De combien de douleurs, de combien de vies se compose l’existence au Moyen-Orient ? Notturno a été tourné au cours des trois dernières années le long des frontières de l’Irak, du Kurdistan, de la Syrie et du Liban. Tout autour, des signes de violence et de destruction et, au premier plan, l’humanité qui se réveille chaque jour d’une nuit qui paraît infinie.
Notturno, sélectionné par de nombreux festivals et pour le Lion d’or à Venise en 2020, sorti dans nos salles en septembre 2021, est le sixième long métrage du documentariste Gianfranco Rosi, auteur en 2016 de Fuocoammare, par-delà Lampedusa (Fuocoammare, « feu à la mer », titre d’une chanson sicilienne), sélectionné aux Oscars, récompensé par l’Ours d’or à Berlin et par le César du meilleur documentaire. Ont été édités en vidéo quatre autres de ses films, Le Passeur (Boatman, 1993) filmé en 16 mm sur le Gange en 1993, Sous le niveau de la mer (Below Sea Level, 2008) filmé en 2008 en plein désert californien, El Sicario, l’histoire d’un tueur à gages des cartels mexicains de la drogue (ces trois-là sortis en vidéo en 2012 dans un coffret des Éditions Montparnasse) et Sacro GRA, sorti en 2013, un documentaire sur le Grande Raccordo Anulare, le périphérique de Rome qui avait déjà attiré l’attention de Federico Fellini pour Fellini Roma (Roma, 1972).
Avec Notturno, Gianfranco Rosi voulait aller voir comment on vivait dans ces pays désertés par la plupart des gens qui s’étaient réfugiés, au péril de leur vie, sur l’île de Lampedusa, qu’il avait observés dans son film précédent. Comme pour ses autres documentaires, il était derrière la caméra (ARRI Alexa Mini) avec une toute petite équipe, créant des conditions propices pour que les figurants oublient qu’ils étaient filmés.
Une femme kurde venue pleurer son fils, mort sous les tortures dans une prison turque, l’impensable barbarie des suppôts de Daech battant des enfants et brûlant vifs des yézidis sous leurs yeux… Si la guerre n’est jamais au premier plan, on mesure les dommages qu’elle a causés et on ressent l’omniprésence du danger avec la marche cadencée de pelotons de soldats de la première scène, le crépitement d’armes automatiques lourdes venant du lointain rompre la tranquillité nocturne d’un marécage ou répondre au gargouillis d’un narguilhé…
Notturno donne ainsi une large vue d’ensemble des dures conditions de survie, dans ces régions instables, sans commentaire du réalisateur qui choisit de laisser le spectateur se faire une opinion au vu des images, à l’écoute des personnes rencontrées. Il souligne aussi la résilience de la population, en montrant comment les enfants sont aidés à trouver des mots, à dessiner, pour exprimer le souvenir des horreurs qu’on leur a imposées et surmonter leurs terreurs nocturnes, comment les pensionnaires d’un asile psychiatrique de Bagdad sont invités à jouer sur une scène de théâtre l’histoire du Moyen-Orient pour tenter de soulager leurs traumatismes…
Notturno avec l’attention, relevée dans ses autres films, apportée par le réalisateur à l’esthétique, à la composition des cadres, à la lumière, en se gardant de porter le moindre jugement moral, permet de ressentir le vécu des personnes rencontrées et prend une dimension humaniste universelle.
Notturno (101 minutes) et ses suppléments (57 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-50, logé dans un boîtier non fourni pour le test.
Le menu animé et musical propose le film dans sa version originale, multilingue, au format audio DTS-HD Master Audio 5.1.
Une édition DVD est disponible avec un des deux suppléments.
Conversation entre Gianfranco Rosi et Alejandro Iñarritu (2020, 28’, anglais, sous-titré). Le réalisateur confie à Alejandro Iñarritu, impressionné par la stupidité des hommes infligeant des souffrances au nom d’idéologies, que le défi majeur était, sur un territoire immense, de « trouver les éléments si intimes (…) auprès de gens rencontrés au hasard (…) et de filmer les silences qui disent tout ». Il s’est imposé une règle : ne jamais interroger les personnages. Pour faire oublier la caméra, il passe plusieurs jours avec les personnes rencontrées avant de commencer à filmer. Reste, après le tournage, à éliminer de nombreuses scènes pour ne conserver que celles qui assureront l’unité du film. Le son, un élément important de la narration, toujours réel, a souvent dû être amplifié par le monteur-son.
Sur le seul Blu-ray :
Conversation entre Gianfranco Rosi et les chefs opérateurs Ed Lachman et Darius Khondji (2020, 27’, anglais, sous-titré). Après un échange de compliments, Gianfranco Rosi rappelle avoir quitté les études de médecine pour étudier le cinéma à NYU, puis appris, avec Boatman qu’on pouvait réaliser un film seul, en restant à distance des personnages, pour saisir ce que Pier Paolo Pasolini appelait « la splendeur de la réalité ». Notturno traverse les frontières du Moyen-Orient dans une semi-obscurité ou sous des ciels couverts permettant des changements d’angle à 360° pour trouver le bon cadre au dernier moment et capter, en restant à distance suffisante des personnages, « des moments de réalité (…) sur l’étroite ligne entre documentaire et fiction ».
Bande-annonce (1’32”).
L’image numérique (1.85:1, 1080p, AVC), finement résolue, déploie des couleurs naturelles, soigneusement étalonnées. Des contrastes fermes et des noirs denses assurent la lisibilité de toutes les scènes souvent filmées dans l’obscurité comme le laisse présumer le titre du film.
Le son DTS-HD Master Audio 5.1, très propre, avec une bonne dynamique une large bande passante, restitue clairement les paroles et l’ambiance dans laquelle le spectateur est discrètement immergé par une répartition cohérente du signal sur les cinq canaux.
Crédits images : © 21 Unofilm, Stemal Entertainment, Les Films d’Ici, No Nation Films, Mizzi Stock Entertainment