Dementia (1953) : le test complet du Blu-ray

Réalisé par John Parker
Avec Adrienne Barrett, Bruno Ve Sota et Ben Roseman

Édité par Potemkine Films

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Le 04/07/2022
Critique

Un des plus célèbres films fantastiques expérimentaux américains du vingtième siècle.

Dementia

USA, quartier de Venice à Los Angeles en 1953  : une jeune femme, seule dans un sordide motel, émerge d’un affreux cauchemar. Réveillée, elle décide de se promener en pleine nuit dans les bas-fonds, armée d’un couteau à cran d’arrêt. Elle y croise un nain vendeur de journaux, un clochard ivrogne qui tente de la violer, une sorte de souteneur, un policier qui a le même visage que son propre père, un riche mélomane qu’elle croit assassiner. Mais est-ce bien le cas ? Elle n’est pas au bout de ses surprises. Voyage au bout d’une nuit de cauchemar… qui n’en était peut-être pas un ?

Dementia (1953) de John Parker est un film noir expérimental rare, tourné en six jours à partir d’un cauchemar de Adrienne Barrett, la secrétaire de Parker qui fut aussi son actrice principale. Son sujet comme sa mise en scène le situent à mi-chemin du cinéma expressionniste et psychanalytique muet (notamment certains titres signés par G.W. Pabst et E.A. Dupont), du film noir policier plus ou moins fantastique d’un Orson Welles (qui tourne dans les mêmes extérieurs nuits urbains en 1957) ou d’un Alfred Hitchcock (1960) et du cinéma fantastique. La scène du clochard annonce assez celles du très expérimental Driller Killer (USA 1979) de Abel Ferrara qui l’avait probablement visionnée. Sans oublier une étrange séquence référentielle avec Angelo Rossito (non crédité au générique), l’un des nains les plus célèbres de l’histoire du cinéma américain qui avait tourné dans des classiques du cinéma fantastique signés par des cinéastes aussi importants que Tod Browning et Roy William Neill. Il faut en effet savoir, pour l’apprécier à sa juste mesure historique, que Rossito tenait, lorsqu’il ne tournait pas comme acteur, un kiosque à journaux sur Hollywood Boulevard. Le cinéaste Preston Sturges (qu’il ne faut pas confondre avec John Sturges) fut enthousiasmé au point d’écrire pour le film une savoureuse introduction qu’il signa à Hollywood en 1953.

Dementia

Interdit par la censure américaine (ce qui provoqua la colère de Preston Sturges qui avait eu, lui aussi, à en souffrir pour des titres il est vrai beaucoup plus anodins que celui réalisé par Parker), Dementia ne sortit tardivement à New-York en 1958 que dans une seule salle d’art et essais, en complément de programme à un documentaire sur le peintre Pablo Picasso. La date de 1953 inscrite à son générique n’est donc pas forcément exacte : elle peut avoir été destinée à tromper la censure. Une version alternative de Dementia avait été distribuée en 1955 sous le titre Daughter of Horror, sans que Parker fût responsable de ses modifications. Dementia en version originale 1953 ne fut brièvement exploité à New York qu’en 1958 et demeura inédit en salles de cinéma en France.

Sur le plan esthétique, Dementia ressort au total bien davantage du fantastique que du film noir policier. Son suspense repose sur la distance entre cauchemar et réalité, distance qui menace sans cesse d’être abolie. L’angoisse naît en permanence de la possibilité d’une confusion entre ces deux niveaux. Le film traite donc non pas la folie mais de la peur de la folie, en dépit de son titre d’exploitation puis de son absurde version alternative dotée d’une voix-off qui plaident pour une lecture univoque que sa mise en scène ne cesse de dénier. Ce cinéma fantastique constitue une plongée dans le psychisme et le fantasme comme on en a rarement vu. La gestion du temps y est, grâce à un montage serré, assez raffinée : l’onirisme du film en découle, son aspect cauchemardesque aussi. La spectaculaire puissance plastique de Dementia est autant nourrie de possibles références (je pense à des titres antérieurs signés par Luis Bunuel, Jean Cocteau) qu’annonciatrice de références à venir (songeons à Roman Polanski en 1965, à George A. Romero en 1968). C’est dire son importance dans l’histoire du cinéma fantastique.

NB : Parker n’étant pas responsable de la version alternative Daughter of Horror produite par Jack Harris et commentée par une voix-off, je conseille la vision du film original en priorité. Il faut par ailleurs savoir que le cinéaste Bruno Ve Sota (bien connu de ceux qui s’intéressent à la filmographie de Roger Corman) fut co-producteur avec John Parker et Ben Rosenman ainsi que acteur. Ve Sota réclama la paternité d’une partie non négligeable de Dementia dans un entretien paru dans un numéro du fanzine américain Filmfax.

Dementia

Présentation - 3,0 / 5

1 Blu-ray BD50 région B édité par Potemkine le 17 mai 2022. Durée du film : version originale 56 min. + version alternative 55 min. 13 secondes. Image format 1.37 N&B compatible 16/9 en Full HD 1080p. AVC. Son : version originale avec effets sonores et musique en DTS-HD Master Audio 2.0 mono + version alternative d’exploitation avec commentaire rajouté en voix-off (VOSTF). Présentation de Joe Dante (2’27”, VOSTF) + « Dementia, entre avant-garde et exploitation » par Maxime Lachaud (2022, 12’36”) + « Before and After : Restoring Dementia » (2015, 3’13”) + « Daughter of Horror » : version d’exploitation du film avec voix off (1955, 55’13”, VOSTF). Boîtier sous fourreau présentant les deux affiches de la version originale et de la version alternative exploitée : documents d’histoire du cinéma toujours appréciables et belle présentation. L’intérieur du boîtier présente deux autres documents intéressants : une revue de presse (le cinéaste Preston Sturges, les Cahiers du cinéma (texte fictif à mon avis), l’historien sternbergien Herman G. Weinberg) et une belle photographie N&B prise en extérieurs nuit, d’un cinéma projetant le film en 1958 à New York.

Dementia

Bonus - 3,0 / 5

 Daughter of Horror - version alternative (1955, 55’13”, VOSTF) : aucun intérêt autre qu’historique mais elle présente deux sérieux désavantages : d’abord elle souligne lourdement, avec le commentaire en voix-off qui fut rajouté à la demande de son distributeur, ce que la mise en scène originale suggérait ou laissait en suspens ; ensuite elle mutile le film original de 1953 de certains de ses plans les plus impressionnants à connotation érotique ou fantastique. C’est Jack Harris - le producteur de The Blob - Danger planétaire (USA 1958) de Irving S. Yeaworth Jr. et de Attention au blob ! (Beware the Blob !, USA 1972) de Larry Hagman - qui finança cette version alternative afin de la distribuer dans son circuit de distribution cinématographique. Harris estimait que le film original de 1953 avait besoin d’éclaircissements pour être compris par un public moyen et qu’il était un peu trop osé en matière de violence et de sexe. Document remarquable d’histoire du cinéma, de première main, qu’on trouvait déjà sur l’ancienne édition DVD Bach Films de 2008 et qu’il fallait évidemment reprendre impérativement ici : c’est chose faite. L’image n’est pas restaurée mais demeure visible.

Présentation de Joe Dante (2’27”, VOSTF) : on sait l’essentiel si on la visionne et elle est précise concernant les trois dates nécessaires à connaître pour situer la vie cinématographique du titre : tourné à Los Angeles en 1953, distribué aux USA sous une version alternative en 1955, exploité une unique soirée en version originale à New York en 1958.

« Dementia, entre avant-garde et exploitation » par Maxime Lachaud (2022, 12’36”) : bonne présentation historique qui situe bien le film esthétiquement comme thématiquement dans l’histoire générale du cinéma comme dans celle du cinéma expérimental américain, revient sur sa genèse, sa production, celle de sa version alternative, son exploitation avortée en version originale, son influence.

« Before and After : Restoring Dementia » (2015, 3’13”) : module de restauration technique détaillant les niveaux de restauration argentique de l’image en comparant l’image avant et après restauration sur un plan coupé en deux facettes. Il provient de la récente édition Cohen d’avril 2022 aux USA.

Dementia

Image - 5,0 / 5

Format 1.33 légèrement recadré à partir du 1.37 original, en N.&B. et Full HD 1080p AVC. La copie argentique 1953 a été restaurée 2K à partir du négatif. C’est le master américain restauré en 2015 et édité en Blu-ray en avril 2022 par Cohen Film Collection aux USA qui est ici proposé. La définition d’origine comme la gestion vidéo des noirs, sont excellentes la plupart du temps. Photographie admirable de bout en bout : jamais le noir n’a été aussi noir (certains commentateurs estiment que la restauration a même accentué leur noirceur : c’est vrai mais tant mieux car pour un tel film, les noirs ne seront jamais assez noirs) et l’expressionnisme d’un Pabst ou d’un E.A. Dupont n’est pas loin, celui d’Orson Welles non plus. Le directeur de la photographie William C. Thompson aurait été non pas daltonien (comme l’assurait Stéphane Bourgoin dans sa présentation française du DVD Bach Films de 2008) mais simplement borgne (un point commun avec les cinéastes Fritz Lang, John Ford, Raoul Walsh et André DeToth): Thompson collabora, comme on sait, à plusieurs films fantastiques de Ed Wood (Edward D Wood Junior pour les intimes). La version alternative 1955 est en état argentique non restaurée, sale et poussiéreuse mais visible.

Dementia

Son - 3,0 / 5

Version originale avec effets sonores et musique en DTS-HD Master Audio 2.0 mono + version alternative d’exploitation avec commentaire rajouté en voix-off (VOSTF). Le film original réputé muet ne l’est pas du tout. Certes, il ne comporte pas de dialogues mais il comporte quelques effets sonores, des rires, des cris. Et la musique de George Antheil (et Ernest Gold) est très présente et souvent remarquable. Performance filmée d’un groupe de Jazz : les Shorty Rogers & The Giants, hallucinés. La version sonorisée en 1955 par le producteur Jack Harris le fut au moyen de l’ajout de la voix-off (selon Bourgoin, c’était la voix de Jonathan Haze, selon Maxime Lachaud et Joe Dante, ce serait plutôt la voix de Ed McMahon). Aucune VF d’époque disponible car le film ne fut jamais exploité chez nous au cinéma. Piste sonore de la version 1953 évidemment mieux restaurée que celle de 1955 mais la dynamique de la version 1953 est néanmoins plus faible que celle de la version 1955.

Crédits images : © J.J. Parker Productions, H.K.F. Productions

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
Note du disque
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francis moury
Le 5 juillet 2022
Un des plus célèbres films fantastiques expérimentaux américains du vingtième siècle, ici présenté dans sa version originale restaurée et dans sa version alternative d'exploitation.

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