Cruising (La Chasse) (1980) : le test complet du Blu-ray

Cruising

Combo Blu-ray + DVD

Réalisé par William Friedkin
Avec Al Pacino, Paul Sorvino et Karen Allen

Édité par Colored Films

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Le 08/08/2022
Critique

Film noir policier oppressant, parfois cauchemardesque : un des plus originaux signés par Friedkin.

Cruising (La chasse)

New York, USA 1980 : des meurtres au couteau sont perpétrés au sein de la fraction « cuir » sado-masochiste de la communauté homosexuelle. L’agent de police Steve Burns, ignorant tout de ce milieu, accepte la mission d’identifier et d’arrêter le criminel psychopathe. Muni d’une d’une fausse identité et d’un domicile proche des nights-clubs que fréquentaient les victimes (auxquelles il ressemble physiquement), Burns suit les procédures méthodiques de l’infiltration. En quête d’un indice, n’ayant de contact qu’avec son supérieur hiérarchique direct, il oscille nuit après nuit entre le statut de proie et celui de chasseur.

Cruising (La Chasse, U.S.A.-RFA 1979) de William Friedkin est un film noir policier au réalisme parfois documentaire et qui demeure impressionnant. Le slogan des affiches américaines d’époque (« Al Pacino is cruising for a killer ») reposait sur l’ambivalence argotique du verbe (ici au participe présent) cruise (chasser / draguer). Ce titre américain s’imposa pour l’exploitation française ; le titre francophone d’exploitation fut, en réalité, une sorte de sous-titre précisant son ambivalence sémantique. Le tournage fut mouvementé car des activistes tentaient de le saboter, considérant que le scénario donnait une mauvaise image de la communauté homosexuelle en peignant sa fraction sadomasochiste la plus marginale. La peinture d’une partie n’étant pas la partie du tout, l’argument était aisément contredit par la simple logique. Et le scénario n’était pas imaginaire : il reposait sur une série authentique de meurtres survenus à New York de 1977 à 1979. L’inspecteur Randy Jurgensen avait réellement enquêté à leur sujet dans des circonstances analogues : le personnage remarquablement joué par Pacino (entouré d’un casting non moins remarquable) bénéficia de son expérience. Jurgensen joue un rôle d’inspecteur assez important dans le film mais c’est Pacino qui incarne à l’écran l’histoire de Jurgensen : double rapport au réel produisant une étrange ambivalence, du genre de celles que Friedkin aime mettre en scène. Ce n’est pas la seule : telle scène semble réaliste mais n’est qu’un fantasme du criminel psychopathe et le spectateur ne l’apprend formellement que plus tard ; tel plan du début du film, remis à l’identique au montage vers sa fin, réactive l’angoisse initiale du spectateur. Film noir policier fondamentalement inconfortable, Cruising s’achève sur une inquiétude d’essence métaphysique concernant la question de l’identité : identité psychique, identité sexuelle, identité juridique, identité criminelle, identité mémorielle, identité sociale. Toutes ces formes d’identité sont questionnées par un scénario et une mise en scène qui vont plus loin que le livre (qui ne se déroulait pas dans le milieu sado-masochiste) et plus loin que la série d’enquêtes journalistiques qui l’inspirèrent.

Cruising (La chasse)

La réception critique française de Cruising fut, par comparaison avec sa réception américaine, assez sage et mesurée car les connaisseurs français de l’histoire du film noir américain se souvenaient que le thème (un psychopathe meurtrier opérant à l’occasion ou systématiquement dans le milieu homosexuel) constituait déjà une composante du scénario de titres aussi remarquables que L’Etrangleur de Boston (USA 1968) de Richard Fleischer, que Le Détective (USA 1968) de Gordon Douglas. Ils étaient donc a priori bienveillants et curieux de découvrir la mise à jour sociologique et esthétique du thème par un cinéaste aussi talentueux. Sur le plan esthétique, Friedkin revendique souvent deux influences, le surréalisme et l’expressionnisme : certaines séquences de Cruising en portent effectivement l’empreinte. La scène du meurtre durant la projection du film pornographique S8mm dans le sex-shop est une séquence quasiment fantastique, à l’inspiration plastique concertée rendant hommage au cinéma expérimental américain des années 1960-1970. Quant au réalisme documentaire, la méthode Friedkin l’instaurait de deux manières, dramaturgique et sociologique. Dramaturgiquement, il privilégiait une direction minimale des acteurs, laissant libre cours à leur capacité d’improvisation. Il n’aurait par exemple, rapporte-t-on, pas fait prendre connaissance du scénario global à l’actrice Karen Allen : son personnage ignorait la teneur de l’enquête nocturne menée par Burns mais l’actrice l’ignorait aussi. il obtint, de la sorte, une plus étroite correspondance entre les réactions de l’actrice et son personnage. Sociologiquement, de véritables bars et night-clubs furent filmés par Friedkin, certains d’entre eux animés par leurs propres patrons, après négociation avec le milieu qui les contrôlait. Ces séquences renvoient à une réalité documentaire strictement capturée, aujourd’hui presque archéologique mais qui est l’occasion d’une intéressante stylisation plastique. Elles ont pourtant moins bien vieilli que les séquences en extérieurs nuits, souvent proches d’un fantastique graphiquement plus impressionnant.

Cruising (La chasse)

La réalité et le réalisme demeurent, certes, la base du cinéma de Friedkin mais c’est une base nourrissant la fiction poétique, sans que le spectateur en soit toujours conscient, parfois même à un double niveau de correspondances : par exemple, le policier joué par le remarquable acteur Joe Spinell se plaint amèrement durant sa patrouille nocturne, que son épouse l’a quitté pour s’installer en Floride. Friedkin explique dans son commentaire audio qu’il s’est inspiré de dialogues rapportés par de véritables policiers : dont acte mais il faut, en outre, savoir que c’est exactement ce que venait de faire l’actrice Jean Jennings (originaire de Floride) en divorçant (en juillet 1979) de Spinell. Et l’art de Friedkin transporte régulièrement ce réalisme de l’autre côté du miroir, vers le fantastique pur, dépassant alors le genre manifeste qu’il sert vers une vision latente plus ample et brusquement révélée. Si on visionne son passionnant moyen-métrage Off Season (l’épisode 29 de Alfred Hitchcock présente - Les inédits - Saison 3, vol. 2, épisodes 16 à 29, tourné en 1965 et qui est l’ultime épisode de la série), on constate que certains plans d’ensemble N&B des rues de New York la nuit, pendant que John Gavin patrouille avec son collègue en 1965, annoncent déjà plastiquement la manière dont elles sont vues par Joe Spinell et son collègue en 1979. Et on saisit mieux, une fois cette comparaison effectuée, pourquoi le directeur photo James A. Contner estimait qu’au fond, Cruising fut fondamentalement conçu en N&B même s’il fut tourné en couleurs. La musique de Jack Nitzsche (à l’orchestration et aux lignes mélodiques sophistiquées) renforce elle aussi cette impression tantôt d’un mauvais rêve, tantôt d’un franc cauchemar.

Cruising s’inscrit, du point de vue de l’histoire thématique du cinéma, dans une lignée de film noirs du dernier quart du vingtième siècle où l’homosexualité et la bisexualité déterminent (négativement ou positivement, selon les cas) une partie ou parfois même la totalité du scénario. Souvenons-nous, concernant au moins la période 1980 à 2000, dans l’ordre ascendant chronologique de production et de distribution, de certains titres signés par des cinéastes aussi divers que Gordon Willis (1980), Brian De Palma (1980), Gary Sherman (1982), Abel Ferrara (1983), William Friedkin (1985), Peter Medak (1990), Paul Verhoeven (1992), les frères Wachowski (1996). Mais, replacé au sein de la filmographie de Friedkin, Cruising ne se réduit nullement à cet aspect thématique ni même à son genre cinématographique (le film noir policier, voire même le giallo italien avec lequel il entretien d’évident rapports plastiques lors de certaines séquences) ; il les déborde dans ses instants les plus inspirés, flirtant alors avec certains des grands thèmes les plus authentiques du cinéma fantastique.

Cruising (La chasse)

Présentation - 4,5 / 5

Edition Colored Films, 02 mars 2022, contenant 1 Blu-ray BD50 zone B + 1 DVD9. Image du film sur Blu-ray en Full HD 1080p AVC au format original 1.85 respecté compatible 16/9. Son DTS-HD Master Audio 5.1 VOSTF + 2.0 VF d’époque. Durée cinéma du film sur Blu-ray : 102 min. Suppléments : Commentaire audio de William Friedkin (VO sans STF) + le film dans sa version d’origine (SD MPEG-2, 97’48”, VF Dolby Digital 2.0mono / VOST Dolby Digital 5.1) + « La Chasse de Friedkin » par Philippe Rouyer (2021, 26’49”) + entretien avec l’historien du cinéma Didier Roth-Bettoni (2022, 13’47”) + « L’Histoire de Cruising » (documentaire de Laurent Bouzereau, 2007, 21’05”, VOST) + « Exorciser Cruising » (documentaire de Laurent Bouzereau, 2007, 22’32”, VOST) + Bande-annonce (3’26”, VO sans STF).

Cruising (La chasse)

Bonus - 4,5 / 5

Le film dans sa version d’origine (SD MPEG-2, 97’48”, VF Dolby Digital 2.0 mono / VOSTF Dolby Digital 5.1) : en très bon état argentique et très bien transféré en vidéo numérique, on peut repérer une dizaine de différences entre la version remastérisée par Friedkin et cette version 1980 originale. Elles sont mineures et parfois esthétisantes : générique d’ouverture modifié, plans de coupe ou plans presque subliminaux aux teintes et à la définition modifiées, parfois insérés à un endroit différent du montage, étalonnage de la colorimétrie augmentant le bleu et diminuant le vert sur certaines séquences, ajout d’une information finale sur la remastérisation technique au générique de fin. Elles ont été repérées, minutées, capturées sur certains sites internet américains avec un luxe de précision qu’il est inutile de reproduire ici. Qu’on visionne la version originale 1979 ou la version remastérisée plus récente, on visionnera pratiquement le même film sans aucune modification d’intrigue ni d’atmosphère générale.

Commentaire audio de William Friedkin (VO sans STF) : commentaire passionnant d’un bout à l’autre, nourri d’informations sur tous les aspects du film (son rapport à la réalité, l’écriture de son scénario, son casting, son tournage, sa réception critique) mais qui n’est pas sous-titré. Il provient de l’édition Warner DVD de 2007 : cet éditeur fut, durant toute l’histoire du DVD en France, dans une position presque tragique pour une « major » américaine : il proposait des films majeurs commentés par certains des plus grands cinéastes d’Hollywood (par exemple Richard Fleischer ou William Friedkin) sans pouvoir les sous-titrer en français ! Cette absurde lacune désespérait, paraît-il, en son temps, le directeur de Warner France car les autres majors américaines (par exemple la Fox) sous-titraient bien évidemment les commentaires audio qu’elles éditaient. Colored Films qui le reprend en bonus en 2022 aurait dû, à mon avis, investir pour le faire sous-titrer en français. Je recommande évidemment son audition au cinéphile anglophone : les autres peuvent tenter de l’écouter car l’élocution de Friedkin est généralement nette et bien détachée.

Cruising (La chasse)

L’Histoire de Cruising (2007, 21’05”, VOSTF) : cet excellent documentaire de Laurent Bouzereau provient de l’ancienne édition DVD Warner 2007. Il contient des informations de première main sur la genèse et le tournage du film puisque son producteur, son réalisateur, son directeur photo, la plupart de ses acteurs principaux (sauf la star) y sont interrogés. La plus étonnante est, à mon avis, sans doute celle selon laquelle le criminel Paul Bateson apparaissait comme figurant (on le voyait exercer alors son véritable métier de technicien en radiologie) dans la séquence de l’IRM neurologique de L’Exorciste (USA 1973) de William Friedkin. Un grand absent : Al Pacino. Si vous n’avez le temps de visionner qu’un seul bonus, visionnez celui-là qui vous fournira l’essentiel des informations à connaître sur le film. Illustré par des extraits mais aussi de nombreuses photos de tournage couleurs et N&B.

Exorciser Cruising (2007, 22’32”, VOSTF) : ce supplément également signé Laurent Bouzereau provient aussi de l’ancienne édition DVD Warner de 2007 dont il constitue en somme la seconde partie. C’est un rappel historique de la controverse provoquée par le film durant son tournage (souvent perturbé par des activistes) et à sa sortie, et de la manière dont Friedkin et les acteurs impliqués la vécurent, sans oublier le producteur. Un grand absent, là encore : Al Pacino qui avait été passionné par le rôle mais éprouvé par l’hostilité des manifestants durant le tournage.

Cruising (La chasse)

Bande-annonce originale (3’26”, VO sans STF) : on la trouvait également sur l’ancien DVD Warner de 2007. Assez bon état argentique mis à part de fines poussières négatives et positives mais aucune rayure. Elle est bien montée en dépit de sa durée un peu excessive.

La Chasse de Friedkin par Philippe Rouyer (2021, 26’49”) : analyse ample, approfondie, situant le titre de 1979 dans la filmographie de Friedkin, revenant sur sa genèse, sa production, son tournage, sa réception critique et commerciale puis examinant certains aspects thématiques et esthétiques. Excellente remarque concernant Joe Spinell : Rouyer est le seul à mentionner Spinell dans les bonus. Evidemment, la majorité de ses informations et une grande partie de son analyse reprennent, inévitablement, certains aspects déjà évoqués dans le documentaire de Laurent Bouzereau et par Friedkin dans son propre commentaire audio mais certains aperçus critiques demeurent originaux et pertinents. Illustré par des extraits du film et par quelques affiches.

Entretien avec Didier Roth-Bettoni (2022, 13’47”) : on y replace clairement et distinctement le film de Friedkin dans la sociologie du cinéma des années 1970-1980, ainsi que dans l’histoire du cinéma homosexuel. Quelques bonnes remarques, dont une intéressante comparaison avec Les Garçons de la bande (USA 1969) de William Friedkin - qui remet bien en perspective le thème de l’homosexualité dans la filmographie de Friedkin - mais le reste fait tout de même assez souvent double-emploi avec l’excellent documentaire de Laurent Bouzereau. Illustré, pour l’essentiel, par des extraits du film.

Cruising (La chasse)

Image - 5,0 / 5

Format original 1.85 respecté, en couleurs, compatible 16/9 en Full HD 1080p AVC (sur Blu-ray) . Copie argentique restaurée à partir d’un scan 4K du négatif supervisée par Friedkin en 2019, correspondant au master américain 2019 de l’édition Arrow. Le directeur photo James A. Contner voulait à l’origine tourner le film en N&B : il reste plusieurs traces de cette volonté initiale dans la continuité filmique (sans parler de certains plans N&B rajoutés par Friedkin à la remastérisation) mais on admirera surtout les dominantes bleues des extérieurs nuits, particulièrement soignés et légèrement augmentées par la remastérisation. Célèbre emploi d’images provenant de sources argentiques hétérogènes, éventuellement S8mm, 16mm ou 35mm (y compris d’images subliminales) augmentant le parallélisme pervers entre assaut violent et rapport sexuel. Transfert vidéo d’une qualité technique somptueuse, à la précision jamais prise en défaut. Il faut noter que l’image SD de la version originale de 1979 (remastérisée en 2007 par Warner) est également très bonne techniquement. A noter que, si ma mémoire est bonne, le film était sorti au cinéma précédé d’un avertissement pré-générique (aux USA comme en France) : ni la version originale de 1979 ni cette version remastérisée approuvée par Friedkin n’en sont munis.

Cruising (La chasse)

Son - 5,0 / 5

VOSTF encodée sur le Blu-ray en DTS-HD Master Audio 5.1 et VF d’époque encodée DTS-HD Master Audio Mono 2.0. Les effets sonores ont été remixés (sous la supervision de Friedkin) de telle manière, sur la piste 5.1, qu’ils se détachent souvent très vigoureusement, notamment dans les scènes de night-clubs. Il faut privilégier la VO car les voix françaises de Al Pacino et Paul Sorvino ne conviennent pas. Friedkin utilise, d’autre part, diverses silhouettes pour incarner le meurtrier durant une grande partie du film mais il leur confère à toutes la même voix off grave presque d’outre-tombe, afin d’unifier le personnage sur le plan auditif. Cette unification sonore est moins impressionnante en VF d’époque. La chansonnette fredonnée par le tueur ne serait pas une invention : elle proviendrait d’un témoignage recueilli par Friedkin de la bouche même du survivant d’une tentative de meurtre. La musique de Jack Nitzsche est souvent excellente, tant du point de vue orchestral que mélodique, augmentant considérablement, à certains instants, la charge d’angoisse des images. Concernant la musique d’ambiance des clubs, Friedkin n’aimait pas celle qu’on y entendait à l’époque (les chansons de Donna Summer et des autres stars « disco » de la période 1975-1980) et il en sélectionna de nettement plus stridentes et brutales, issues de la mouvance punk alors à la mode. Je regrette ce choix : j’aurais préféré que Donna Summer et les autres stars disco 1975-1980 nous fussent, à cette occasion, restituées.

Crédits images : © Lorimar Film Entertainment

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
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francis moury
Le 9 août 2022
Film noir policier oppressant, parfois cauchemardesque : un des plus originaux signés par Friedkin.

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