La Vengeance de Siegfried (1966) : le test complet du Blu-ray

Die Nibelungen : Siegfried

Édition Collector Blu-ray + DVD + Livre

Réalisé par Harald Reinl
Avec Uwe Beyer, Rolf Henniger et Siegfried Wischnewski

Édité par Artus Films

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Le 11/01/2021
Critique

Adaptation très luxueuse de la légende médiévale, à l’expressionnisme langien parfois amplifié par le format Scope.

La Vengeance de Siegfried

La Vengeance de Siegfried (Die Nibelungen, RFA-Youg. 1967) de Harald Reinl (1908-1986) est peut-être le plus gros budget jamais produit par la firme Central Cinema Company (C.C.C.) d’Arthur Brauner, le producteur responsable de la renaissance du cinéma artistique allemand d’après-guerre, matérialisée par les trois derniers chefs-d’oeuvres de Fritz Lang qu’il avait produits en 1958-1960. Le réalisateur Harald Reinl et le producteur Brauner nourrirent ensuite une ambition commune, confortée par le succès du cinéma policier et fantastique allemand de la période 1960-1970 : faire revivre d’autres classiques de Fritz Lang en les adaptant à l’esthétique moderne du cinéma commercial populaire allemand.

Ce qui est certain, c’est que l’âge d’or filmographique de Reinl coïncide précisément avec cette ambition langienne : Le Retour du Dr. Mabuse (Im Stalmetz des Dr. Mabuse, RFA 1961), L’Invisible Dr. Mabuse (Die Unsitchbaren Krallen des Dr. Mabuse, RFA 1962) prolongent intelligemment les trois Mabuse antérieurement signés par Lang en 1922, 1932 et 1960. Espions sur la Tamise (Der Teppiche des Grauen, RFA 1962) reprend clairement le titre français d’exploitation du film américain de Lang de 1943, indiquant ainsi son évidente filiation. L’Araignée blanche défie Scotland Yard (Die weisse Spinne, RFA 1963) affiche un titre original proche de celui du serial policier de Lang de 1919-1920. Après La Vengeance de Siegfried puis Le Vampire et le sang des vierges (Die Schlangengrube und das Pendel, RFA 1967, une curiosité diversement appréciée par la critique française à sa sortie, considérée comme remarquable par René Prédal en 1970 mais comme « imbuvable » (sic) par Jean-Marie Sabatier en 1973) puis son divorce avec la très belle actrice Karin Dor en 1968 ― elle était depuis 1954 son égérie et fut la vedette de la plupart de ses meilleurs films jusqu’en 1967 inclus ― la filmographie de Reinl amorça une chute artistique à partir de 1970, chute qui ne cessa de s’accentuer jusqu’à son dernier film signé en 1982.

La Vengeance de Siegfried

Le titre original allemand Die Niebelungen de 1966-1967 reprend simplement le titre général du film de Lang dont les deux volets étaient La Mort de Siegried (Siegfrieds Tod - Nibelungen 1, All. 1923) et La Vengeance de Kriemhild (Kriemhilds Rache - Niebelungen 2, All. 1924). Le titre adopté par le distributeur français au moment de la sortie parisienne en octobre 1968 est à la fois mensonger et absurde mais c’est celui auquel le visa d’exploitation est désormais accolé.La construction du film de Reinl de 1966-1967 est découpée, organisée et rythmée de la même manière, formant un diptyque au scénario rigoureusement identique à celui du scénario original de Lang et Thea von Harbou de 1923-1924. Reinl va jusqu’à reprendre tels quels certains détails plastiques de la mise en scène langienne : le vent de mauvais augure s’engouffrant d’une manière inquiétante par les rideaux des chambres de Kriemhild et Brunehild dans le château du roi Gunther, la disposition architecturale des servantes de Brunehild en haut des montagnes escarpées formant une sorte de rempart naturel, la répartition architecturale de la figuration soldatesque autour des héros… on pourrait citer des dizaines de reprises telles quelles, en général transposées mais parfois presque reconstituées. Reinl innove cependant car ― à la différence de Lang qui s’était plié à la règle de la firme productrice UFA de ne rien tourner en extérieur et de reconstituer systématiquement les décors (les arbres gigantesques des forêts que traversait Siegfried étaient fabriqués, en 1923, en ciment) ― il bénéficie de magnifiques extérieurs naturels yougoslaves (les vastes plaines dénudées sur lesquelles se déroulent quelques chevauchées offensives ou défensives) et islandais (les puissants geysers soufflant leur écume blanche autour de la brune Walkyrie incarnée par Karin Dor) qu’il filme non plus dans le N&B expressionniste contrasté de 1923-1924 mais en Scope-couleurs 2.35.

La Vengeance de Siegfried

Une influence nette, celle des péplums du second âge d’or italien 1953-1965 (*) mettant en scène les invasions barbares du moyen-âge, traverse évidemment toute la seconde partie où Kriemhild épouse Attila afin d’utiliser ses guerriers pour assouvir sa vengeance. Sur le plan du casting, outre la vedette Karin Dor (la « Barbara Steele allemande »), il faut mentionner le grand acteur du cinéma fantastique Herbert Lom dans un rôle de composition qu’avaient déjà tenu les acteurs Anthony Quinn et Jack Palance, respectivement dans Attila, fléau de Dieu (Ital. 1954) de Pietro Francisci et le Le Signe du païen (USA 1954) de Douglas Sirk. Signalons que Le Chevalier blanc (Sigfrido, Ital. 1957) de Giacomo Gentilomo avait adapté la première partie (mais très brièvement la seconde partie) de la légende. D’une certaine manière, la situation de Reinl dans le cinéma allemand parlant des années 1965 est identique à la situation de Lang dans le cinéma allemand muet des années 1920 : les éléments spectaculaires de sa mise en scène sont destinés à rivaliser avec ceux déjà déployés par l’Italie (dès 1914 avec le triomphe du héros Maciste dans le monumental Cabiria de Giovanni Pastrone, au scénario et aux dialogues écrits par Gabriel d’Annunzio) mais ils sont modifiés par l’esthétique expressionniste et monumentale purement allemande de Lang à laquelle (il faut insister sur ce point) Reinl demeure fidèle en de nombreux plans de son remake. La violence graphique, parfois impressionnante, est compatible avec celle du cinéma d’aventure et des péplum de l’époque. Elle est parfois anodine mais parfois plus rude et la couleur augmente alors son impact (plans de la statue mongole d’un lion à la bouche écumante de sang, plans de cadavres sanglants amoncelés les uns sur les autres à l’issue des combats de plus en plus violents et rapprochés dans la seconde partie).

Au total, indispensable à l’historien du cinéma car cet alliage esthétique entre l’expressionnisme allemand de 1923-1924 et le péplum italien de 1950-1965 ne laisse pas de demeurer assez étonnant. Il y a vraiment, dans l’histoire du cinéma fantastique dont relève ses meilleurs titres, un cas Harald Reinl ; La Vengeance de Siegfried montre qu’il mérite d’être examiné de bien plus près qu’on ne l’a fait jusqu’ici.

(*) Je crois en effet, aujourd’hui, qu’on pourrait faire débuter ce second âge d’or du péplum italien (qu’il soit historique ou fantastique, selon les titres) avec le Spartacus (Ital.-Fr. 1953) de Riccardo Freda, plutôt qu’avec Les Travaux d’Hercule (Le Fatiche di Ercole, Ital.-Esp. 1957) de Pietro Francisci dans la mesure où Freda est le premier grand cinéaste italien de la seconde moitié du vingtième siècle à illustrer le genre d’oeuvres majeures avant Mario Bava, avant Vittorio Cottafavi, avant Sergio Corbucci, avant Antonio Margheriti, avant Domenico Paolella. Ce qui lui donnerait comme bornes nouvelles 1953-1965. En vérité, depuis le cinéma muet, le péplum est consubstantiel au cinéma italien et n’a jamais cessé d’exister ― qu’on songe seulement aux monuments du cinéma que sont Scipion l’Africain (Ital. 1937) de Carmine Gallone, Fabiola - 1ère époque - Mirage de Rome/Fabiola - 2ème époque - Le sang des martyrs (Ital.-Fr. 1948) d’Alessandro Blasetti ― mais la période parlante de 1930 à 1950 demeure moins riche quantitativement en productions que le premier âge d’or de la période muette 1914-1925, d’une part et que le second âge d’or de la période parlante 1953-1965, d’autre part.

La Vengeance de Siegfried

Présentation - 4,0 / 5

1 mediabook collector Artus, édité le 05 janvier 2021, contenant 1 DVD-9 PAL zone 2 + 1 Blu-ray 50 région B + 1 livret illustré de 80 pages. Durée du film (version intégrale) : 168 min. environ. Format 2.35 Scope-couleurs original respecté, compatible 16/9. DTS-HD Master Audio VOSTF 2.0 stéréo + VF d’époque sur Blu-ray. Dolby Digital sur DVD. Suppléments : livret 80 pages illustrées par Laurent Shang & Alain Petit + Diaporama affiches et photos.

Livret Le Trésor des Niebelungen, (80 pages illustrées couleurs + N&B).

La première partie (pp. 6 à 41) rédigée par Laurent Schang (auteur d’un excellent article sur Otto de Habsbourg, celui qui a dit « nein » paru en son temps in volume collectif Cancer ! Gueules d’amour, éditions Mille et nuits, Paris 2003, pp. 97-133) est consacrée à histoire, la légende et la mythologie des Niebelungen, ses représentations dans la littérature, la musique et les arts plastiques. Elle brosse d’une manière synthétique mais précise le sujet. Cartes géographiques, peintures romantiques et symbolistes, gravures, dessins, affiches de films illustrent cette section achevée par une bibliographie sommaire mentionnant néanmoins, à défaut des études de Georges Dumézil sur les mythologies nordiques indo-européennes, les sérieuses éditions Aubier-Montaigne du texte médiéval de la légende.

La seconde partie (pp. 43 à la fin) rédigée par Alain Petit, est une bio-filmographie du cinéaste Harald Reinl. Elle est claire, utile, non moins synthétique, assez bien illustrée mais j’aurais pour ma part systématiquement privilégié, en matière de reproduction pleine page, les affiches des films de la série Edgar Wallace et celles du diptyque 1966-1967. Sur la mignonne affiche thailandaise reproduite double-page, il n’est peut-être pas inutile de fournir la traduction du titre d’exploitation thaï ; la voici donc : Siegfried contre le dragon de feu. Le slogan publicitaire thaï (inscrit en bas à droite de l’affiche) mentionne qu’il faut venir voir ce héros prestigieux combattre un redoutable dragon de feu grâce à son épée magique.

La Vengeance de Siegfried

Ni Schang ni Petit ne comparent (que ce soit sommairement ou d’une manière plus détaillée) le film original de Lang à celui de Reinl qui en est pourtant un remake explicite et avoué. Ce serait, il est vrai, un sujet de thèse d’histoire du cinéma, si on voulait le traiter à fond mais il aurait fallu mentionner que la structure et de nombreux détails du récit sont traités à l’identique, parfois au plan près et parfois à la composition du plan près. La section consacrée par Schang à l’opéra tétralogique Des Ring des Nibelungen (1849-1876) de Richard Wagner, est trop brève à mon goût (un simple paragraphe en haut de la p. 33). Je suis en effet persuadé que Wagner fut, contrairement à ce qu’écrivait en son temps Georges Sadoul, la première source d’inspiration de Thea von Harbou et Lang, lorsqu’ils écrivirent le scénario de leur diptyque de 1923-1924 refait par Reinl en 1966-1967. Le Siegfried (Ital. 1912) du prolifique Mario Caserini serait un court ou moyen métrage qui aurait été bel et bien exploité en France en novembre 1912 mais j’écris cela au conditionnel tout de même. Petit passe totalement sous silence un fait majeur, à savoir que Karin Dor fut l’épouse et l’égérie esthétique de Reinl de 1954 à 1968. Il existait, à mon avis, entre le cinéaste Harald Reinl et l’actrice Karin Dor le même type de relation ― héritière de celle, mythologique et symbolique, entre Pygmalion et Galatée ― qu’entre les cinéastes et actrices Josef von Sternberg et Marlene Dietrich, Riccardo Freda et Gianna Maria Canale, pour ne citer que certains de ces plus prestigieux couples esthétiques de l’histoire du cinéma. Ce ne fut pas un hasard si la rupture avec Karin Dor amorça la nette décadence de Reinl à partir de 1968. Concernant la mort de Reinl, je lis sous la plume de Petit qu’il fut battu à mort par sa dernière épouse mais je lis sur certains autres sites qu’elle le poignarda à mort, ce qui n’est pas tout à fait la même manière de mourir (son fantôme, s’il lit ces lignes, sera certainement d’accord avec moi) : à creuser par de futurs biographes.

Cela dit, en dépit de ces quelques rectifications et de ces quelques critiques, convenons que ce livret est riche en documents d’histoire générale et d’histoire du cinéma, méritant donc une bonne note.

La Vengeance de Siegfried

Bonus - 2,5 / 5

Diaporama : excellente galerie affiches et photos dont la reproduction et la haute qualité de définition suffisent à mériter la moyenne. Pratiquement tout le jeu de photos françaises d’exploitation et quelques affiches (allemandes, italiennes : ces dernières savoureusement mensongères font de Terence Hill la vedette du film alors qu’il n’a que quelques lignes de dialogues dans la continuité). Une dizaine de ces photos françaises d’exploitation sont également reproduites, mais en beaucoup plus petite taille malheureusement, dans le livret illustré.

Image - 4,5 / 5

Format original 2.35 en couleurs, compatible 16/9 (Full HD sur Blu-ray). Générique allemand d’époque sur les deux versions sonores, contenant une erreur de datation au copyright : « 1976 » mentionné au lieu de 1967 car les chiffres 6 et 7 ont été intervertis ! Un cheveu noir sur le bas droit de la fenêtre de la caméra durant une partie non négligeable ce même générique. Sur les presque trois heures de projection, on relève quelques petites brûlures bleues fugitives sur trois ou quatre plans argentiques : le reste est littéralement impeccable. Magnifique colorimétrie, parfaitement respectée, vive et nuancée autant en intérieurs qu’en extérieurs. C’est désormais l’édition de référence en Full HD. Excellent transfert numérique en Full HD, équilibrant parfaitement le rapport entre grain argentique et lissage vidéo.

Son - 4,5 / 5

DTS-HD Master Audio (sur le Blu-ray) ou Dolby Digital (sur le DVD) stéréo 2.0 en VOSTF et VF d’époque : offre complète pour le cinéphile francophone. Elle présente le montage intégral comportant quelques plans inédits dans les copies exploitées en France à partir de 1967, présentés pour cette raison en VOSTF sur la piste VF d’époque. Musique symphonique ample (mais sans emprunt notable à Wagner) et dotée d’une dynamique bien reproduite. La VF d’époque, au doublage soigné, est munie d’un rapport généralement correct entre musique/effets sonores/dialogues mais chuinte parfois un peu sur certains plans (la voix française de Kriemhilde, par exemple). Il a existé une version double-stéréo sur 4 pistes sonores, exploitée sur quelques copies argentiques gonflées de 35mm en 70mm.

Crédits images : © Avala Film, Central Cinema Company Film

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
Note du disque
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francis moury
Le 12 janvier 2021
Adaptation 1966-1967 très luxueuse de la légende médiévale allemande déjà portée à l'écran par Fritz Lang en 1923-1924, à l’expressionnisme langien non seulement revendiqué par le cinéaste Harald Reinl mais encore parfois même amplifié par le Scope-couleurs.

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