Sans soleil (1982) : le test complet du Blu-ray

Édition Collector Blu-ray + DVD + Livre

Réalisé par Chris Marker
Avec et Arielle Dombasle

Édité par Potemkine Films

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Le 09/03/2021
Critique

Recueillies au début des années 80, les impressions de Chris Marker sur le Japon, un pays qui l’avait fasciné.

Sans soleil

À partir de lettres écrites lors de ses voyages sur différents continents, un caméraman, Sandor Krasna, questionne son rapport aux images qu’il filme, met en parallèle les civilisations et interroge la place de l’Homme dans le monde.

Sans soleil, sorti en 1983 est le 32ème film de Chris Marker, Christian François Bouche-Villeneuve pour l’état-civil, romancier, essayiste, réalisateur, professeur à l’IDHEC (devenue la Fémis), scénariste, monteur, photographe, compositeur et producteur, notamment de Loin du Vietnam, le documentaire sorti en 1967, en plusieurs segments, réalisés par Jean-Luc Godard, Joris Ivens, William Klein, Claude Lelouch, Agnès Varda et Alain Resnais.

Cet homme secret (il n’a jamais accordé d’entretien) aura, en soixante ans, de 1952 à 2011, réalisé près de 70 films, essentiellement des documentaires et de rares fictions, dont La Jetée, une fable postapocalyptique sous la forme d’un montage de photos. Saluée par le Prix Jean Vigo en 1963, elle inspirera à Terry Gilliam L’Armée des 12 singes (Twelve Monkeys, 1995) et la série dérivée 12 Monkeys, créée en 2105 par Travis Fickett et Terry Matalas.

À bord d’un ferry au Japon. Florence Delay, hors champ, lit une des lettres de Sandor Krasna : « Il m’écrivait : je reviens de Hokkaidō, une île du nord. (…) Après quelques tours du monde, seule la banalité m’intéresse encore ; je l’ai traquée pendant ce voyage avec l’acharnement d’un chasseur de prime. À l’aube, nous serons à Tokyo. »

Sans soleil est un montage de plans filmés par Chris Marker au Japon et d’autres, tournés en Guinée-Bissau, « d’images empruntées » à Sana na N’hada (festival de Bissau), Jean-Michel Humeau (cérémonie des grades), Mario Marret et Eugenio Bentivoglio (guérilla à Bissau), Danièle Tessier (mort d’une girafe) et Haroun Tazieff (Islande 1970). Les crédits indiquent : « Composition et montage : Chris. Marker » et « bande acoustique : Michel Krasna », le nom choisi par Chris Marker pour signer les partitions composées pour l’accompagnement de sept de ses films.

Le titre du film s’affiche en français, en anglais et en russe, без солнца, le nom d’un cycle de mélodies pour voix et piano composé par Modeste Moussorgski en 1874. Un texte de Chris Marker est lu, en contrepoint des images, sans relation directe avec elles. Dans la version française, le texte est lu par Florence Delay, l’inoubliable Jeanne du Procès de Jeanne d’Arc de Robert Bresson.

Sans soleil

Les images sont ma mémoire

« Bien sûr, je ne ferai jamais ce film. Pourtant, j’en collectionne les décors, j’en invente les détours, j’y dispose mes créatures favorites, et même je lui donne un titre, celui des mélodies de Moussorgski, Sans soleil. »

Sans soleil, c’est le regard de Chris Marker sur le monde, en 1982. Il nous emmène à San Francisco, à la recherche de lieux de tournage d’un film qu’il admirait : « Il m’écrivait qu’un seul film avait su dire la mémoire impossible, la mémoire folle, un film de Hitchcock, Vertigo ». Puis, à la recherche d’un regard de jeunes femmes en Guinée-Bissau, libérée de la colonisation par le Portugal avant d’être « tombée sous la coupe de petits tyranneaux sanguinaires ».

Sans soleil s’attarde sur le Japon en soulignant l’étrange contemporanéité du modernisme et des traditions, futiles aux yeux des occidentaux, comme les cérémonies et prières pour les chats morts ou disparus ou le rituel funéraire des poupées cassées, immolées par le feu, la cohabitation des gens aisés et des « recalés du modèle, tout un monde de clodos, de hors-caste, de Coréens ».

La politique est présente dans les rues de Tokyo. Les harangues de l’extrême droite et de l’extrême gauche sont accompagnées par la musique des jeux vidéo. Un jeu d’arcade invite à frapper sur le crâne des dirigeants d’une société, le président, le vice-président, le directeur du personnel, dont la marionnette a été si souvent et si fortement molestée qu’il a fallu la remplacer par celle d’un bébé phoque !

Ce que j’ai envie de vous montrer, ce sont les fêtes de quartier

Sans soleil, comme son titre le laisse supposer est sombre, pessimiste, avec un instant d’intense émotion pendant la lecture de la dernière lettre d’un jeune kamikaze. Le film s’était pourtant ouvert sur trois enfants, sur un chemin d’Islande, « l’image du bonheur ». Mais, une des dernières séquences, filmée cinq ans plus tard par Haroun Tazieff, nous montre leur petite ville, Heimaey, partiellement ensevelie sous les cendres crachées par le volcan Eldfell le 23 janvier 1973. Le désenchantement latent cède pourtant, de temps à autre, la place à la liesse populaire des carnavals, à Tokyo et Bissau.

Sans soleil

Présentation - 5,0 / 5

Sans soleil (104 minutes) et ses suppléments (74 minutes, sans compter la version anglaise) tiennent sur un Blu-ray BD-50 et sur un DVD-9 logés dans les couvertures d’un Digibook non fourni pour le test, effectué sur le seul Blu-ray.

Le menu animé et musical propose le film au format audio DTS-HD Master Audio 2.0 mono. Une version du film en anglais, au même format, est également proposée, sans sous-titres, comme l’avait voulu Chris Marker.

Piste d’audiodescription DTS-HD MA 2.0 mono et sous-titres pour malentendants.

Une restauration a été effectuée pour Argos Films en 2013, à partir d’un négatif original 16 mm, par Éclair Group pour l’image, par L.E. Diapason pour le son.

Un livre de 224 pages s’ouvre sur Le Dépays (Herscher, 1982), un album de photos accompagnées des impressions de Chris Marker sur le Japon, en particulier sur Tokyo, sur l’intérêt porté au chat (neko), avec une visite du cimetière des chats sous une pluie battante, « comme dans Rashomon », sur les boutiques, le métro… sur le Japonais et « sa façon de voir en toute chose son contraire », sur la violence, sur la certitude du grand tremblement de terre… « Telles sont les choses de mon pays, mon pays imaginé, mon pays que j’ai totalement inventé, totalement investi, mon pays qui me dépasse au point de n’être plus lui-même que dans ce dépaysement. Mon dépays. »

Suit une vue d’ensemble du documentaire, avec un utile avertissement de Chris Marker : « On ne sera pas surpris de voir les sujets les plus divers se succéder immédiatement. On ne s’étonnera point d’y trouver des passages qui se répètent et d’autres qui se contredisent ; on ne s’attardera pas à chercher pourquoi l’auteur parle en tel endroit de ceci ou de cela, encore que l’on puisse deviner parfois comment se lient ses idées ». Puis commence une revue détaillée de l’oeuvre par Christophe Chazalon, concepteur du projet Spirales - Fragments d’une mémoire collective - Autour de Chris Marker, en plusieurs chapitres : Les principales thématiques du film (le regard, la mémoire, la frontière réel/imaginaire, la « poignance » des choses), La genèse du film, Les références culturelles choisies, La réception critique, Le dossier de presse du film. Puis une lettre à Theresa « sur les coulisses de Sans Soleil », les poèmes d’Arseny Golenischev-Kutuzov mis en musique par Modeste Moussorgski, ainsi que le commentaire en voice over du documentaire. Le livre se referme sur une présentation des deux courts métrages offerts en bonus, Le Labyrinthe d’herbes de Shuji Terayama et Tokyo Days de Chris Marker.

Sans soleil

Bonus - 3,0 / 5

Entretien avec Florence Delay (16’, La Bête Lumineuse, 2020) avec Natacha Missoffe. C’est le regard de Chris Marker sur le Japon dont il a été amoureux. Des images, des noms, comme Sei Shōnagon, une femme de lettres japonaise du début du XIème siècle, reviennent à plusieurs reprises, comme des souvenirs. « Il y a des dissonances entre le texte et l’image : le texte est tout, sauf un commentaire (…) l’éloge de l’existence de tout, sur un plan d’égalité (…) avec beaucoup de moments de recueillement (…) un amour des visages. » Un film mélancolique, sans espoir.

Le Labyrinthe d’herbes de Shuji Terayama (Kusa-meikyû, 1979, 1.78:1, 1080i, DTS-HD 2.0 mono), dans sa version française, écrite par Chris Marker et dite par Florence Delay (38’), l’histoire d’un jeune homme, Akira, à la recherche des paroles oubliées d’une comptine que lui chantait sa mère. Peut-être une jeune femme les connaît-elles. Mais elle est devenue folle à 19 ans et on la dit dangereuse… (ce court métrage fut un des trois sketches de Collections privées, sorti en 1979, avec L’Armoire de Walerian Borowczyk et L’Île aux sirènes de Just Jaeckin).

Tokyo Days (20’, 1.33:1, 1080i, DTS-HD 2.0 mono). Arielle Dombasle se promène dans les rues de Tokyo, filmée par Chris Marker à qui elle parle. Ce documentaire reprend des plans dans Sans soleil, notamment celui, étrange, de la geisha automate qui chante en s’accompagnant au biwa. La visite d’une grande épicerie, sur fond de la chanson Good Mornin’ de Singin’ in the Rain, un défilé de manteaux de fourrure, une chorale sur un trottoir, un quatuor de Haydn qui deviendra l’hymne national de l’Allemagne…

Sans soleil, version anglaise (104’), dans laquelle Alexandra Stewart lit les lettres de Sandor Krasna.

Sans soleil

Image - 4,5 / 5

L’image (1.66:1, 1080p, AVC), restaurée après numérisation 2K du négatif original, nettoyée et stabilisée, offre la meilleure résolution qu’on puisse attendre d’une source 16 mm. Les couleurs, bien qu’elles manquent un peu d’éclat, dans une palette généralement assez froide, ont été soigneusement étalonnées.

Son - 4,0 / 5

Le son DTS-HD Master Audio 2.0 mono, très propre, lui aussi, pratiquement sans souffle, détache idéalement la voix de Florence Delay. Le niveau de qualité obtenu est très satisfaisant en regard des moyens légers employés, même si le timbre est un peu étouffé dans certaines séquences.

Crédits images : © Argos Films

Configuration de test
  • Vidéo projecteur JVC DLA-X70BRE
  • OPPO BDP-93EU
  • Denon AVR-4520
  • Kit enceintes/caisson Focal Profile 918, CC908, SR908 et Chorus V (configuration 7.1)
  • TEST EN RÉSOLUTION 1080p - Diagonale image 275 cm
Note du disque
Avis

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Philippe Gautreau
Le 10 mars 2021
La vision du monde des années 80 par Chris Marker, son regard impressionniste sur le Japon, son « dépays », où cohabitent étrangement modernisme et traditions. Une réédition attendue, la première en haute définition, accompagnée d’un livre passionnant et de suppléments vidéo, dont un inédit.

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