Milos Forman - 4 oeuvres de jeunesse (1964) : le test complet du Blu-ray

La personnalité et le talent de Miloš Forman feront de lui, en quelques films, le porte-drapeau de la Nouvelle vague du cinéma tchèque.

Ce coffret rassemble l’essentiel des films réalisés par Miloš Forman en Tchécoslovaquie, avant que l’invasion des troupes soviétiques ne l’oblige à s’exiler aux USA.

Miloš Forman - 4 oeuvres de jeunesse contient en réalité cinq films.

Ah, s’il n’y avait pas ces guinguettes (Kdyby ty muziky nebyly, 34 minutes) et L’Audition (Konkurs, 48 minutes), deux moyens métrages de 1964 regroupés, dans cette édition, comme ils le furent pour leur distribution en salles, comme un seul documentaire en deux parties, sous le titre L’Audition. Un couplage que légitime la proximité de leur thème, les répétitions de deux fanfares pour le festival d’instruments à vent de Kolin, la ville du compositeur František Kmoch, pour le premier film, l’audition de chanteuses amatrices pour un théâtre, pour le second.

L’As de pique (Cerný Petr, 1964, 90 minutes). Le titre original, « Pierre le noir », est plus révélateur du thème. Pierre, 16 ans, timide et gauche, décroche un drôle de job d’été : vigile dans une supérette, il ne sait comment faire pour surprendre en flagrant délit les clients qui volent des marchandises et est distrait par le twist et son attirance pour la belle Asa.

Les Amours d’une blonde (Lásky jedné plavovlásky, 1965, 81 minutes). Les édiles ont convaincu l’armée d’implanter une caserne dans la ville de Zruč, en faisant valoir qu’elle comptait seize filles pour un garçon. Les filles du village sont dépitées quand débarquent du train des « pépères » réservistes, mariés pour la plupart. Pendant le bal donné en leur honneur, Andula, ouvrière dans une usine de chaussures, se laisse séduire par Mila, le jeune pianiste de l’orchestre.

Au feu les pompiers ! (Horí, má panenko, 1967, 73 minutes). Un bal est organisé pour célébrer le 86ème anniversaire de l’ex-chef de la brigade des pompiers d’une petite ville. Tout est prévu, le cadeau d’anniversaire, la reproduction dorée d’une hachette dans un superbe écrin, une tombola et, même, un concours de la plus belle miss. Quelques imprévus vont complètement bouleverser le programme. Le premier film en couleurs de Miloš Forman, le dernier qu’il réalisera en Tchécoslovaquie, prend nettement les allures d’un pamphlet contre un régime communiste qui ne fonctionne plus.

Miloš Forman - 4 oeuvres de jeunesse montre des films dans lesquels on chante, on danse, surtout le rock’n’roll et le twist, on flirte, on boit en dépassant régulièrement la mesure. Ils furent réalisés avec des moyens de misère, des acteurs amateurs, des amis dans l’équipe technique. Des petits films, mais qui en disent long sur la Tchécoslovaquie des années 60, sur les aspirations de la jeunesse à autre chose que l’étouffant conformisme imposé dans tout le bloc soviétique.

Filmés par une caméra à l’épaule, avec une large part donnée à l’improvisation, dans un style et avec un contenu à cent lieues de l’académisme socialiste et de ses clichés, ils font souffler un vent nouveau dans le bloc de l’Est et désigneront Miloš Forman comme le porte-drapeau de la Nouvelle vague tchèque derrière lequel se regrouperont Věra Chytilová, Ivan Passer, Jiří Menzel, Jan Němec…

Son cinéma montre la réalité de la vie, et non l’image idéalisée qu’on doit s’en faire dans l’idéologie socialiste, ce qui suffit à lui donner, même si ce n’est pas le propos du réalisateur, une portée politique. Le trait sera nettement appuyé avec Au feu les pompiers ! : facile de deviner que les soldats du feu, inefficaces, débordés par les événements, symbolisent les caciques du pouvoir en place.

Des débuts qui laissent présager l’indépendance d’esprit qui marquera les films inoubliables qu’il tournera aux USA, tels Vol au-dessus d’un nid de coucou (One Flew Over the Cuckoo’s Nest, 1975), Hair (1975), Ragtime (1981), Amadeus (1984)…

Miloš Forman - 4 oeuvres de jeunesse est une édition attendue, la première en haute définition, de films devenus introuvables depuis l’épuisement de celles sorties en 2008 par MK2.

Miloš Forman - 4 oeuvres de jeunesse regroupe quatre films (d’une durée cumulée de 326 minutes) et leurs suppléments (84 minutes) tenant sur trois Blu-ray (2 BD-50 et 1 BD-25) logés dans un digipack à trois volets, élégamment illustré de photos, glissé dans un étui.

Un menu animé et musical propose chaque film dans sa version originale, en tchèque, avec sous-titres optionnels, au format audio DTS-HD Master Audio 1.0.

L’édition DVD a le même contenu.

Sur le Blu-ray 1 :

Entretien avec Pavla Martínková-Novtná (15’, 2018), l’interprète d’Asa Vrbová. Sans aucune expérience d’actrice, elle a été entraînée par des jeunes qui étaient déjà montés sur les planches et par Vladimír Pucholt, rôdé par une douzaine de films. Miloš Forman corrigeait souvent la diction, mais laissait une petite marge de liberté dans l’adaptation des dialogues. Il passait une partie de la nuit avec Ivan Passer et Jaroslav Papousek à préparer les scènes du lendemain. Les acteurs, interprétant des personnages ordinaires, différents des héros des films de l’après-guerre, n’étaient pas maquillés et portaient leurs propres vêtements.

Scène coupée (3’).

Bande-annonce.

Sur le Blu-ray 2 :

Le printemps de Miloš Forman (12’, Carlotta Films, 2020) par Luc Lagier. Avant ses films les plus connus, réalisés aux USA, montrant des personnages hauts en couleurs, il y eut ceux qu’il avait tournés en Tchécoslovaquie, montrant des anonymes, en conflit avec la génération précédente, une jeunesse qui s’ennuie, représentative « d’une liberté naissante », avant qu’une « chape de plomb ne s’abatte sur des visages qui ont la beauté de l’éphémère », quand éclatera la brutale répression du « printemps de Prague ». Malgré des redites avec Miloš Forman, années 60, en bonus sur le troisième disque, Luc Laugier nous dit un beau texte avec une analyse pertinente des premières oeuvres du cinéaste, qu’il rapproche de Taking Off, un film de transition, le premier qu’il tournera aux USA.

Sur le Blu-ray 3 :

Miloš Forman, années 60 (50’, 2010), un film de Luc Lagier, avec Jean-Claude Carrière. Surtout connu pour ses films américains, moins pour les « films libres et décomplexés » qu’il a réalisés en Tchécoslovaquie, « sous le contrôle d’un régime totalitaire » au temps où les oeuvres culturelles devaient « prôner des valeurs positives exaltant l’idéal socialiste. Dans une maison isolée du Connecticut où il s’est installé à la fin des années 70, il raconte à Luc Lagier ses premiers souvenirs de cinéma, remontant aux comiques américains, Charlie Chaplin, Buster Keaton, Laurel et Hardy, Harold Lloyd, mais aussi à des oeuvres de René Clair, Julien Duvivier et René Clément, étiquetées « décadentes » par le communisme qui imposait des films « aux clichés repoussants, politiquement corrects, très ennuyeux ». Il a suivi les cours de scénario de la Famu, « un îlot de liberté » et tourné en 1964, avec la caméra 16 mm qu’il avait achetée, ses premiers films dans un style en marge des canons de l’époque, marquant le début d’une Nouvelle vague. Ses premiers longs métrages, L’As de pique, puis Les Amours d’une blonde, accusés de « déformer l’image de la jeunesse », purent pourtant sortir et le firent connaître au-delà des frontières. Mais Au feu les pompiers !, coproduit par Carlo Ponti, ne fut projeté que dans des petites salles avec des officiels du parti infiltrés dans le public pour le dénigrer, avant de le bannir « parce que le public ne l’aimait pas ». Carlo Ponti demanda le remboursement de sa mise et Miloš Forman, menacé d’être poursuivi pour sabotage de l’économie socialiste, puni par dix ans de prison. Avec l’appui de François Truffaut et Claude Berri, le film fut racheté en France et distribué dans le monde entier, sauf dans le bloc de l’Est. Autorisé à quitter le pays pour les USA, Miloš Forman, s’installe dans le fameux Chelsea Hotel de New York où il rencontre Jean-Claude Carrière. Ils durent quitter New York au milieu des troubles qui éclatèrent après l’assassinat de Martin Luther King, puis Paris, secoué par les événements de mai 68, puis Prague au moment de l’invasion soviétique en août. Il repart à New York pour réaliser Taking Off, un film « hanté par les souvenirs du printemps de Prague ». Bien reçu par la critique, mais pas soutenu par Universal, le film fit peu de recettes. Il réalise ensuite Vol au-dessus d’un nid de coucou, où l’infirmière Ratched symbolise pour lui le pouvoir socialiste. Le bon accueil universel de ce film lui assurera les moyens d’enchaîner une suite de grands succès.

Bande-annonce du coffret.

L’image (1.37:1, 1080p, AVC, 1.33:1 pour L’Audition) a été soigneusement restaurée, après numérisation des négatifs. Stable, elle propose un dégradé de gris bien étalonné, avec d’occasionnelles insuffisances de contrastes pour L’As de pique et Les Amours d’une blonde, et des couleurs ravivées pour Au feu les pompiers ! L’image de L’Audition, filmé en 16 mm, récupérée « à partir du seul élément disponible », nous dit un message sibyllin, est moins lumineuse, avec des noirs poreux et quelques marques de dégradations de la pellicule.

Le son DTS-HD Master Audio 1.0 est, étonnamment propre dans l’ensemble, délivre dialogues et musique dans un bon équilibre, avec très peu de souffle, un peu plus pour L’Audition, dont la musique est parfois affectée par des saturations.

Une bonne restauration de l’image et du son pour des films de cet âge, tournés avec des moyens assez rudimentaires.

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