Les Crocs de Satan (1970) : le test complet du Blu-ray

Cry of the Banshee

Édition Collector Blu-ray + DVD + Livret

Réalisé par Gordon Hessler
Avec Vincent Price, Essy Persson et Hilary Heath

Édité par ESC Editions

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Le 02/09/2021
Critique

Film fantastique de Hessler longtemps invisible en France, entre tradition et volonté de renouvellement.

Les Crocs de Satan

Angleterre, période élisabéthaine. Lord Whitman chasse les sorcières, agissant comme inquisiteur. Excédée par sa rigueur et la cruauté des sévices qu’il fait endurer à ses disciples, la sorcière Oona invoque Satan : elle lui demande d’apporter la mort, la folie et la désolation sur les terres et dans le château de Whitman. Les pleurs nocturnes de la Banshee, fée de la mort, retentissent bientôt, annonçant l’inexorable menace qui pèse dorénavant sur Whitman et sa famille.

Les Crocs de Satan (Cry of the Banshee, USA-GB 1970) de Gordon Hessler (1925-2014) fut pendant assez longtemps connu en France par son beau titre original et aussi par son titre belge d’exploitation La Terreur des Banshee, faute d’avoir été distribué commercialement au cinéma en France, où il n’avait été découvert qu’à la faveur de festivals momentanés hors exploitation commerciale ou bien en passant la frontière belge francophone. Ce n’est qu’à partir de son exploitation vidéo en VHS Secam par la firme américaine Orion que lui fut accolé ce titre français faisant allusion à un chien enragé apparaissant dans quelques séquences. Le titre original est scrupuleusement exact : on entend les gémissements nocturnes de la Banshee mais on ne la voit pas. En dépit de la publicité américaine, le scénario n’a pas de rapport avec Edgar Poe, y compris le fragment de poème cité en ouverture. L’acteur Vincent Price tient ici, pour sa troisième collaboration avec Hessler, un rôle qui dérive filmographiquement de celui qu’il avait tenu dans l’original et très remarqué Le Grand inquisiteur (The Witchfinder General / The Conqueror Worm, GB 1968) de Michael Reeves, dont le succès fut à l’origine, au tournant des années 1970, d’une série de films consacrés aux inquisiteurs chasseurs de sorcières. Du point de vue de la firme AIP, on peut faire remonter plus loin (et jusqu’à Poe) l’origine du rôle de Price : à l’adaptation La Chambre des tortures (The Pit and the Pendulum, USA 1961) de Roger Corman, écrite par Richard Matheson d’après l’histoire extraordinaire d’Edgar Poe et où Price tenait le rôle du fils d’un grand inquisiteur.

Les Crocs de Satan

Le cinéaste Gordon Hessler avait été impliqué de 1955 à 1965 comme lecteur de scénario puis producteur exécutif et réalisateur occasionnel de la série TV Alfred Hitchcock présente. C’est avec un scénario prévu initialement pour cette série qu’il était revenu en Angleterre pour signer son premier film cinéma Catacombs (GB 1965) demeuré inédit chez nous. La firme américaine AIP, à la suite du suicide de Michael Reeves en 1969, proposa à Hessler des scénarios qu’elle lui destinait : coup sur coup, les sorties françaises de Le Cercueil vivant (The Oblong Box, GB 1969) puis du non moins remarquable Lâchez les monstres (Scream and Scream Again, GB 1970) révélèrent ainsi un cinéaste qui renouvelait d’une manière brillante les thèmes classiques du cinéma fantastique. Les Crocs de Satan, troisième film fantastique de Hessler tourné pour AIP, est moins homogène en dépit de certains éléments remarquables.

Le casting féminin est intéressant.

D’abord à cause de la présence de la belle actrice Hilary Dwyer (1945-2020 récemment décédée des complications induites par le virus Covid19) déjà partenaire de Price dans le film de Reeves de 1968 (où elle jouait sa maîtresse contrainte) et dans le film de Hessler de 1969 (où elle jouait sa jeune épouse) : elle joue ici, en 1970, sa fille (Price lui fera d’ailleurs cette remarque amusée qu’elle avait été la seule actrice à jouer, en deux ans, successivement sa maîtresse, son épouse et sa fille). Notez qu’au générique de ces trois titres, elle apparaît sous son nom de jeune fille Hilary Dwyer, pas sous son futur nom d’épouse Hilary Heath qu’elle ne portera qu’à partir de 1973. Hilary Dwyer fut tout à fait remarquable dans ces trois rôles aux côtés de Price : elle leur confère une densité charnelle, un érotisme et une inquiétude constante.

Ensuite à cause de l’ancienne star du cinéma germanique, l’autrichienne Elisabeth Bergener qui tient le rôle de la sorcière Oona : Elisabeth Bergener avait été la vedette de ce classique du « Kammerspielefilm » qu’est À qui la faute ? (Nju, All. 1919) de Paul Czinner. Lotte H. Eisner, L’Écran démoniaque (éditions définitive revue et augmentée Eric Losfeld, Paris 1965, pp. 255-256) consacre à Elisabeth Bergener deux pages d’annexes, considérant qu’elle fut l’héritière dramaturgique directe de la star Asta Nielsen, à partir des années 1920 jusqu’à l’avènement du Troisième Reich hitlérien.

Les Crocs de Satan

Enfin à cause de la présence de la suédoise Essie Personn qui venait de jouer en vedette dans Thérèse et Isabelle (USA 1968) de Radley Metzger, l’adaptation cinéma érotique du récit littéraire lesbien de Violette Leduc (1907-1972).

Le cinéaste Gordon Hessler étant co-producteur de Les Crocs de Satan aux côtés de Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson qui avaient fondé la American International Pictures (AIP), il faut ajouter un mot sur cette firme qui construisit en 1960 sa réputation esthétique et financière sur le succès mondial de la série fantastique Edgar Poe réalisée et co-produite avec eux par Roger Corman, avec déjà Vincent Price en vedette (et Ray Milland en 1962 qu’il ne faut surtout pas négliger car il y fut aussi remarquable que Price, dans ce registre). Vers 1970, Arkoff et Nicholson produisaient également des films en Angleterre et ils s’intéressaient au mélange des genres, aux alliages stylistiques, aux cocktails thématiques : ils voulaient séduire à la fois le public populaire et le public intellectuel sans oublier les cinéphiles. De leur point de vue, dans l’histoire filmographique de la A.I.P., des cinéastes tels que Michael Reeves et Gordon Hessler étaient clairement, au tournant des années 1970, ce qu’avait été pour eux le cinéaste Roger Corman au tournant des années 1960 : des artisans qui renouvelaient une tradition, thématiquement comme esthétiquement, mais qui la maintenaient pour l’essentiel.

Les Crocs de Satan

Les Crocs de satan apparaît aujourd’hui comme le fidèle reflet de l’ambition thématique et plastique de cette époque, parfois légèrement déséquilibrée car constamment sur le fil du rasoir esthétique et thématique : qu’on se souvienne que la Hammer Films et les autres firmes anglaises productrices de films d’horreur et d’épouvante, tentaient à la même époque un même renouvellement du genre, notamment dans le sens d’un surcroît de violence et d’érotisme. Il apparaît cependant aujourd’hui moins original et surtout moins abouti, dans la filmographie de Hessler, que ne le sont Le Cercueil vivant et Lâchez les monstres. Ses thèmes, celui de la sorcellerie et celui des inquisiteurs chasseurs de sorcières, sont certes des thèmes classiques du cinéma fantastique mais l’écriture du script comme l’existence de deux versions cinéma distinctes révèlent une indécision confirmée par l’histoire du tournage durant lequel le scénario fut modifiée jusqu’à la fin, écrite in extremis pour satisfaire à une objection de Price. Hessler et son scénariste Christopher Wicking voulaient orienter le film dans une direction que n’appréciaient pas les producteurs qui l’avaient pré-vendu à partir d’un argument qui devait être respecté. Le résultat est un compromis matérialisé par l’existence de deux versions. Personnellement, j’aurais tendance à préférer la version cinéma exploitée par le producteur, pour au moins une raison : son générique dessiné d’ouverture n’est certes pas très beau mais il demeure néanmoins assez sage alors que celui de la director’s cut, animé et dessiné par Terry Gilliam, était franchement comique, ce qui est une absurdité : on n’ouvre pas un film fantastique d’horreur et d’épouvante par un générique comique. Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson eurent donc, selon moi, tout à fait raison de le refuser à Hessler et tout à fait raison de le faire remonter. C’est plutôt pour son traitement esthétique, par la qualité générale de sa direction artistique que pour sa volonté allégorique voire politique (assez naïvement et clairement manifestée par un générique de fin opposant les membres d’un « establishment » au clan des sorcières et à celui des villageois, nouvelle tripartition qui aurait peut-être intéressé Georges Dumézil) que Les Crocs de Satan vieillit d’une manière intéressante, sans parler de l’interprétation soignée.

Une fois que seront édités en Blu-ray - je les cite dans leur ordre chronologique filmographique de production : l’ordre de vision devrait y correspondre pour bien saisir l’évolution filmique de Hessler et de son scénariste Christopher Wicking - Le Cercueil vivant (1969), Lâchez les monstres (1970), Les Crocs de Satan (1970), il faudrait que ESC édite, pour faire bonne mesure, le quatrième titre : Double assassinat dans la rue Morgue (Murders in the rue Morgue, GB 1971) de Gordon Hessler, version cinéma de l’histoire extraordinaire d’Edgar Poe qu’il ne faut évidemment pas confondre avec la version signée Robert Florey en 1932 pour la Universal ni avec sa variation tournée par Roy Del Ruth en 1954 pour la Warner ! Son édition permettrait au cinéphile francophone de posséder enfin au complet en Full HD les quatre titres composant le bref mais néanmoins très réel âge d’or filmographique fantastique britannique de Hessler réparti sur les trois années 1969-1970-1971.

Les Crocs de Satan

Présentation - 4,0 / 5

1 mediabook combo collector Blu-ray + DVD + livret, édité par ESC le 18 août 2021, collection British Terrors. Image couleurs au format original 1.85 compatible 16/9. Son DTS-HD Master Audio 2.0 VOSTF + VF. Durée du film sur Blu-ray : version exploitée cinéma 87 min. environ + 83 min. environ sur DVD. Suppléments : version director’s cut 91 min. (en VOSTF uniquement sur le Blu-ray) + présentation du film par Pascal Françaix (31 min. environ) + livret illustré 20 pages. A noter que sur le coffret américain édité par Shout Factory en 2016, The Vincent Price collection III, c’est aussi la version exploitée cinéma de 87 minutes qui est considérée comme film principal et la « director’s cut » de 91 minutes comme bonus. Possibilité de changer de piste son VOSTF ou VF à la volée sur la version cinéma. Quelques extraits des films de la collection British Terrors ouvrent le menu principal mais on peut, si on les connaît déjà, les sauter aisément à la télécommande.

Livret illustré N&B et couleurs 20 pages, supervisé par Marc Toullec

Nourri de sources bibliographiques américaines et anglaises, illustré de quelques photos de tournage, de plateau, d’exploitatoin et d’une très belle affiche, il regorge d’extraits d’entretiens avec le cinéaste Gordon Hessler, avec la fille de l’acteur Vincent Price, et d’informations de première main sur la genèse du film, sa production, son tournage, l’histoire de ses deux versions. Une précision : page 15, à la vingtième ligne, il faut bien évidemment lire Hilary Dwyer (vedette ainsi mentionnée au générique d’ouverture comme de fin) et non pas Hilary Heath qui n’est pas son nom de scène durant son bref mais réel âge d’or fantastique britannique de 1968-1970. Les sites internet anglo-saxons lui donnent aujourd’hui son nom d’épouse de 1973 mais ce n’est pas sous ce nom qu’elle fut connue par les cinéphiles des années 1968-1970. Le livret confirme que Cry of the Banshee demeura inédit au cinéma en France et ne sortit qu’en VHS Secam chez nous.

Les Crocs de Satan

Bonus - 4,0 / 5

Présentation par Pascal Françaix (durée 31 min. environ) : illustrée par des extraits du film, des affiches et quelques belles photos de plateau et d’exploitation, elle témoigne d’une longue fréquentation du titre, amoureusement disséqué. Pascal Françaix le replace méticuleusement dans le cadre de l’histoire du cinéma fantastique, dans celui de la filmographie de l’acteur Vincent Price, du cinéaste Gordon Hessler (excellentes précisions sur le passage de relais des projets de Michael Reeves à Hessler, au sein de la firme AIP), de la firme de production AIP américaine (aussi active en Angleterre). Il brosse attentivement les étapes clés du titre : la genèse de sa production, son tournage, son casting, sa distribution commerciale et sa publicité, sa réception critique, sa postérité thématique. Au total, excellente présentation, même si certains passages font inévitablement double-emploi avec certaines des informations du livret. Une correction : sur le plan de l’histoire de la critique, Les Crocs de Satan n’a pas eu, au moment de sa distribution initiale, que des détracteurs ; il a été vigoureusement défendu, côté français, par Jean-Marie Sabatier (qui avait pu le visionner lors d’un festival parisien en projection unique ou bien en Belgique). Sabatier considérait que ce titre de Hessler confirmait les promesses de Le Cercueil vivant et de Lâchez les monstres, sur le plan du renouvellement thématique comme esthétique. Il me semble, au contraire, assez inférieur aux deux autres pour diverses raisons, notamment à cause de son aspect allégorique un peu trop prononcé.

Les Crocs de Satan

Pascal Françaix, à mon grand étonnement, ne signale pas une production britannique de la Tigon dont l’esprit est, je pense, thématiquement et esthétiquement très proche : je veux évidemment parler du si remarquable La Nuit des maléfices (Satan’s Skin / Blood on Satan’s Claw, GB 1970) de Piers Haggard, tourné en 1970 mais distribué au printemps 1971 aux USA et en Angleterre, puis en France en 1972. Ici aussi, les rites (il est vrai beaucoup plus dangereux) d’une sorcellerie païenne (dont les disciples sont assimilés à de jeunes hippies drogués) sont combattus par un juge inquisiteur, dans une ancienne campagne anglaise du dix-huitième siècle très soigneusement reconstituée. Son titre initial Satan’s Skin avait été changé en Blood on Satan’s Claw sur le conseil de Samuel Z. Arkoff (certainement approché pour sa distribution américaine), ce qui établirait un lien encore plus rapproché entre le film de Hessler et ce film de Haggard.

Director’s cut (durée 91 min., uniquement disponible sur Blu-ray) : elle ne se distingue pas tant de la version exploitée au cinéma par son métrage (quatre minutes de plus) que par quatre éléments : son générique d’ouverture est animé par Terry Gilliam (idée absurde car on pense en le visionnant qu’on va assister à un film comique), le massacre des disciples d’Oona a lieu presque une demi-heure après le début du film ; la musique est composée par l’américain Les Baxter sans oublier,last but not least, quelques plans érotiques supplémentaires et un minutage différent de la scène de la mort de l’épouse de Lord Whitman. Son image argentique est en moins bon état que celle de la version cinéma distribuée et exploitée par AIP mais l’ensemble est correct.

Au total, excellente édition spéciale, qui peut dorénavant faire référence en France. Le cinéphile anglophone pourra la compléter par l’édition américaine Blu-ray Shout Factory sortie en 2016 dans le volume III de la Collection Vincent Price, munie d’un commentaire audio, d’un entretien avec le cinéaste Gordon Hessler, d’une ample galerie affiches et photos.

Les Crocs de Satan

Image - 4,0 / 5

Full HD 1080p au format large original 1.85, en couleurs et compatible 16/9. L’image argentique de la version cinéma a été très bien restaurée : celle de la director’s cut est dans un état un peu inférieur et c’est plutôt à elle que s’adresse l’avertissement initial écrit par ESC en pré-générique. Le master provient probablement, pour sa part, du troisième coffret américain Vincent Price collection édité en avril 2016 par Shout Factory ; même format original bien respecté, même rendu des détails en gros plan, même vivacité des couleurs, excellente définition sur la version cinéma exploitée. Ajoutons que c’est l’âge d’or filmographique du grand directeur photo britannique John Coquillon qui avait signé l’image de Le Grand inquisiteur (USA-GB 1968) de Michael Reeves, celle de Le Cercueil vivant (1969) de Hessler, celle de Lâchez les monstres (1970) de Hessler et qui signera bientôt celle du Chiens de paille (Straw Dogs, USA 1971) de Sam Peckinpah, tourné comme on sait par Peckinpah en Angleterre avec une équipe anglaise.

Les Crocs de Satan

Son - 4,0 / 5

DTS-HD Master Audio 2.0 mono en VOSTF + VF réalisée pour la VHS Secam de la version internationale exploitée, uniquement VOSTF pour la director’s cut longtemps inédite. Offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone qui doit privilégier la VOSTF dans les deux cas, en raison de la diction de Vincent Price et de la sonorité de sa voix, toutes deux si remarquables et inimitables. La director’s cut comporte une musique symphonique assez sage signée par le compositeur britannique Wilfred Josephs (dirigée par Philip Martell, nom beaucoup plus connu des cinéphiles de la période anglaise fantastique 1958-1970) alors que la version producteur exploitée au cinéma en 1970 comporte une partition d’esprit un peu plus moderne signée par le compositeur américain Les Baxter. Piste anglaise VOSTF en excellent état, la VF en un peu moins bon état sur le plan technique mais suffisamment correcte.

Crédits images : © American International Pictures

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
Note du disque
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francis moury
Le 3 septembre 2021
Troisième film fantastique appartenant
au bref mais réel âge d'or britannique (1969-1971) de Hessler. Présenté en version exploitée + director's cut longtemps invisible.

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