Une Hache pour la lune de miel (1969) : le test complet du Blu-ray

Rosso segno della follia, Il

Réalisé par Mario Bava
Avec Stephen Forsyth, Dagmar Lassander et Laura Betti

Édité par ESC Editions

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Le 08/12/2020
Critique

Film mi-policier mi-fantastique impressionnant de Bava, à l’esthétique baroque frôlant le cinéma expérimental.

Une hache pour la lune de miel

France 1968. Dans le wagon-lit d’un train, un jeune homme en état de transe assassine au hachoir un couple de jeunes mariés. C’est John Harrington, le riche directeur d’une maison de couture. Il a déjà tué une dizaine de femmes sans pouvoir s’expliquer vraiment pourquoi, poussé par une terrible et obsédante pulsion. John préserve les apparences de la normalité, surveillé autant par son épouse Mildred (une insatisfaite passionnée par l’occultisme) que par un inspecteur de police (qui le soupçonne de plus en plus). Mais ce fragile équilibre est bientôt rompu par le destin.

Une Hache pour la lune de miel (Il Rosso segno della folia / Una Hacha para la luna de miel, Ital.-Esp. 1970) de Mario Bava est un film maudit, relevant autant du cinéma-bis de genre que du cinéma expérimental.

Tourné en 1968 entre Rome et Barcelone (les studios Balcazar sans oublier un palais qui appartenait au général Franco) ainsi que quelques plans d’extérieurs nuits sur les quais de la Seine, filmés par Lamberto Bava (assistant sur le film de son père), son action est censée se dérouler intégralement en France. Sa distribution cinéma en France fut avortée (obtention tardive d’un visa en 1987 alors qu’il avait été tourné en 1968 et exploité dès 1970 en Italie et en Espagne) et sa première distribution VHS Secam française en 1989 chez l’éditeur Delta Vidéo l’affublait d’un titre (La Baie sanglante II) filmographiquement absurde et scénaristiquement mensonger, rajouté sur un « carton » vidéo N&B qui masquait, en outre, une partie du générique d’origine ! Il fallut attendre sa première édition DVD française en 2002, presque trente ans après sa réalisation, pour disposer d’un titre français correct traduit sur le titre espagnol et d’une image 16/9 sur grand écran TV. Cette édition ESC, qui apporte la haute définition, marque une nouvelle date dans l’histoire vidéographique française de ce titre.

Pourquoi une si longue attente et un insuccès commercial international si patent à sa sortie dans les années 1970 sur les marchés européens et américains ? Peut-être parce que Une hache pour la lune de miel est le contraire formel d’un giallo. On sait immédiatement qui est le meurtrier, lui-même agit en toute conscience et se définit d’emblée comme un paranoïaque. Ce n’est donc pas du tout une réinvention du giallo, ni même un film policier classique, ni même un film fantastique classique : c’est autre chose. Bava avait inventé le giallo dès 1962 mais il inventa, au cours de sa vie cinématographique, bien d’autres choses : en fait, il ne cessa d’innover. Preuve merveilleuse que ce film-ci de cette assertion-là ! Il pourrait se limiter à la description sanglante et parfois d’une ironie noire d’un cas de paranoïa mais il s’achève sur une note fantastique et surnaturelle : Mildred n’aimait pas les médiums pour rien. L’hésitation entre folie et surnaturel avéré, objectif, est cependant maintenue dans le strict respect des règles de la littérature fantastique mais cette indécision assez fondamentale (au point qu’on puisse aujourd’hui tenir le film tout entier pour un éventuel cauchemar, tant sa construction structurelle s’y prête) a pu troubler voire décevoir certains spectateurs.

Une hache pour la lune de miel

Sur le plan du casting, Bava propose une curieuse osmose entre cinéma d’avant-garde et cinéma-bis. Il donne la vedette à une actrice au profil dénoté comme étant intellectuel, à l’époque, à savoir Laura Betti (qui voulait tourner avec lui car elle admirait ses films et les défendait : Bava modifia le scénario à partir du moment où elle y fut impliquée) aux côtés des intéressantes starlettes du cinéma-bis italien Femi Benussi et Dagmar Lassander. Les hommes sont homogènes, plus ternes voire sous-employés (cas de Luciano Pigozzi alias « Allan Collins » au générique d’ouverture) mais cette homogénéité permet à l’acteur principal Steven Forsyth de ressortir d’autant plus et de composer une hallucinante création, inoubliable, qui maintient la mémoire de son nom dans l’histoire du cinéma fantastique.

On n’est pas près non plus d’oublier la serre ni le four crématoire qui l’alimente en engrais : la scène où le cadavre de Fémi Benussi est brûlé évoque inévitablement, dans le souvenir du cinéphile émérite, celle de la crémation du mannequin de Miroslava Stern dans La Vie criminelle d’Archibald de la Cruz (Mex. 1955) de Luis Bunuel. Ni ce plan en plongée puis contre-plongée à 90° de la goutte de sang tombant du haut de l’escalier tandis que les inspecteurs discutent avec John, ni les jeux de miroirs et de déformations psychédéliques qui précèdent et scandent les crises de démence du fou. La richesse stylistique du film porte en gestation le cinéma fantastique italien des années 1970-1980, à commencer par celui de la seconde période de Mario Bava lui-même mais il est évident que Dario Argento, Lamberto Bava (ici crédité assistant-réalisateur de son père) et consorts n’auront qu’à y puiser pour y trouver leur inspiration plastique.

Les emprunts aux films antérieurs (au premier chef, à Six femmes pour l’assassin tourné quatre ans plus tôt sans oublier la citation par le réalisateur d’une séquence de Les Trois visages de la peur, tourné cinq ans plus tôt, que John regarde à la télévision (*)) sont évidents. L’important, c’est qu’ils sont retravaillés, modifiés, en progrès et ne donnent donc jamais vraiment une impression de déjà-vu. Une Hache pour la lune de miel est donc tout sauf un remake de Six femmes pour l’assassin. Et s’il y a un film où l’espace et le temps sont dilatés avec une virtuosité qui sert le scénario au lieu de le desservir, tout en le construisant et en le reconstruisant en temps réel sous nos yeux, c’est bien Une hache pour la lune de miel. A partir d’un scénario de roman-photo pour adultes, cette oeuvre de commande en apparence strictement calibrée aux normes du cinéma-bis de consommation, manifeste sans cesse une liberté surprenante que n’aurait pas reniée l’écriture automatique recommandée par les Surréalistes, confinant plus d’une fois au cinéma expérimental le plus audacieux.

(*) L’idée de faire croire à la police que des sons menaçants proviennent non pas d’émetteurs réels mais d’une émission de TV, sera brillamment reprise par l’excellent film noir policier Bound (USA 1996) des soeurs Lana et Lilly Wachowski (« frères Wachovski », au générique, mais soeurs en réalité) où un gangster fait croire à des policiers de Chicago que des coups de feu et des cris signalés proviennent non pas d’êtres réels dans son appartement mais d’une projection TV de La Nuit des morts vivants (USA 1968) de George A. Romero qu’il visionnait avec le son au maximum. Notons que Bava créditait la police française, en 1970, d’une intelligence légèrement supérieure à celle de la police amériaine de Chicago de 1996, car l’inspecteur de 1970 prend ensuite la peine de visionner intégralement Les Trois visages de la peur afin de vérifier le minutage exact des cris proférés, constatant que le moment où les cris ont été entendus par les témoins, ne coïncide pas avec le minutage du passage que visionnait John lors de son contrôle, ce qui renforce ses soupçons à son encontre.

Une hache pour la lune de miel

Présentation - 4,0 / 5

1 Blu-ray sous boîtier + étui édité par ESC le 18 novembre 2020, collection Mario Bava. Image couleurs au format original 1.85 nominal (aspect ratio réel : 1.78) compatible 16/9. Son Dolby Mono VOSTF italienne, VOSTF anglaise et VF. Durée du film sur BRD : 88 min. environ. Suppléments : montage-présentation de la collection Mario Bava chez ESC préliminaire au menu général, présentation du film par J.-F. Rauger et par J.-P. Bouyxou.

Bonus - 3,0 / 5

Présentation du film par Jean-Pierre Bouyxou (2020, 8 min. environ) : brève mais bonne, illustrée de documents (affiches, photos, etc) bien montés par Linda Tahir. Bouyxou fournit un certain nombre de détails concrets sur la genèse, la production, l’exploitation erratique du film. Bouyxou est un témoin historien, critique et cinéaste de première main du cinéma-bis des années 1960-1980 : son témoignage est donc, par nature, toujours intéressant (en dépit d’une élocution pas toujours bien audible) et c’est par lui qu’on peut tout naturellement débuter avant d’embrayer sur l’analyse plus intellectuelle, plus riche (mais bien plus longue aussi) de Rauger.

Présentation du film par Jean-François Rauger (2020, 25 min. environ) : analyse plus ample, très bien monté sur les images par Linda Tahir, richement illustrée de divers documents. Elle aussi fournit les détails matériels essentiels sur la genèse, la production, l’exploitation mais, surtout, elle se penche en profondeur sur l’esthétique et la thématique de ce Bava qui, selon Rauger (filmé dans une salle de cinéma vide : norme usuelle des entretiens vidéo français depuis les débuts du DVD mais norme qu’on visualise aujourd’hui d’une manière différente car elle symbolise assez bien la pénible période d’isolement forcé et d’épidémie mondiale que nous connaissons depuis presque un an) inaugure la seconde manière du cinéaste, arguments rigoureusement développés à l’appui. Excellentes remarques, parmi bien d’autres, sur les deux scénarios distincts mais que la dynamique du film permet d’unifier. C’est sans doute l’une des meilleures présentations de Rauger depuis celle qu’il avait faite en 2007 du Tarantula (USA 1955) de Jack Arnold : précision qui ne nous rajeunit, certes, ni lui ni moi. Un seul bémol : je ne partage pas l’opinion de Rauger selon laquelle Archibald de la Cruz mènerait, dans le film de Bunuel qu’il a raison de citer (j’avais écrit ma remarque d’histoire du cinéma sur ce film de Bunuel dans ma critique avant de visionner son entretien, soit dit en passant) une vie « un peu minable » (sic) : une grande et belle demeure munie d’un vaste jardin, une richesse le dispensant de travailler, une bonne éducation, de bonnes manières, un goût artistique développé, des serviteur zélés le débarrassant des tâches subalternes, des relations mondaines dans la plus haute société mexicaine, y compris avec certaines des plus belles femmes mexicaines jamais vues sur un écran de cinéma : en quoi tout cela serait-il « un peu minable » ? Mais passons… c’est un détail qui dénote dans une présentation, par ailleurs, vraiment excellente.

Au total, bonne édition spéciale (bien illustrée et bien montée) qui apporte l’ensemble des éléments permettant de situer correctement et d’analyser en profondeur le film.

Je regrette néanmoins l’absence d’une classique galerie dédiée affiches et photos, sans parler des traditionnelles bandes-annonces originales ici curieusement absentes mais que je regrette moins. Le cinéphile (si et seulement si il est anglophone) qui souhaiterait aller plus loin, pourra accéder à un niveau légèrement supérieur de connaissances en écoutant le commentaire audio de Tim Lucas sur l’ancienne édition anglaise Blu-ray de 2012 distribuée par Kino Lorber sous label Redemption. Pourquoi ESC ne l’a-t-il pas intégré à son édition 2020 ? On peut se poser la question dans la mesure où l’excellente édition ESC de Le Corps et le fouet (Ital. 1963) de Mario Bava, comportait pour sa part un commentaire audio de Tim Lucas, précieusement muni de sous-titres français. Cette absence est un second motif de regret, relativement à cette section bonus.

Une hache pour la lune de miel

Image - 3,0 / 5

Format nominal 1.85 (mais à l’aspect ratio réel: 1.78) en couleurs et compatible 16/9 en Full HD. C’est exactement la même copie argentique et la même image que celles visibles sur l’ancienne édition Blu-ray Kino Lorber anglaise sous label Redemption éditée en 2012 (mais qui ne contenait aucune VF ni aucune VOSTF : cette édition ESC nous les apporte heureusement). On a droit au générique anglais international sur les trois versions sonores proposées. Il ne reprend pas le titre italien original mais le titre espagnol qu’il traduit littéralement. Première bobine (générique d’ouverture + séquence du train) en assez médiocre état argentique car l’émulsion est instable, semée de très nombreuses poussières négatives et positives. La suite est heureusement en meilleur état : certes, encore pas mal de poussières éparses sur certains plans, aussi quelques petites brûlures bleues sur deux ou trois plans, sans oublier un cheveu coincé fugitivement en bas de la fenêtre de l’objectif de la caméra durant une fraction de seconde sur un seul plan. La définition, le contraste et la gestion des noirs, la luminosité, la colorimétrie compensent relativement ces défauts argentiques : on n’a pas fait mieux pour l’instant, concernant ce titre, en vidéo numérique. Cerise sur le gâteau : Bava signe lui-même la direction de la photo qui contient des prouesses (à commencer par le splendide générique d’ouverture filmé en équidensités à dominante rouge) dont on ne se lasse pas. Et pour cause : Bava était déjà un des plus grands directeurs de la photographie du cinéma italien avant de passer à la réalisation.

Une hache pour la lune de miel

Son - 5,0 / 5

Dolby Mono VOSTF italienne, VOSTF anglaise, VF (datant de la sortie VHS au début des années 1980 car le film fut inédit au cinéma). Offre ESC bien plus riche que celle de l’ancien Blu-ray anglais Kino Lorber Redemption édité en 2012 et plus riche aussi que celle de l’ancien DVD français édité en 2002 qui ne proposait pas la VOSTF italienne. La VF et la VOSTF italienne sont les deux pistes les plus intéressantes : voix plus agréables et mieux adaptées aux personnages, équilibrage plus soigné des divers éléments. Entendre Jesus Puente, vedette espagnole alors populaire dans son pays d’origine, parler anglais sans accent (puisque ce n’est pas lui qui parle) engendre un effet ridicule dans la VOSTF anglaise dont on peut se passer. Sur les trois version sonores proposées, c’est le même générique anglais international qui traduit littéralement le titre espagnol d’exploitation. Sur le plan technique, la piste italienne est techniquement la meilleure. La VF avait été fabriquée, pour sa part, au moment de l’édition en VHS Secam : techniquement, elle est évidemment inégale mais dramaturgiquement, les voix conviennent bien aux personnages.

Crédits images : © Mercury Produzione Films, Pan Latina Films, Peliculas Ibarra y Cia

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
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francis moury
Le 8 décembre 2020
Film mi-policier mi-fantastique parfois très étonnant de Bava, à l’esthétique baroque frôlant assez régulièrement le cinéma expérimental.

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