotidienne.

Entretien avec Raisa Ryazanova (15’, 2000). Le personnage de Tonia correspondait à son caractère. Vladimir Menshov veillait à mettre les acteurs à l’aise à chaque répétition. Le rôle de mère de famille, dans la seconde partie du film, est devenu un emploi familier.

Moscou ne croit pas aux larmes

Image - 4,0 / 5

L’image (1.37:1, 1080p, AVC), après restauration 2K par Mosfilm, respectueuse du grain argentique, est très propre, bien définie, sur toute la profondeur du champ dans les plans larges, lumineuse, agréablement contrastée, avec des noirs denses, des couleurs assez naturelles, mais avec un étalonnage un peu fluctuant.

Son - 5,0 / 5

Le son DTS-HD Master Audio 1.0 de la version originale, très propre lui aussi, avec une suffisante ouverture de la bande passante et une bonne dynamique, assure la clarté des dialogues, correctement priorisés sur l’ambiance, et restitue la musique avec finesse.

Le choix d’un remixage du son mono d’origine au format Dolby Digital 5.1, fait pour l’édition Ruscico de 2001, est discutable. Sans réussir à être immersif, il affecte la netteté des dialogues qui ne sont, d’autre part, pas toujours dans un bon équilibre : parfois un peu couverts par l’ambiance, ils sont, le plus souvent, trop en avant. Accessoirement, on apprécie modérément le doublage de la belle chanson Alexandra. Le doublage n’a pas été pris en compte pour l’attribution de la note.

Crédits images : © Potemkine Films

Configuration de test
  • Vidéo projecteur JVC DLA-X70BRE
  • OPPO BDP-93EU
  • Denon AVR-4520
  • Kit enceintes/caisson Focal Profile 918, CC908, SR908 et Chorus V (configuration 7.1)
  • TEST EN RÉSOLUTION 1080p - Diagonale image 275 cm
Note du disque
Avis

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Philippe Gautreau
Le 30 juillet 2020
Ce tendre et drôle tableau expressionniste du quotidien dans le Moscou de l’ère poststalinienne, le deuxième long métrage de l’acteur Vladimir Menshov, tourné avec un tout petit budget, reçu en 1981, en pleine guerre froide, l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, devant Kagemusha : l’ombre du guerrier d’Akira Kurosawa et Le Dernier métro de François Truffaut ! Donc, à ne pas manquer !

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