Le Conformiste

Le Conformiste (1970) : le test complet du Blu-ray

Il conformista

Exclusivité FNAC - Blu-ray + DVD + livret

Réalisé par Bernardo Bertolucci
Avec Jean-Louis Trintignant, Stefania Sandrelli et Gastone Moschin

Édité par Colored Films

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Le 19/04/2022
Critique

Drame psychologique et film politique à l’écriture recherchée, parfois érotique, parfois violent, en version intégrale.

Le Conformsite

Italie et France de 1917 à 1943 : Marcello Clerici est un névrosé obsédé par un traumatisme adolescent (un chauffeur de maître avait voulu le séduire : il pense l’avoir abattu par accident) et par l’internement de son père dans une institution psychiatrique. Il se marie (« pour faire comme tout le monde » dit-il à son ami le plus proche qui est aveugle) avec Giulia, une belle nymphomane en apparence idiote mais en réalité assez intelligente. Marcello se porte volontaire pour accomplir une mission spéciale secrète supervisée par le contre-espionnage du gouvernement fasciste de Mussolini : surveiller Quadri, son ancien professeur de philosophie, opposant réfugié à Paris. Bientôt, la mission est modifiée : Quadri doit mourir.

Le Conformiste (Ital.-Fr.-RFA 1970) de Bernardo Bertolucci est adapté d’un roman d’Alberto Moravia (1907-1990) paru en 1951, inspiré à Moravia par l’assassinat politique des frères Rosselli tués à coups de revolvers, le mercredi 09 juin 1937 à Bagnoles-de-L’Orme. Dans sa filmographie, il constitue un diptyque thématique sur l’Italie fasciste avec La Stratégie de l’araignée (Ital. 1969) mais il est d’un abord moins abrupt que le titre de 1969 bien que non moins ambitieux sur le fond.

En apparence, cette adaptation du roman ― ici considérablement modifiée, avec l’accord d’Alberto Moravia qui considérait que la seule manière d’adapter correctement un livre au cinéma était de le trahir : notons par exemple que le personnage de l’épouse de Quadri est différent, que la fin est différente, parmi d’autres changements ― est une reconstitution historique soignée, parfois franchement luxueuse et la description pointilliste d’une affaire meurtrière d’espionnage dans laquelle un névrosé est utilisé par des services secrets. Pourtant, en dépit de l’aspect dénonciateur de l’Italie fasciste (1922-1943) et de l’appartenance de Bertolucci au parti communiste italien, Le Conformiste développe une thématique qui, grâce aux prestiges de la psychanalyse et de l’histoire de la philosophie, permet au film d’atteindre des sommets inattendus. Le noeud du script me semble être, en effet, la discussion entre Quadri et son ancien élève sur le mythe platonicien de la caverne.

Le mythe de la caverne dans La République de Platon ne décrit nullement un « endoctrinement » (ainsi que le pensait naïvement le directeur de la photographie Vittorio Storaro) mais la réalité. Tout est vrai : les ombres sur les murs, les chaînes, le feu, les prisonniers, ce qu’ils voient et ce qu’ils pensent. Le philosophe français Émile Chartier (dit Alain) l’avait bien vu et fut peut-être, en France du moins, le premier à l’écrire d’une manière claire. La bonne question à se poser serait plutôt de savoir si on est un de ces prisonniers encore enchaînés ou bien si on est le prisonnier échappé, ayant contemplé enfin la pure vérité des Formes, puis revenu parmi les autres afin de les éclairer ? Clerici pense que l’ordre social est le paradigme de la découverte de la lumière par le prisonnier échappé de la caverne ; il pense que ce trajet initiatique exige le sacrifice de son individualité, qu’il ne sera réconcilié avec la réalité qu’une fois cela accompli mais tout le film lui prouvera le contraire. Son effort surhumain et névrotique pour conquérir sa liberté en devenant un autre que lui-même, en se dépersonnalisant, aura abouti au néant, à la mort violente et à sa ruine sociale.

Le scénario est une série de réminiscences (structure à la fois éminemment platonicienne et psychanalytique) remontant jusqu’en 1917 puis le retour au présent de l’action dans les années 1930, enfin un épilogue situé en 1943, alors que Mussolini a perdu le pouvoir, prélude à l’occupation allemande de l’Italie. Elles éclairent les diverses facettes (sociale, politique, psychologique, névrotique) de Clerici mais sont ponctuées par deux séquences non moins fondamentales ― qui relèvent de l’essence même de la tragédie grecque puis romaine antique telles qu’André-Jean Festugière l’avait, en son temps, analysée ― avec un mentor aveugle, moteur de l’intrigue puis finalement voué à l’impuissance. Cet unique ami (qui est, par un paradoxe coutumier de la tragédie grecque, le seul clairvoyant à son égard : il analyse en effet correctement l’originalité foncière de celui qui se veut conformiste) est dénoncé par Clerici aux résistants anti-fascistes mais Clerici ne conquiert pas pour autant la vérité ni l’autonomie. Sa rencontre simultanée et fortuite avec le chauffeur vieilli mais étrangement encore jeune joué par Pierre Clementi semble vouloir dire que le temps s’est arrêté, que tout était décidément vain, écrit sur du vent, que la névrose de Clerici reposait elle-même sur une erreur d’appréciation de la réalité, sur une fausse interprétation (Clerici enfant croyait avoir tué un homme qui s’avère encore vivant). Clerici se retrouve finalement, durant un admirable plan, assis dans la pénombre nocturne d’une arcade, éclairé par un petit feu, dans la situation d’un prisonnier de la caverne décrite par Platon : il n’a pas écrit de thèse sur le mythe platonicien de la caverne mais il l’a peut-être, d’une certaine manière, vécu en croyant traverser les apparences mais… en vain car lui non plus ne l’avait pas bien interprété. C’est parce que Clerici a voulu remplacer sa personnalité réelle par une personnalité idéelle que sa chute a été consommée : son ambition n’était pas rationnelle au sens platonicien mais névrotique. Bertolucci va d’ailleurs un peu plus loin encore : la manière dont Quadri est initialement présenté, comme une sorte de chef de bande protégé par ses étudiants et un chien dangereux (puis, un peu plus tard, tendant un piège à son ancien élève lorsqu’il lui remet une lettre) a quelque chose de foncièrement antipathique elle aussi. Comme si, au fond, la structure de la politique produisait, quel que soit le côté dont on se place, une obscure négativité, une obscure puissance de mort, l’inévitable instauration d’un rapport de pouvoir, d’un jeu de masques et de mensonges dont nul ne peut sortir indemne. En apparence, on pourrait dire que Clerici est une victime de la politique ; en réalité il est peut-être et plus profondément victime du politique dans son essence : certains intellectuels européens des années 1960-1970 soutinrent ce genre de thèse philosophique (aux implications métaphysiques assez amples). C’est elle qui est ici reflétée : ce qui expliquerait peut-être l’imitation « césarienne » du meurtre de Quadri : une sorte de symbole de la mort du politique comme tel, de la malédiction qui y est attachée.

Sur le plan de l’histoire du cinéma, Le Conformiste emprunte au film noir policier certaines séquences d’un haut niveau de violence graphique et l’acteur Gastone Moschin sera d’ailleurs bientôt la vedette du Milan calibre 9 (Ital. 1972) de Fernando Di Leo. Il emprunte d’autre part certains effets narratifs et comiques au cinéma expérimental et à celui de la Nouvelle vague française que n’aurait pas, à cette époque, renié le fanatiquement maoïste Jean-Luc Godard : voir l’amusante provocation consistant à filmer une mendiante et ses enfants chantant L’Internationale à la sortie d’une boutique de luxe de l’Avenue Montaigne ! Sur le plan de l’histoire, il fait subir à Quadri un assassinat étrangement analogue à celui de Jules César mais c’est l’épouse de Quadri qui, horrifiée, constate la complicité de Clerici, pas Quadri lui-même. La séquence du bordel annonce un peu, en raison de l’ironie baroque de son introduction, celle de Fellini Roma (Ital.-Fr. 1972) de Federico Fellini. La Désobéissance (Ital.-Fr. 1981) d’Aldo Lado (passé à la mise en scène depuis 1971) sera une autre adaptation d’un roman de Moravia (dont l’action historique débute à peu près au moment où celle de Le Conformiste s’achève) avec, à nouveau en vedette, la belle Stefania Sandrelli. La contingence du destin a frappé le comédien Jean-Louis Trintignant pendant le tournage : son jeu est ainsi empreint de l’angoisse de mort la plus intense, durant une partie du Conformiste. Last but not least, il faut savoir que Bertolucci avait d’abord approché Brigitte Bardot pour le rôle de l’épouse de Quadri : il l’avait admirée dans Le Mépris (Fr.-Ital. 1963) de Jean-Luc Godard, aussi adapté d’un roman homonyme de Moravia. Elle refusa mais Bertolucci obtient en revanche une partition musicale splendide de Georges Delerue qui avait, autrefois, signé celle du Godard de 1963.

Le Conformsite

Présentation - 4,0 / 5

1 Combo Blu-ray BD25 multirégions ABC + DVD9 édité par Colored Films le 06 avril 2022. Image Full HD (sur Blu-ray) au format 2.35 compatible 16/9, 1920 x 1080p AVC (sur Blu-ray). Son VOSTF en DTS-HD Master Audio Mono 2.0 (sur Blu-ray) ou Dolby Digital 2.0 (sur DVD). Durée du film 113 min. environ (sur Blu-ray). Suppléments : présentation, bande-annonce, livret illustré. Très beau menu aux belles couleurs bleues et violettes.

Livret 20 pages illustrées couleurs + N&B de Marc Toullec :

Il est riche en témoignages de première main (nombreuses déclarations traduites de Bertolucci et de Vittorio Storaro, le directeur de la photographie, et souvenirs de Aldo Lado, assistant sur le film mais à qui on doit quelques idées de sa mise en scène : par exemple cette ronde dansée enserrant progressivement Clerici et photographiée en plongée), restituant en détails la genèse , l’écriture du scénario (notamment certains points sur lesquels Bertollucci s’est écarté du roman de Moravia), la production, le tournage endeuillé par la mort d’un enfant de Jean-Louis Trintignant. Hallucinante anecdote concernant le reproche de Jean-Luc Godard (qui était alors un fanatique maoïste) à Bertolucci : en acceptant d’être produit par la filiale italienne de la Paramount, il se serait compromis avec le capitalisme. On a une idée bien plus claire de l’ampleur de la catastrophe intellectuelle de l’Occident à cette époque, lorsqu’on lit ce genre d’anecdotes qui méritent d’être révélées. Illustré de quelques très belles affiches (notamment l’affiche italienne lesbienne montrant en premier plan le tango érotique entre Dominique Sanda et Stefania Sandrelli), photos de plateau et photos de tournage (peut-être aussi d’une ou deux photos détourées d’exploitation). Sources bibliographiques (articles, livres) mentionnées en bas de la dernière page.

Le Conformsite

Bonus - 2,5 / 5

Présentation par Jean A. Gili (durée 49 min. environ) : excellente introduction concernant le roman et la biographie de Moravia, le rapport du roman et de la réalité historique. Ensuite les choses se gâtent car la plupart des informations concernant la genèse du film, sa production, son tournage font double-emploi avec celles déjà lues dans le livret. Une partie non négligeable de cette présentation consiste, durant de très longues minutes, à raconter précisément le film tandis que des extraits illustrent la paraphrase : inutile perte de temps, délayage absolu.

Bande-annonce reprise cinéma (durée 1 min. 35 sec., VOSTF) : en assez bon état argentique, très bien montée. Curieusement, ses lettrines sont françaises mais le son est italien. Ce n’est pas la bande-annonce originale mais la bande -annonce d’une reprise cinéma, ainsi que l’indiquent les petits logos des diverses sociétés impliquées, incrustées sur son dernier plan.

Édition spéciale très honorable mais pourquoi ne pas l’avoir assortie d’une véritable galerie photos d’exploitation et affiches ? Cette lacune (qui n’est que partiellement compensée par le livret) fait baisser la note d’un cran.

Le Conformsite

Image - 4,0 / 5

Format 1.66 couleurs, compatible 16/9, Full HD sur Blu-ray. Copie argentique en bon état mais quelques rares poussières négatives et positives. Excellente numérisation, aux couleurs vives, rafraîchies. Édition proposant une version intégrale contenant une séquence inédite (probablement jugée un peu trop démonstrative, redondante et ralentissant inutilement l’action) en France, coupée au montage dans les versions exploitées chez nous à la sortie en 1970.

Le Conformsite

Son - 4,0 / 5

VOSTF et VF d’époque DTS-HD Dual Mono 2.0 (sur Blu-ray) : offre complète pour le cinéphile francophone. La VF d’époque est en excellent état technique : Jean-Louis Trintignant se double évidemment lui-même. Une séquence inédite en France est restituée au montage (mettant en scène l’ami aveugle durant un curieux banquet d’aveugles), en VOSTF puisqu’elle n’avait jamais été doublée.

Crédits images : © Mars Film, Marianne Productions, Maran Film

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
Note du disque
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francis moury
Le 20 avril 2022
Drame psychologique, film politique parfois érotique et violent, à la mise en scène très concertée. Aussi une parabole, autant inspirée par un mythe de Platon que par les Tragiques grecs.

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