L'Abominable Dr. Phibes (1971) : le test complet du Blu-ray

The Abominable Dr. Phibes

Édition Collector Blu-ray + DVD + Livret

Réalisé par Robert Fuest
Avec Vincent Price, Joseph Cotten et Hugh Griffith

Édité par ESC Editions

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Le 13/10/2020
Critique

Un classique à la fois baroque et cruel du cinéma fantastique anglais des années 1970.

L'Abominable Dr. Phibes

Londres, vers 1925 : des médecins sont mystérieusement assassinés et les meurtres, exécutés avec la complicité d’une belle jeune femme brune et une cruauté raffinée, s’inspirent des dix plaies bibliques d’Égypte. L’enquête de police, laborieuse, mène pourtant au docteur Anton Phibes - médecin, théologien et accessoirement organiste - dont l’épouse mourut durant une opération chirurgicale. Certes déclaré mort car brûlé vif dans un accident de voiture, un inspecteur se persuade bientôt que Phibes pourrait bien être non seulement toujours vivant mais encore déterminé à venger le décès de son épouse au moyen de ces meurtres atroces, méthodiquement planifiés, impitoyablement exécutés.

L’Abominable docteur Phibes (USA-GB 1971) de Robert Fuest est l’un des derniers très grands rôles fantastiques de l’acteur Vincent Price, un des acteurs majeurs de l’histoire du cinéma fantastique. La grande qualité de sa prestation - héritière directe des rôles qu’il avait tenus pour André DeToth en 1953, pour John Brahm en 1954, pour William Castle en 1958 dans des films où la terreur était provoquée par une mise en scène à l’esthétisme concerté : cette série culminera d’ailleurs deux plus tard avec le shakespearien Théâtre de sang (GB 1973) de Douglas Hickcox bien davantage qu’avec Le Retour de l’abominable Dr. Phibes (Phibes Rises Again, GB 1972) de Robert Fuest, suite très décevante et inutile - ne doit cependant pas éclipser les autres qualités du film. Il est assez typique de ce que produisait, au tournant de 1970, la firme American International Pictures de Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson, producteurs qui avaient construit en 1960 leur réputation esthétique et financière sur le succès de la série Edgar Poe réalisée (et coproduite) par le grand cinéaste Roger Corman. En 1970, Arkoff et Nicholson s’intéressaient au mélange des genres, aux alliages stylistiques, aux cocktails thématiques : L’Abominable docteur Phibes est exemplaire d’un produit A.I.P. séduisant à la fois le public populaire et le public intellectuel sans oublier les cinéphiles du genre.

L'Abominable Dr. Phibes

D’abord en raison de son scénario (que Fuest réécrivit en grande partie mais sans en être crédité) qui est à la fois référentiel (son thème, celui du monstre amoureux, est le thème majeur de l’âge d’or américain du genre de 1931 à 1945; les assassinats s’inspirent des classiques plaies bibliques) et original (sa structure narrative en forme de puzzle composé de brèves séquences, son ironie glacée, son romantisme, son symbolisme nourrissent une action au suspense savamment dosé sans jamais l’étouffer).

Ensuite, à cause de son casting à la fois novateur (Virginia North dans son premier et dernier grand rôle quasiment muet, Caroline Munro dont les photographies non moins muettes ponctuent l’histoire d’une manière obsédante) et s’appuyant sur des valeurs éprouvées (Susan Travers qui avait joué Lorraine la modèle défigurée dans Le Voyeur en 1960, Joseph Cotten, Hugh Griffith, Terry-Thomas). Il faut savoir, concernant le personnage de Vulnavia, qu’à l’origine le scénario de James Whitton et William Goldstein prévoyait qu’elle était un automate (actionné au moyen d’une clé installée à la base de son cou) et non pas un être humain. Elle ne différait pas des musiciens automates composant le spectaculaire orchestre privé de Phibes. Robert Fuest estima qu’il valait mieux qu’elle fût humaine mais retint néanmoins l’idée de base en la modifiant : Vulnavia est mystérieusement inexpressive, apparemment sans émotion; elle accomplit la plupart de ses gestes d’une manière presque automatique. On pourrait dire aujourd’hui que Vulnavia a quelque chose de transhumaniste.

L'Abominable Dr. Phibes

Enfin pour sa mise en scène sophistiquée - parfois peut-être un peu trop : elle frôle alors le formalisme - qui rend régulièrement hommage au cinéma muet (à la version 1925 du Le Fantôme de l’Opéra, au premier chef et cela, dès la séquence d’ouverture) mais qui sait aussi, à l’occasion, exploiter les techniques de la télévision dont Fuest était un réalisateur expérimenté. Robert Fuest (1927-2012) avait, en effet, accompagné dès sa naissance en 1961, en tant que directeur artistique, la série TV Chapeau melon et bottes de cuir (The Avengers) et on l’y retrouve encore filmographiquement impliqué en 1976.

Dans la filmographie fantastique sélective de Fuest, il faut tenir L’Abominable docteur Phibes pour une réussite novatrice ayant dorénavant rang de classique. Ses deux autres contributions directes au genre sont, dans la catégorie science-fiction, Les Décimales du futur (The Final Programme / Last Days of Man on Earth, GB 1973) et, dans la catégorie horreur et épouvante, La Pluie du diable (USA-Mex. 1975).

L'Abominable Dr. Phibes

Présentation - 5,0 / 5

1 mediabook combo collector Blu-ray + DVD + livret, édité par ESC le 16 septembre 2020, collection British Terrors. Image couleurs au format original 1.85 nominal compatible 16/9. Son DTS-HD Master Audio 2.0 VISTF, VASTF et VF. Durée du film sur BRD : 94 min. environ. Suppléments : présentation de la collection British Terror (quelques images des productions Amicus et des productions Hammer films, montrées avant d’accéder au menu principal) + présentation du film par Pascal Françaix (52 min. environ) + livret 16 pages de Marc Toullec.

Livret 16 pages de Marc Toullec : bel objet (notamment illustré de la plus célèbre photo publicitaire du film, visible en bas de sa page 10, en N&B mais qui, comme souvent, n’apparaît pas dans la continuité filmée) qui semble souscrire d’emblée, dès sa première ligne, à l’affirmation publicitaire du distributeur de 1971 qui affirmait que c’était le centième film tourné par Vincent Price. En réalité, si j’ai bien compté (en excluant du décompte les séries TV et les courts-métrages ainsi que les longs-métrages dans lesquels Price n’a prêté que sa voix) sa filmographie complète, L’Abominable docteur Phibes est seulement son quatre-vingtième film de long-métrage, en tout cas certainement pas son centième. Très utiles précisions sur les contributions de Brian Clemens et Albert Fenell (respectivement au scénario et à l’organisation du tournage), sur la musique apportée par Fuest sur le plateau pendant les scènes muettes de Price et North, lui conférant une allure d’opéra durant ces séquences, ainsi que Price le remarqua. Aucun jeu complet reproduit mais belle sélection de photos de plateau et de photos d’exploitation (N&B+ couleurs visibles page 13), sans oublier de belles affiches, notamment une italienne assez étonnante.

L'Abominable Dr. Phibes

Bonus - 3,0 / 5

Présentation par Pascal Françaix (durée 52 min. environ) : illustrée par des extraits du film, des affiches et quelques photos de plateau et d’exploitation, elle témoigne d’une longue fréquentation du titre, amoureusement disséqué. Pascal Françaix le replace méticuleusement dans le cadre de l’histoire du cinéma fantastique, dans celui de la filmographie de l’acteur Vincent Price, du cinéaste Robert Fuest, de la firme de production AIP américaine (aussi active en Angleterre). Il brosse attentivement les étapes clés du titre : la genèse de sa production, son tournage, son casting, sa distribution commerciale et sa publicité, sa réception critique, sa postérité thématique. Bien sûr tout cela fait un peu double-emploi avec le livret mais Françaix apporte dans la dernière partie un éclairage sociologique original.

Quelques corrections ou additions factuelles que j’émets en passant : si le film fut présenté à la Première convention du cinéma fantastique, alors ce n’est pas à Paris qu’il le fut mais à Nanterre au Théâtre des Amandiers en mai 1972. Ce n’est qu’ensuite que la Convention s’établit à Paris, au Palace d’abord, au Palais des Congrès ensuite, au Rex enfin.

Les producteurs avaient certes songé à Peter Cushing mais, selon certaines sources, pas pour le rôle de Phibes mais pour celui tenu par Joseph Cotten (confirmé par le livret de Marc Toullec). La raison pour laquelle Cushing refusa est bien celle fournie par Françaix qui regrette cette rencontre manquée. Je crois devoir lui rappeler (je suis certain qu’il le savait mais que la mémoire lui a momentanément fait défaut : c’est donc pour le lecteur novice que je crois devoir préciser cela) qu’elle avait déjà eu lieu l’année précédente dans Lâchez les monstres (Scream and Scream Again, GB 1970) de Gordon Hessler, premier titre réunissant Vincent Price, Christopher Lee et Peter Cushing.

Fuest fut effectivement impliqué dans la série Chapeau melon et bottes de cuir mais il ne réalisa pas, je crois, d’épisodes avec Diana Rigg : il signa des épisodes avec Linda Thorson. Or ce sont des photos montrant Diana Rigg qui illustrent le moment où Pascal Françaix mentionne cette implication. J’aurais plutôt sélectionné des photos montrant Linda Thorson (bien que je préfère Diana Rigg, rapportée à l’ensemble de la série et d’un pur point de vue plastique, par rapport aux autres compagnes de John Steed).

L'Abominable Dr. Phibes

L’audition de la mélodie Over the Rainbow n’est pas le seul anachronisme du scénario : l’avion De Havilland utilisé pour l’un des meurtres n’existait pas encore en 1925, année où se situe l’action : il n’apparaît que dix ans plus tard, en 1935-1936.

Un aspect intéressant assez longuement développé en dernière partie par Françaix : les aspects éventuellement « queer » du titre lui permettant de devenir objet culturel revendiqué comme tel par certains critiques anglo-saxons. C’est une idée occidentale (elle remonte au dix-septième siècle) qu’une oeuvre d’art puisse être revendiquée par une communauté : la visée d’une oeuvre d’art est pourtant, en tant précisément qu’elle est une oeuvre d’art, fondamentalement universelle. En 1971 cet aspect allusif (qu’on croit y voir aujourd’hui, plus exactement) était totalement absent de l’esprit du grand public et seuls, peut-être, quelques critiques y furent sensibles mais sans le mentionner, du moins si ma mémoire est bonne. C’est un exemple d’une sorte de sociologie rétrospective du cinéma qui est - je n’en disconviens certes pas - une réalité avérée (ce titre est en effet bel et bien revendiqué aujourd’hui comme tel par certains et Françaix justifie assez bien cette revendication par une analyse très attentive du fond comme de la forme du film) mais une réalité historique rétrospectivement rapportée qui n’appartient peut-être pas vraiment à l’essence du film : il se défend très bien tout seul, sans elle, encore aujourd’hui et tient tout seul sur ses jambes sans avoir besoin de ce genre de béquilles, si j’ose dire. Reste que cet aspect est savoureux et méritait cependant d’être évoqué, complétant ainsi le livret de Toullec qui n’en parle pas du tout.

Excellentes remarques (elles sont les héritières intelligentes de la notice remarquable écrite par Jean-Marie Sabatier sur Price en 1973) sur la relation entre le comédien Vincent Price et le masque comme constitutif de son véritable visage, sorte de ligne rouge courant dans sa filmographie de 1953 à 1971. Intéressante remarque historique sur la désaffection de Price pour la série Edgar Poe distribuée par AIP en 1960-1964 et qui l’avait pourtant rendu réellement célèbre. Je partage les réserves émises par Françaix sur Le Retour de l’abominable Dr. Phibes que je tenais en piètre estime au moment de sa sortie en exclusivité tandis que je partage absolument son enthousiasme sur le shakespearien Théâtre de sang, effectivement influencé par le titre 1971 de Fuest mais dans lequel Hickox renouvelle néanmoins la donne d’une manière éblouissante.

Bonne édition spéciale : le cinéphile anglophone souhaitant visionner une édition collector pourra se tourner, pour sa part, vers l’édition américaine Blu-ray Shout Factory sortie en 2012 dans la collection Vincent Price, munie d’un commentaire audio du cinéaste Robert Fuest, d’un second commentaire audio historique et critique de J. Humphreys, d’une ample galerie affiches et photos, etc.

L'Abominable Dr. Phibes

Image - 4,0 / 5

Full HD 1080p au format large original 1.85, en couleurs et compatible 16/9. Copie argentique en bon état général. Quelques poussières négatives et une ou deux brûlures, qui se comptent sur les doigts d’une main, mais pour le reste, le spectre colorimétrique et la définition restituent bien la photographie baroque originale. C’est désormais l’édition française de référence en haute définition.

Son - 5,0 / 5

DTS-HD Master Audio 2.0 mono en VOSTF et VF d’époque. Offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. Concernant la VF d’époque, un panneau avertit qu’elle comporte quelques défauts et prie le l’auditeur de les excuser, compte tenu de sa rareté. Mis à part des effets sonores moins présents que dans la VO, je n’ai pourtant rien remarqué de particulier. La voix française qui double Vincent Price est bien adaptée au personnage même si la diction et la sonorité de la voix originale de Price demeurent toutes deux inimitables, à écouter en priorité. Le cinéphile fantastique la reconnaîtra : ce sera cette même voix française qui, quelques années plus tard, doublera non moins bien le personnage du vieux juge dans Flagellations (House of Whipcords, GB 1975) de Pete Walker. Cette précision adressée en guise de clin d’oeil cinéphilique à Pascal Françaix qui, comme moi, aime autant ce titre de Walker de 1975 que le titre de Fuest de 1971.

Crédits images : © Droits réservés

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
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francis moury
Le 14 octobre 2020
Un classique à la fois baroque et cruel du cinéma fantastique anglais des années 1970.

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