L'Oeuf du serpent (1977) : le test complet du Blu-ray

The Serpent's Egg

Combo Blu-ray + DVD

Réalisé par Ingmar Bergman
Avec Liv Ullmann, David Carradine et Gert Fröbe

Édité par Rimini Editions

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Le 17/11/2021
Critique

Une évocation de l’ambiance cauchemardesque et destructrice de l’Allemagne ruinée par la première guerre mondiale.

L'Oeuf du serpent

Abel Rosenberg et son frère Max, trapézistes dans un cirque, après que Max se fût cassé le poignet, se sont provisoirement retirés en 1923 dans un Berlin profondément secoué par la dépression, le chômage et l’insécurité. Un soir de novembre, en rentrant dans sa chambre, Abel découvre le corps de Max : il vient apparemment de se suicider. C’est la septième mort mystérieuse dans le quartier en un mois. Le commissaire Bauer enquête. Abel rejoint Manuela, l’ex-femme de Max et les deux trouvent refuge dans l’hôpital dirigé par l’inquiétant professeur Vergerus, un ami d’enfance…

La couleur est donnée par la scène introductive du générique, muette, en noir en blanc, d’une foule d’hommes et femmes abattus, au visage inexpressif, filmée au ralenti, en plongée. Une noirceur désespérante annonciatrice de la destruction des personnages principaux.

L’oeuf du serpent (The Serpent’s Egg), sorti en 1977, est le trente-quatrième long métrage pour le cinéma d’Ingmar Bergman, entre Face à face (Ansikte mot ansikte, 1976) et Sonate d’automne (Höstsonaten, 1978). Un film à part dans son oeuvre, le premier qu’il réalise hors de Suède, le premier dialogué en anglais et le premier doté d’un budget si important. Il venait de quitter la Suède, en 1976, traumatisé par une accusation de fraude fiscale, pour s’exiler à Munich malgré l’abandon des poursuites après un mois.

Ingmar Bergman a dit vouloir, avec L’oeuf du serpent, montrer l’Allemagne de 1923 telle qu’aurait pu la représenter le cinéma allemand des années 20, aidé en cela par Sven Nykvist qui fut le chef-opérateur de dix-huit de ses films pour lesquels il décrocha deux Oscars, l’un pour Cris et chuchotements (Viskningar och rop, 1972), l’autre, dix ans plus tard, pour Fanny et Alexandre, sans compter le prix de la meilleure photographie à Cannes pour Le Sacrifice (Offret, 1986).. Dans une palette sombre, avec laquelle tranche l’éclat des couleurs de la scène du cabaret, d’habiles éclairages contribuent largement à l’ambiance angoissante distillée par le scénario.

L'Oeuf du serpent

L’oeuf du serpent est une dramatique évocation des conditions de vie, ou de survie, à Berlin livrée au chaos par un chômage sans précédent, par une monnaie qui avait perdu toute valeur au point qu’on en arriva à peser les billets de banque : leur décompte aurait été une perte de temps ! Le cadre visuel n’a pas été négligé, avec une foule de figurants, au milieu de décors pharaoniques créés par Rolf Zehetbauer (salué en 1972 par un Oscar pour Cabaret) : une rue entière sur laquelle roulent des voitures, mais aussi un tramway. On reverra ces décors, trois ans après, dans l’admirable série de Rainer Werner Fassbinder, Berlin Alexanderplatz.

C’est vraisemblablement à cause de cette profusion de moyens, à laquelle Ingmar Bergman n’était pas accoutumé, que la représentation des personnages principaux et l’analyse de leurs relations restent superficielles dans une comparaison avec ses autres films. Peut-être a-t-il été distrait de sa direction des acteurs par mille autres tâches…

L’oeuf du serpent rassemble David Carradine, star internationale depuis le succès d’En route pour la gloire (Bound for Glory, Hal Ashby, 1976), Liv Ullmann, dans un des derniers films qu’elle tournera avec Ingmar Bergman avant Sonate d’automne en 1978 et, pour la télévision, Saraband en 2003. On y voit aussi Gert Fröbe, un acteur allemand familier pour avoir joué dans de nombreux films français et, dans l’emploi du médecin fou, Heinz Bennent, revu dans la récente réédition du chef d’oeuvre de François Truffaut, Le Dernier métro.

La réédition de cette oeuvre insolite d’Ingmar Bergman s’imposait d’autant plus que l’édition Carlotta Films de 2009, aujourd’hui épuisée, proposait une vidéo 4/3.

L'Oeuf du serpent

Présentation - 3,5 / 5

L’oeuf du serpent (119 minutes) et ses suppléments (78 minutes) tiennent, dans cette édition combo, sur Blu-ray BD-50 et sur un DVD-9 logés dans un digipack, non fourni pour le test.

Le menu animé et musical propose le film dans sa version originale, en anglais et en allemand, avec sous-titres optionnels, et dans un doublage en français, les deux au format audio DTS-HD Master Audio 2.0 mono (Dolby Digital 2.0 mono sur le DVD).

Les dialogues en allemand, occasionnels, ne sont pas sous-titrés (cette particularité a-t-elle inspiré Terrence Malik pour Une vie cachée (A Hidden Life, 2019) ?

À l’intérieur du digipack, un livret de 8 pages intitulé L’oeuf du serpent : l’enfer est à lui, rédigé par Jean-Pascal Mattei, « cinéphile ». Une analyse inspirée du film, parue dans le blog Le Miroir des fantômes en 2014 : « le portrait d’une ville en train de pourrir sur pied, remplie de travestis, de nazis, d’épaves humaines et d’âmes damnées, tous pris dans le flot d’un destin plus fort qu’eux, tous emportés par les eaux noires de l’Histoire, silhouettes anonymes qui déferlent dès le générique en noir et blanc. (…) Tous les motifs bergmaniens tressent cette tapisserie infernale : la théâtralité, le désastre du couple, la folie qui guette, la déréliction absolue des hommes. »

L'Oeuf du serpent

Bonus - 3,5 / 5

Entretien avec Bernard Eisenschitz (49’, Rimini Éditions, 2021), critique et historien. Après qu’il eût quitté la Suède, Bergman rencontra aux USA Dino De Lanrentiis qui lui alloua 9 millions de marks pour tourner le film dans les studios de Munich. L’oeuf du serpent, dont le titre est tiré d’une citation du Julius Caesar de Shakespeare, est « un puzzle » de faits historiques et de souvenirs propres au réalisateur. Dans ses mémoires, Lanterna magica, Bergman confesse avoir été, à 16 ans, lors d’un séjour en 1934 à Weimar chez un pasteur, un collègue de son père, ébloui par l’exaltation des Allemands pour Hitler. Contrairement à ce que certains ont suggéré, cette passion lui a vite passé, ce que démontre son premier scénario, écrit en 1943 pour le film d’Alf Sjöberg Tournents (Hets, édité dans le coffret Le Silence + Tourments), considéré comme un pamphlet contre le nazisme. D’autres ont vu dans L’oeuf du serpent une forme d’exorcisme des démons du passé, ce que Bergman a démenti en affirmant : « L’oeuf du serpent, c’est aujourd’hui ». Le savant fou s’appelle Vergerus, un nom qu’on retrouve dans d’autres films de Bergman, attribué au médecin de Le Visage (Ansiktet, 1958), puis, en 1982, au pasteur tortionnaire de Fanny et Alexandre. David Carradine est une sorte d’alter ego du réalisateur qui lui avait demandé de porter le pullover qu’il portait pour écrire ses scénarios. Bernard Eisenschitz évoque rapidement le casting, la photographie et les décors d’un « film nocturne ». La presse française, « toujours respectueuse des cinéastes consacrés » a bien accueilli le film, alors que la critique américaine, plus sévère, a notamment relevé les incohérences du scénario.

Entretien avec Nicolas Beaupré (35’, Rimini Éditions, 2021), professeur d’histoire, spécialiste de la première guerre mondiale. Pour comprendre le contexte du film, il faut remonter à la première guerre mondiale. L’Allemagne, vaincue, entre dans une phase révolutionnaire et proclame la république le 9 novembre 1918 à Weimar. Gustav Stresermann, élu chancelier en 1923, dirige un gouvernement de coalition affaibli par une grave dépression, les dommages de guerre que l’Allemagne n’a plus les moyens de payer (ce qui lui vaudront l’occupation de la Ruhr), une instabilité provoquée par les putschs de l’extrême-droite et de l’extrême gauche et un emballement de l’inflation tel que l’argent perdait, chaque jour, une part importante de sa valeur. Il réussit, cependant, à maintenir au bord d’un basculement la république qui connut cinq années de prospérité jusqu’à la dépression de 1929. Le film, s’il « condense » parfois la chronologie avec des scènes qu’on ne verra que plus tard, comme celle de gens contraints de nettoyer les rues à genoux avec des brosses, donne une vision réaliste de la situation dramatique de l’Allemagne en 1923 qui a dû inspirer Bergman, avec « son goût pour les danses macabres ».

Bande-annonce (3’).

L'Oeuf du serpent

Image - 5,0 / 5

L’image (1.66:1, 1080p, AVC), pour la première fois en haute définition et cette fois en 16/9, surclasse sans appel l’édition 4/3 sortie par Carlotta Films en 2009. Finement résolue, d’une propreté exemplaire, avec un contrôle du grain respectueux de la texture du 35 mm. La fermeté des contrastes, avec des noirs très denses, garantit une parfaite lisibilité de tous les plans, y compris dans les nombreuses prises nocturnes. Les couleurs, le plus souvent délicates, dans une palette sombre, explosent parfois sous les projecteurs d’un cabaret.

Son - 4,0 / 5

Le son DTS-HD Master Audio 2.0 mono de la version originale (Dolby Digital 2.0 mono sur le DVD), très propre, avec un léger souffle vite oublié, assure la clarté des dialogues, dans un bon équilibre avec l’ambiance et l’illustration musicale.

Le doublage, au même format, place trop en avant des dialogues au timbre étouffé, pas toujours convaincants. Il n’a pas été pris en compte pour l’attribution de la note.

Crédits images : © Dino De Laurentiis

Configuration de test
  • Vidéo projecteur SONY VPL-VW790ES
  • Sony UBP-X800M2
  • Denon AVR-4520
  • Kit enceintes/caisson Focal Profile 918, CC908, SR908 et Chorus V (configuration 7.1)
  • Diagonale image 275 cm
Note du disque
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Moyenne

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Philippe Gautreau
Le 18 novembre 2021
Une œuvre insolite dans la filmographie d’Ingmar Bergman, par son thème, les conditions de vie à Berlin au début des années 20, et par les moyens mis à sa disposition pour son premier tournage hors de Suède. Une sortie d’autant plus attendue que l’édition précédente proposait le film en 4/3.

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