Johnny Guitare (1954) : le test complet du Blu-ray

Johnny Guitar

Édition Collection Silver Blu-ray + DVD + Livre

Réalisé par Nicholas Ray
Avec Joan Crawford, Sterling Hayden et Mercedes McCambridge

Édité par Sidonis Calysta

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Le 15/02/2022
Critique

Un western au féminin, atypique, à la sauce Nicholas Ray, parfois boudé, devenu une référence du genre.

Johnny Guitare

Armé de sa seule guitare, Johnny Logan renoue avec Vienna, une vieille connaissance qui, désormais propriétaire d’un saloon isolé, attend que le chemin de fer en construction arrive jusqu’à elle. Une perspective qui n’est pas du goût des éleveurs de la région, inquiets que le train n’y déverse des flots de colons. Également suspectée de cacher le « hors-la-loi » Dancing Kid et ses complices accusés de meurtre, Vienna a plus que jamais besoin de la protection de cet homme surgi du passé…

Johnny Guitare (Johnny Guitar) est l’adaptation d’un roman du romancier et scénariste Roy Chanslor par un scénario de Philip Yordan, seul crédité, bien qu’il semble que Ben Maddow, alors sur la liste noire, ait contribué à son écriture.

C’est le neuvième film de Nicholas Ray et le premier de ses trois westerns. Suivront, A l’ombre des potences (Run for Cover, 1966), et Jesse James (The True Story of Jesse James, 1957).

Johnny Guitare reprend des ingrédients du western : l’impact de la construction du chemin de fer, la loi imposée par un riche éleveur, la chasse aux hors-la-loi par une milice (« posse »), le lynchage, le gunfighter rangé… que Nicholas Ray accommode à sa propre sauce en jouant avec les codes du genre, d’autant plus qu’il accorde à deux femmes la place la plus importante.

On est, en effet, surpris, dès le premier plan par une explosion de la montagne qui fait faire un écart à la monture de Johnny Guitare, par le vent de sable qui souffle quand il pousse la porte du saloon aux allures de casino, avec un mur et une estrade taillés dans le flanc de la falaise sans personne d’autre que deux croupiers en uniforme servant la roulette et la table de craps.

Johnny Guitare, dans une suite d’événements inattendus, met en scène des personnages ambigus : Vienna révèle à mots couverts s’être prostituée pour amasser l’argent nécessaire à la construction de son saloon, Dancin’ Kid, maintenant à moitié rangé, porte un lourd passé criminel, Johnny Guitar est un ancien tueur à gages…

Johnny Guitare

Tout ce parti pris d’originalité est souligné par les angles de prise de vue, les cadrages et le jeu avec les couleurs de Nicholas Ray avec la complicité du chef-opérateur Harry Stradling Sr. qui avait remporté l’Oscar de la meilleure photographie pour Le Portrait de Dorian Gray (The Portrait of Dorian Gray, Albert Lewin, 1945) et fut nommé aux Oscars pas moins de treize fois, notamment pour Un Tramway nommé désir (A Streetcar Named Deesire, Elia Kazan, 1951).

Johnny Guitare tire un autre bénéfice de sa distribution avec, dans le rôle-titre, Sterling Hayden (qui disait avoir été choisi parce qu’il ne savait ni monter à cheval, ni manier les armes, ni jouer de la guitare) dans un des meilleurs emplois de ses 40 ans de carrière d’acteur avec Quand la ville dort (Alsphat Jungle, John Huston, 1950) et deux films de Stanley Kubrick, L’Ultime razzia (The Killing, 1956) et Docteur Folamour (Dr. Strangelove or: How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb, 1963). Côté hommes, il est bien entouré par Ward Bond, Ben Cooper dans le personnage très tourmenté et touchant de Turkey et Ernest Borgnine, dans celui d’un vilain à la gâchette facile, un des personnages le plus détestable qu’il ait incarné.

Mais la palme revient au sexe prétendument faible avec Joan Crawford. Elle commençait à être oubliée, mais était pourtant loin d’avoir dit son dernier mot, ce qu’elle prouvera encore en 1962 avec Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? (What Ever Happened to Baby Jane? , Robert Aldrich). Elle mena la vie dure à toute l’équipe pendant le tournage, frustrée qu’on ait donné à une autre femme les meilleures répliques. L’autre femme, c’est Mercedes McCambridge qui avait attiré l’attention dès son deuxième film en décrochant l’Oscar du meilleur second rôle dans le remarquable Les Fous du Roi (All the King’s Men, Robert Rossen, 1949). Elle fait d’Emma une des femmes les plus haineuses de toute la longue histoire du cinéma.

Beaucoup de raisons d’applaudir la ressortie de Johnny Guitare ! Introuvable depuis des années, il nous revient pour la première fois sur Blu-ray et, enfin, accompagné de bonus à la hauteur de sa valeur.

Johnny Guitare

Présentation - 4,5 / 5

Johnny Guitare (110 minutes) et ses suppléments (85 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-50 logé avec un DVD-9 logé, en compagnie d’un DVD-9, dans les couvertures d’un digibook.

Le menu animé et musical offre le choix entre la version originale, en anglais, avec sous-titres optionnels, et un doublage en français, les deux au format audio DTS-HD Master Audio 2.0 mono.

Cette édition Silver vient enrichir l’immense collection Western de légende comptant plus de 500 parutions, DVD, Blu-ray et combo. Lancée en juin 2007 avec Le Passage du canyon (Canyon Passage, Jacques Tourneur, 1946), Texas, nous voilà (Texas Across the River, Michael Gordon, 1966) et Une Poignée de plomb (Death of a Gunfighter, Don Siegel, 1969), elle prenait le relais d’une série de plusieurs westerns proposés par le même éditeur, Sidonis Calysta, sous la bannière « Édition spéciale » dès l’automne 2005 avec La Flèche brisée (Broken Arrow, Delmer Daves, 1950).

Un livre de 80 pages par Patrick Brion s’ouvre sur un rappel des grands westerns sortis en 1953 alors qu’on disait le genre fini, relégué à la télévision. Suivent une rapide présentation de Republic Pictures, des commentaires sur la paternité du scénario en contrepoint d’un entretien de Bertrand Tavernier avec Philip Yordan, sur les révélations de Nicholas Ray aux Cahiers du cinéma, sur le tournage. Après une rapide présentation de la distribution avec Joan Crawford, Sterling Hayden, Ben Cooper, Ernest Borgnine, Royal Dano, Ward Bond, John Carradine…, Patrick Brion rappelle la difficile collaboration entre Joan Crawford et Mercedes McCambridge, souligne la tension dramatique, à son paroxysme dans le célèbre dialogue entre Vienna et Johnny Guitare, et passe en revue les critiques en France. Un utile complément, abondamment illustré de photos du film et de reproductions d’affiches.

Johnny Guitare

Bonus - 4,0 / 5

Sur le Blu-ray et le DVD :

Présentation par Bertrand Tavernier (36’, ARTE, 2018). Ce grand mélodrame qui « fait exploser le cadre traditionnel du western » avec un « lyrisme exacerbé des dialogues » est l’adaptation fidèle du roman. Le tournage fut compliqué par l’hostilité de Joan Crawford, ressentant qu’on ait confié un autre rôle féminin fort, celui d’Emma, à une autre actrice. Avec la complicité du chef-opérateur Harry Stradling Sr., Nicholas Ray tire le meilleur profit du Trucolor en surmontant les faiblesses du procédé, fréquemment utilisé par Republic Pictures, « en s’éloignant du réalisme ». Le film doit beaucoup à ses personnages hors-normes et à la musique de Victor Young. Un entretien dirigé par Olivier Père, toujours fleuri d’anecdotes inédites dont Bertrand Tavernier avait le secret.

La chanson Johnny Guitare, par Peggy Lee (4’). Peggy Lee, filmée sur une scène en noir et blanc, chante la chanson de la fin du film.

Bande-annonce musicale (3’), sans dialogues, dans un camaïeu de sépia.

Bande-annonce originale (3’).

Sur le seul Blu-ray :

Présentation par Martin Scorsese (3’, repris de l’édition HD sortie aux USA en 2016). Nicholas Ray que François Truffaut appelait « le poète du crépuscule », fut un des premiers réalisateurs américains admiré en France par la Nouvelle Vague. Johnny Guitare est un film unique, « paroxystique et exalté (…) traversé de séquences d’un style audacieux (…) devenu un classique (…) à l’écart des conventions du western ».

Présentation par Jean-François Giré (20’, Sidonis Calysta, 2021), coauteur avec Christophe Champclaux et Linda Tahir Meriau de Le Western (Courrier du livre, 2017) et auteur de Il était une fois le western européen, volume I (Dreamland, 2002), volume II (bazaar&Co, 2012). Johnny Guitare est un des rares « westerns au féminin », dans lequel les femmes jouent seules leur destin et conduisent celui des hommes. Bien reçu par le public, il le fut moins par une partie de la critique, surtout aux USA, mais aussi en France : Positif lui a reproché une certaine laideur due aux saturations excessives du Trucolor, une caractéristique que Ray a su exploiter en leur donnant une valeur symbolique.

Présentation par Patrick Brion (22’, Sidonis Calysta, 2021). Johnny Guitare sort peu après L’Appât (The Naked Spur, Anthony Mann), L’Homme des vallées perdues (Shane, George Stevens, 1953), Bataille sans merci (Gun Fury, Raoul Walsh), La Femme qui faillit être lynchée (Woman They Almost Lynched, Allan Dwan), Hondo (John Farrow), Mogambo (John Ford)… Republic Pictures, un petit studio fondé par Herbert J. Yates, a produit des films de cinéastes de premier rang auxquels il laissait de grandes libertés : John Ford, Frank Borzage… La paternité du scénario reste un mystère. Il est possible, quels que soient les doutes souvent exprimés, qu’elle puisse être entièrement attribuée à Philip Yordan qui a démontré ses capacités, par exemple avec The Big Combo (Joseph H. Lewis, 1955) et L’Homme de la plaine (The Man from Laramie, Anthony Mann, 1955). Johnny Guitare réserve une suite d’événements surprenants et fait vivre des personnages atypiques, parmi lesquels Turkey, confirmant un intérêt de Nicholas Ray pour la jeunesse, déjà affiché par Les Ruelles du malheur (Knock at Any Door, 1949), renouvelé par La Fureur de vivre (Rebel without a Cause, 1955)…

D’utiles compléments au film, avec quelques redites.

Johnny Guitare

Image - 4,0 / 5

L’image au ratio 1.33:1 (1080p, AVC) a subi une restauration opérée en 2016 pour la première édition américaine qui n’a laissé subsister que quelques taches claires (par exemple à 85’24”), mais complètement effacé le grain en sacrifiant la texture du 35 mm au profit de la résolution. Ce qui donne un lissage excessif, en particulier sur les visages filmés en plans rapprochés. Les couleurs, ravivées, reproduisent les saturations du Trucolor qui fut un temps utilisé parce qu’il coûtait beaucoup moins cher que le Technicolor.

Son - 5,0 / 5

Le son DTS-HD Master Audio 2.0 mono de la version originale, d’une irréprochable propreté, pratiquement sans souffle, avec une dynamique assez exceptionnelle pour un film de cet âge, assure une parfaite intelligibilité des dialogues et délivre finement l’accompagnement original de Victor Young, compositeur de la musique de plus de 200 films bien qu’il soit mort à 56 ans, oscarisé à titre posthume pour Le Tour du monde en 80 jours (Around the World in 80 Days, Michael Anderson, 1956).

Le doublage en français, lui aussi très propre, probablement d’époque, est artistiquement pitoyable et d’une redoutable monotonie. Il n’a pas été pris en compte pour l’attribution de la note.

Crédits images : © Republic

Configuration de test
  • Vidéo projecteur SONY VPL-VW790ES
  • Sony UBP-X800M2
  • Denon AVR-4520
  • Kit enceintes/caisson Focal Profile 918, CC908, SR908 et Chorus V (configuration 7.1)
  • Diagonale image 275 cm
Note du disque
Avis

Moyenne

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Philippe Gautreau
Le 15 février 2022
Nicholas Ray joue avec les codes du western et place les femmes au premier plan dans ce film atypique, devenu une référence du genre. Introuvable depuis des années, cette œuvre insolite nous revient en haute définition, accompagnée d’utiles suppléments.
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Guy
Le 2 décembre 2021
IL SEMBLE QU'IL Y A UN PROBLÊME CONCERNANT LA DISPONIBILITÉ DE CE COMBO BU-RAY / DVD???
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P. de Melun
Le 27 février 2021
Western insolite et sensuel de Nicholas Ray qui transgresse les règles du genre en laissant la place d’héroïnes à deux femmes antagonistes dont Joan Crawford formidable en propriétaire à poigne d'un saloon-casino qui assume sa vie dissolue et ses sentiments. A voir absolument.

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