The Pawnbroker (1964) : le test complet du Blu-ray

Réalisé par Sidney Lumet
Avec Rod Steiger, Geraldine Fitzgerald et Brock Peters

Édité par Potemkine Films

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Le 18/02/2022
Critique

Emblématique de la rupture du cinéma américain annonçant le Nouvel Hollywood, ce film de Sidney Lumet est enfin disponible en France.

The Pawnbroker

Sol Nazerman, un Juif immigré d’Allemagne, tient dans un quartier pauvre de Manhattan une boutique de prêts sur gages. Des images du quotidien lui rappellent sans cesse celles, cauchemardesques, des camps de concentration nazis, dont il est le seul de sa famille à être sorti vivant. Il est, aussi, confronté à l’hostilité et à l’antisémitisme du voisinage.

The Pawnbroker, sorti en 1964, est l’adaptation du roman éponyme d’Edward Lewis Wallant, le plus connu des quatre qu’il a eu le temps d’écrire avant de mourir à 36 ans. C’est le septième des 44 films réalisés par Sidney Lumet en 50 ans, de 1957 à 2007.

Sidney Lumet, pendant cinq ans, a fait son apprentissage en réalisant des séries télévisées, notamment de You Are There, une reconstitution de faits historiques dont il dirigea treize épisodes, parmi lesquels un sur la libération de Paris. Sa maîtrise de la mise en scène et de la direction d’acteurs, acquise de son expérience du théâtre, l’ont vite fait reconnaître comme un des grands cinéastes américains, dès son premier film, 12 hommes en colère (12 Angry Men), sorti en 1957, trois fois nommé aux Oscars, notamment à celui du Meilleur réalisateur.

Ses derniers films n’auront pourtant pas le même impact. Mais il finira sa carrière en beauté, en 2007, avec 7h58 ce samedi-là (Before the Devil Knows You’re Dead) en donnant à Philip Seymour Hoffman un de ses meilleurs rôles. Et je garde une petite faiblesse pour Une étrangère parmi nous (A Stranger Among Us) sur la curieuse enquête menée par Melanie Griffith dans la communauté hassidique de New York, sélectionné en 1992 à Cannes pour la Palme d’or.

The Pawnbroker est une exemplaire démonstration du « style invisible » caractéristique de l’approche du cinéma par Sidney Lumet : les effets artistiques ne doivent pas détourner l’attention du spectateur du sujet du film, une ligne de conduite qui confère à son oeuvre un aspect néo-réaliste, quasi-documentaire. Le film donne une bonne illustration de cette approche, en particulier dans les extérieurs, souvent filmés à la sauvette dans les rues de New York, ville natale du réalisateur.

The Pawnbroker

Tout ce que j’aimais m’a été pris et je ne suis pas mort. Et je ne pouvais rien faire…

Grand directeur d’acteurs, Sidney Lumet donna avec ce film un de ses plus grands rôles à Rod Steiger (avec celui du sheriff Gillespie du chef-d’oeuvre de Norman Jewison, Dans la chaleur de la nuit (In the Heat of the Night, 1967). Formé à l’Actors’ Studio, il fut révélé en 1954 dans Sur les quais (On the Waterfront, Elia Kazan). Son interprétation du prêteur sur gages, tourmenté par les images du passé, par la mort de ses parents, de sa femme et de leurs deux enfants, rongé par le sentiment de culpabilité de n’avoir rien pu faire pour les sauver, fut saluée en 1966 par une nomination à l’Oscar d’interprétation masculine qui alla, cette année-là, à Lee Marvin pour son inoubliable composition de Kid Shelleen, le tueur à gages loué par Jane Fonda dans Cat Ballou (Elliot Silverstein, 1965).

The Pawnbroker a d’autres mérites, la photographie expressionniste de Boris Kaufman qui fut le chef-opérateur de Jean Vigo pour À propos de Nice, Zéro de conduite et L’Atalante (tous disponibles dans Jean Vigo - L’intégrale, élu en 2018 Meilleur coffret par le jury DVD/Blu-ray du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des films de télévision), le montage de Ralph Rosenblum qui, à partir d’images du présent, fait ressurgir dans la mémoire de Sol Nazerman des images, si fugaces qu’elles sont à peine identifiables, de l’horreur des camps de concentration. Et il y a l’accompagnement musical original de Quincy Jones, un jazz imprégné de la formation classique reçue en tant qu’élève de Nadia Boulanger.

Et pourtant, curieusement, The Pawnbroker n’avait pas encore été édité en France. Potemkine Films répare cet oubli en nous proposant le film exemplairement restauré et complété de pertinents bonus.

The Pawnbroker

Présentation - 3,0 / 5

The Pawnbroker (116 minutes) et ses suppléments (39 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-50 logé dans un digipack, non fourni pour le test.

Le menu animé et musical propose le film dans sa version originale, en anglais, avec sous-titres optionnels, au format audio DTS-HD Master Audio 2.0 mono.

Une édition DVD est sortie, sans le supplément La Shoah au cinéma.

Bonus - 3,5 / 5

The Pawnbroker: Hollywood Breakdown (14’, Thornhill Films, 2021). Nicolas Saada colle à The Pawnbroker l’étiquette « mélange comme style », dans lequel il voit « plusieurs films en un », un homme hanté par son passé, une photographie sociale du New York du début des années 60 avec « des images volées dans la rue », parmi les plus belles jamais filmées de la mégapole, et une intrigue dans le genre film noir. The Pawnbroker est sorti entre l’âge d’or des studios et le nouvel Hollywood, dans une période charnière pendant laquelle on assiste à une « déconstruction du cinéma hollywoodien », où le cinéma américain traverse une sorte de dépression nerveuse. Sidney Lumet voyait le cinéma comme un artisanat, ce qui l’a incité à s’entourer d’une solide équipe technique. Le chef-opérateur Boris Kaufman, auteur d’un essai intitulé Film Making as an Art, crée un expressionnisme réaliste reflétant les états d’âme des personnages et Ralph Rosenblum s’inspire des » montages radicaux » de Jean-Luc Godard et d’Alain Resnais. Le film se distingue par une « mise en scène très stylisée, d’un réalisme cru » et par le soin apporté à la direction des acteurs, toujours intentionnellement placés dans le cadre.

La Shoah au cinéma (23’, La Bête Lumineuse, 2021, uniquement sur le Blu-ray). Interrogé par Natacha Missoffe, Jean-Michel Frodon (il a dirigé l’ouvrage collectif Le Cinéma et la Shoah, publié par Les Cahiers du Cinéma en 2007) rappelle qu’à l’époque de la sortie du film, le cinéma américain évoquait peu la Shoah dont les actualités de 1945 avaient révélé l’horreur lors de l’ouverture des camps de concentration. Le public, y compris dans la communauté juive, n’avait pas envie de revoir ces images. Et l’ennemi n’était plus l’Allemagne, mais le communisme. Une autre explication de ce silence tient à l’ancienne réticence des grands studios à froisser l’Allemagne, à laquelle avait été confronté Charles Chaplin pour Le Dictateur. Il existe pourtant quelques exceptions : Le Criminel (The Stranger, Orson Welles, 1946), Le Journal d’Anne Frank (The Diary of Anne Frank, George Stevens, 1959), Jugement à Nuremberg (Judgement at Nuremberg, Stanley Kramer, 1961)… The Pawnbroker est un film « disruptif », un tournant dans le cinéma américain, un geste d’une virulence incomparable, y compris dans sa représentation de la situation des Noirs sous la ségrégation que le livre mettait en parallèle avec celle des Juifs sous le nazisme.

Bande-annonce (2’23”).

The Pawnbroker

Image - 5,0 / 5

L’image (1.85:1, 1080p, AVC), très propre (d’infimes et rares points blancs sont à peine discernables), stable, lumineuse, fermement contrastée, avec des noirs denses, offre un agréable dégradé de gris permettant d’apprécier la beauté des clairs-obscurs de Boris Kaufman. Si l’on ajoute le contrôle régulier du grain, respectueux de la texture argentique, cette restauration, opérée pour la première édition Blu-ray sortie aux USA en 2014, est exemplaire.

Son - 4,0 / 5

Le son DTS-HD Master Audio 2.0 mono, débarrassé lui aussi de toute marque de dégradation de la pellicule, sans souffle, restitue clairement les dialogues. Une raisonnable ouverture de la bande passante assure une présence réaliste de l’ambiance et met en valeur la musique de Quincy Jones, en dépit de très occasionnelles saturations dans les passages forte.

Crédits images : © Landau Company, The Pawnbroker Company

Configuration de test
  • Vidéo projecteur SONY VPL-VW790ES
  • Sony UBP-X800M2
  • Denon AVR-4520
  • Kit enceintes/caisson Focal Profile 918, CC908, SR908 et Chorus V (configuration 7.1)
  • Diagonale image 275 cm
Note du disque
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Philippe Gautreau
Le 18 février 2022
Ce sombre récit par Sidney Lumet d’un traumatisme ineffaçable fournit un exemple du "style invisible" caractéristique de son approche du cinéma, visant à ne pas détourner l’attention du spectateur du sujet du film. En prime, une extraordinaire composition de Rod Steiger.

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