La Roue

La Roue (1923) : le test complet du Blu-ray

Réalisé par Abel Gance
Avec Gabriel de Gravone, Pierre Magnier et Georges Térof

Édité par Pathé

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Le 13/08/2020
Critique

Un chef-d’oeuvre d’Abel Gance, un jalon de l’histoire du cinéma, enfin reconstitué dans sa version originale, dans une édition complétée de passionnants bonus.

La Roue

Sisif, veuf, mécanicien de 1ère classe, témoin de la collision de deux trains, donne l’alerte et recueille une fillette, Norma, venue de Londres avec sa mère, tuée dans l’accident. Il détruit le document attestant l’identité de Norma qu’il va faire passer pour sa fille et élèvera avec Élie, son fils, à peu près du même âge. Quinze ans passent quand Sisif réalise qu’il désire Norma…

La Roue, après un tournage perturbé par une suite de péripéties, notamment par une grève des cheminots de la compagnie PLM qui avait mis à la disposition de la production une locomotive Pacific 231. Le contrat entre Abel Gance et Pathé-Cinéma stipulait que le tournage devait durer cinq mois et coûter 250 000 francs : il commencera en décembre 1919 et s’étalera sur seize mois avec une ardoise de 2 500 000 francs ! Sans compter la postproduction qui ne s’achèvera qu’à la veille de la sortie, en février 1923.

Charles Pathé, au moment où il envisageait d’arrêter la production de films qu’il estimait peu rentable et de la céder à Pathé Consortium Cinéma, avait tenté l’aventure après le succès de J’accuse, sorti en 1919 (réédité en 2017 par Gaumont, en compagnie du remake de 1938, dans un coffret de collection salué par le Prix du meilleur DVD/Blu-ray de patrimoine par le Syndicat Français de la Critique de Cinéma).

La Roue

J’emploierai le nouveau langage des yeux qui ne connaît pas de frontières comme les autres

Cette ligne de conduite, écrite en 1918 par Abel Gance, illustre son ambition de faire du cinéma un nouvel art avec un langage propre qui restait à être inventé. Son premier film, avant-gardiste, La Folie du docteur Tube, sorti en 1915, donnait déjà une illustration pratique de cette intention, confirmée par J’accuse.

La Roue, intitulé La Rose du rail pendant le tournage, dont le titre évoque la locomotive et la roue du destin, tire l’idée de son point de départ, les scènes de la catastrophe ferroviaire, du roman de Pierre Hamp, Le Rail, paru en 1914, un des volets d’une saga sur le monde ouvrier, La Peine des hommes. Le reste, le mélodrame sur le thème d’amours impossibles, quasi-incestueuses, est le fruit de l’imagination d’Abel Gance. Il choisit comme assistant-réalisateur le poète et romancier Blaise Cendrars, l’ami qui avait déjà tenu cet emploi pour J’accuse.

La Roue permet à Abel Gance, avec la complicité active de quatre chefs-opérateurs, dont Léonce-Henri Burel qui fut le directeur de la photographie de J’accuse (et des quatre films réalisés par Robert Bresson de 1951 à 1962), de s’affranchir des contraintes inhérentes au cinéma muet : l’essentiel du métrage est tourné en extérieur, une rareté à l’époque (une scène a même été prise sur les pentes du Mont-Blanc, à l’altitude de 4 000 mètres), la caméra devient mobile, montée sur un chariot bricolé ou sur une plateforme attachée au tender de la locomotive, le cadre peut être composé d’une image de fond sur laquelle viennent s’insérer plusieurs autres en surimpression, le montage peut montrer une très rapide succession de plans larges et de gros plans, les scènes de nuit sont tournées la nuit, un défi lancé à la faible sensibilité des émulsions… Abel Gance joue aussi avec les couleurs. L’image se teinte de toutes nuances parfois surprenantes et certains détails du cadre sont même, après tirage, coloriés à la main : les panneaux de signalisation, une rose, des traces de sang dans la neige…

La Roue

Le rôle de Sisif, hanté jusqu’au désespoir par son désir de sa fille adoptive, est tenu par Séverin-Mars, en tête d’affiche de J’accuse, un acteur à la gloire éphémère, interrompue à 48 ans par une crise cardiaque en juillet 1921, trois mois après la fin du tournage. Le rôle de Jacques Hersan, le mari que la pauvreté de Sisif impose à Norma, est tenu par Pierre Magnier, celui d’Élie, torturé par son attirance pour sa soeur, par Gabriel de Gravone qui s’était fait connaître en incarnant le Marius de la saga en quatre époques Les Misérables réalisée par Albert Capellani en 1913. Le choix, pour incarner Norma, de l’actrice anglaise Ivy Close répondait au désir de Charles Pathé de ne pas limiter la distribution du film à l’hexagone. Le sombre mélodrame ménage une place à l’humour burlesque, servi par deux acteurs, Georges Térof, dans le rôle de Mâchefer, le chauffeur (celui qui alimente en charbon le foyer de la locomotive), et par Max Maxudian, l’interprète du minéralogiste… Kalatikascopoulos !

La Roue, reste, un siècle après son tournage, une oeuvre majeure du cinéma muet, inventive, novatrice, dédaignée à sa sortie par certains critiques, encensé par d’autres, à laquelle Jean Epstein rendra un juste hommage en écrivant, en 1923 : « L’oeuvre de Gance est magnifiquement imparfaite, elle est entière, partiale, bouillante, instable, précipitée, excessive et vivante enfin. » Signalons que Napoléon, réalisé en 1927, a été restauré et édité en 2016 au Royaume Uni dans sa version intégrale de 332 minutes par BFI (British Film Institute).

La Roue

Présentation - 5,0 / 5

La Roue, en un épilogue et quatre époques d’une durée cumulée de 418 minutes, tient sur trois Blu-ray BD-50 logés, en compagnie d’un quatrième disque de suppléments, un BD-25 (69 minutes), dans un coffret non fourni pour le test, effectué sur check discs.

Le menu animé et musical propose le film avec le choix de deux formats audio pour l’accompagnement musical, DTS-HD Master Audio 5.1 ou 2.0 stéréo.

Sous-titres (pour la traduction des cartons) en anglais et en allemand.

À l’intérieur du coffret, un livret de 140 pages s’ouvre sur une Introduction par Sophie Seydoux, fondatrice et présidente de la Fondation Seydoux-Pathé. Elle rappelle que, sous la direction de François Ede, la restauration et la reconstitution de la version de 1923 de La Roue, dans laquelle Abel Gance avait effectué plusieurs coupes dans le négatif réduisant la durée du film de 7h00 à 4h30, a demandé cinq ans, avec l’aide du CNC, de la Cinémathèque Française et de la Cinémathèque Suisse qui possède l’unique copie teintée et coloriée sauvegardée du film. La genèse d’un film, retracée par François Ede, évoque la jeunesse d’Abel Gance, son échec au Conservatoire d’art dramatique, l’écriture de pièces, dont La Victoire de Samothrace, une tragédie de cinq heures jamais mise en scène, le tournage de son premier film pour Gaumont, La Folie du docteur Tube, en 1915, une oeuvre avant-gardiste qui rebuta la critique et le public. Avant que trois « tragédies », Le Droit à la vie, Mater Dolorosa et La Dixième Symphonie, n’attirent en 1917 l’attention de Charles Pathé pour lequel il réalise, en 1919, J’accuse le chef d’oeuvre qui va asseoir sa notoriété. Il commence alors l’écriture des 250 pages du scénario de La Roue. François Ede déroule ensuite La chronique du tournage, de décembre 1919 à avril 1921, avec d’intéressants passages sur les techniques expérimentées par le cinéaste. Puis vient, avec 150 000 mètres de rushes, le temps du montage à partir de 1922. La projection de l’avant-première commence le 14 décembre 1922 au Gaumont Palace, avec un orchestre de 60 musiciens. La projection, dans dix salles parisiennes, d’un nouveau montage de 7 heures, du 16 février 1923 pour la première époque jusqu’en mars pour la quatrième, est accueillie tièdement par le public et déclenche des réactions mitigées des critiques, beaucoup épinglant la longueur du film. Le syndicat CGTU des cheminots osa même revendiquer le droit d’opérer des coupes ! Plusieurs versions se succédèrent, pour l’exploitation en France et à l’étranger, dont une réduite à 3 200 mètres, soit autour de 2h30. Suit Reconstruction et restauration, une passionnante analyse en une quarantaine de pages du travail entrepris pour restituer, le plus fidèlement possible, la version de 1923 et son accompagnement musical. Le livret se referme sur La musique de La Roue, les réponses à douze questions posées à Bernd Thewes qui a dirigé la reconstitution de l’accompagnement musical.

La Roue

Bonus - 5,0 / 5

La Roue, un chef-d’oeuvre restauré (31’). Joël Daire, directeur du patrimoine à la Cinémathèque Française, François Ede, responsable de la restauration, Thomas Rosso, chef de projet, L’Immagine Ritrovata à Paris, Sophie Seydoux, présidente de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, Élodie Tamayo, historienne du cinéma, évoquent les relations entre les personnages, déterminées par leur condition sociale et par le destin. Ils soulignent la place donnée aux animaux, la chèvre dans les deux premières époques, le chien Tobie dans les deux suivantes, et aux objets, en particulier à la locomotive que Sisif appelle Norma et à laquelle il parle… et qui lui répond. Gance a retourné de nombreuses scènes et, même, après son retour des USA où il était parti pour le lancement de J’accuse, a modifié le montage qu’il voulait plus syncopé. Faite à partir d’un négatif incomplet et de plusieurs copies et chutes, la reconstruction a été fortement compliquée par les nombreuses modifications et coupes opérées par Abel Gance sur le négatif de 1923. Elle a été guidée par une minutieuse enquête et par le fil d’Ariane de la liste musicale élaborée par Paul Fosse et Arthur Honegger, une suite symphonique dont Bernd Thewes et le chef d’orchestre Frank Strobel soulignent l’interaction avec l’image et le rôle d’arc narratif qu’elle tient, telle la partition d’un opéra. Un document passionnant, produit par ARTE G.E.I.E. en 2019 !

Autour de La Roue (9’) ou Documentaire anecdotique de l’oeuvre d’Abel Gance, réalisé par Blaise Cendrars, propose une suite de cartons et de scènes de tournage, avec un hommage à Séverin Mars, décédé quelques semaines après la fin du tournage, à la « star » Ivy Close, à Pierre Magnier, l’interprète de Hersan, à Gabriel de Gravone (Élie), à « Norma Compound », la locomotive utilisée pendant quatre mois, au chef-opérateur Léonce-Henri Burel. Ce précieux document montre le tournage de la scène où la caméra est fixée sur « une plate-forme agrafée à Norma Compound afin de prendre des close-ups en pleine vitesse », la préparation d’une autre scène par Abel Gance « à l’ombre d’un grand chapeau d’une élégance discutable », la visite sur le tournage de Charles Pathé, le tournage à Nice pendant le carnaval…

La Roue

Avant/après la restauration du film (5’) montre, notamment, le gain de luminosité et de contraste, le délicat assemblage du négatif et d’une copie pour reconstituer un manque du négatif, la reconstitution de teintures et de virages par le procédé Desmet numérique

Scènes coupées (6’) avec, notamment, plusieurs plans de Sisif fasciné à la vue de Norma se séchant devant l’âtre « à demi-nue » (selon les canons de l’époque).

Archive : l’occupation de la Ruhr par les troupes françaises en 1923 (4’, archives Pathé). En réaction à une grève des cheminots allemands, des soldats français occupent les gares, chargent le charbon dans les tenders et conduisent les trains.

Abel Gance dans « L’histoire du cinéma par ceux qui l’ont fait » (7’), interrogé par Armand Panigel en 1974, il raconte le tournage de la scène dans laquelle Séverin-Mars, décidé à mettre fin à ses jours, s’allonge sur les rails devant la locomotive qui aurait pu avoir une issue dramatique si un essai avec un mannequin n’avait été fait. es rushes étaient visionnés avec les négatifs pour économiser les coûts de tirage. Abel Gance, parce qu’elle bouchait la vue sur les montagnes, a donné l’ordre de démolir la petite gare au terminus de la ligne à crémaillère du Mont-Blanc, sans en référer à la compagnie.

Abel Gance dans « Cinéastes de notre temps » (7’), interview d’Abel Gance, Léonce-Henri Burel et Marguerite Beaugé, le 19 novembre 1964. La première époque a été tournée à Nice, sur un petit terre-plein entre les rails : à l’approche d’un train, une cloche donnait le signal d’évacuation du plateau, puis à Saint-Gervais, à une altitude de 2 400 mètres. Marguerite Beaugé évoque l’épopée du montage avec, pour certaines scènes, une trentaine de prises.

La Roue

Image - 4,5 / 5

L’image (1.33:1) a été, dans l’ensemble, magnifiquement restaurée, stabilisée, débarrassée de presque tous les traces de dégradation de la pellicule, avec des raccords du négatif avec des copies pratiquement indécelables, une luminosité et des contrastes étonnamment renforcés comme le montre le supplément Avant/après la restauration du film.

Seules quelques scènes, pendant une dizaine de minutes pour la troisième époque, et à peu près autant pour la quatrième époque, sont restées avec de grosses marques blanches, parfois sur le bord droit su cadre, parfois sur le bord gauche, correspondant à des effacements sur le négatif qu’il aurait été difficile (mais peut-être pas impossible) de reconstituer.

L’énorme travail de reconstruction des 2h30 qui avaient disparu du négatif compense très largement ces défauts occasionnels.

Son - 5,0 / 5

Le son DTS-HD Master audio 5.1 de l’accompagnement musical (avec le choix du format 2.0 stéréo), très aéré, avec une bonne dynamique et un spectre ouvert, met en valeur la qualité de l’orchestration et de la direction du Rundfunk Sinfonieorchester Berlin par Frank Strobel d’extraits d’oeuvres de compositeurs connus, tels Paul Dukas, Darius Milhaud, Albert Roussel, Henri Duparc, Gabriel Fauré, Vincent d’Indy, Jean Sibelius, Albéric Magnard, Jules Massenet, Arthur Honegger, Charles-Marie Widor, Camille Saint-Saëns… et d’autres encore, moins connus, voire presqu’oubliés.

Crédits images : © Droits réservés

Configuration de test
  • Vidéo projecteur JVC DLA-X70BRE
  • OPPO BDP-93EU
  • Denon AVR-4520
  • Kit enceintes/caisson Focal Profile 918, CC908, SR908 et Chorus V (configuration 7.1)
  • TEST EN RÉSOLUTION 1080p - Diagonale image 275 cm
Note du disque
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Philippe Gautreau
Le 18 août 2020
La Roue reste, un siècle après son tournage, un jalon du cinéma muet, inventif, novateur, un des premiers films à être presque entièrement tourné en extérieur. On peut enfin le voir dans son intégrité, après une minutieuse reconstruction de sa version originale de 1923 et de la musique qui l’accompagnait. Avec, en complément, un livre de 140 pages et plus d’une heure de bonus vidéo, Pathé nous livre là une des éditions marquantes de l’année 2020.

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