Le Coup de l'escalier (1959) : le test complet du Blu-ray

Odds Against Tomorrow

Combo Blu-ray + DVD

Réalisé par Robert Wise
Avec Harry Belafonte, Robert Ryan et Shelley Winters

Édité par Rimini Editions

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Le 04/10/2022
Critique

Grand film noir policier signé par Wise, alliant originalité technique et scénario s’avérant supérieur au roman adapté.

Le Coup de l'escalier

USA, New York puis Melton en 1958 : l’ancien policier Burke a purgé une peine de prison car condamné pour corruption ; Slater est une brute dangereuse qui vit avec mauvaise conscience aux crochets de sa maîtresse Lorry ; le musicien et chanteur noir Ingram doit de l’argent à un gangster prêteur sur gage, sans parler de la pension alimentaire mensuelle qu’il verse depuis son divorce. Burke leur propose de se renflouer par un unique coup : l’attaque d’une banque provinciale sélectionnée à partir d’informations précises et fiables. Les trois hommes vont tenter de jouer ce « coup de l’escalier » : on ne le joue qu’à quitte ou double. Le racisme de Slater compromettra-t-il la réussite du coup ? Burke pense que non mais rien n’est moins sûr.

Le Coup de l’escalier (Odds against tomorrow, USA 1959) de Robert Wise (1914-2005) est un film noir policier qui s’inscrit dans une catégorie (préparation, exécution et conséquences de l’attaque d’une banque) qui avait déjà donné quelques classiques au genre, à commencer par Quand la ville dort (The Asphalt Jungle, USA 1949) de John Huston, adapté d’un roman de W.R. Burnett. Le cinéaste Robert Wise avait déjà contribué au genre, notamment par son remarquable Nous avons gagné ce soir (The Set-up, USA 1948) mais pas à cette catégorie précise du genre. Lorsque le chanteur et co-producteur Harry Belafonte lui proposa d’adapter un roman de William P. McGivern qui traitait à la fois le sujet du racisme et celui de l’attaque d’une banque, Wise saisit la double occasion qu’on lui fournissait car, devenu son propre producteur, il s’intéressait aussi aux sujets sociaux.

Le Coup de l'escalier

L’adaptation, écrite par Abraham Polonsky (à l’époque non crédité car il était sur la « Liste noire » : son nom ne sera rétabli au générique d’ouverture qu’en 1997) et par Nelson Gidding, transforma considérablement le matériel littéraire original. J’avais autrefois examiné (au moment de la sortie du DVD français en 2009) les modifications apportées par le scénario au roman (publié en 1957 aux USA, traduit en 1958 dans la Série noire des éditions Gallimard) : je n’y reviendrai pas ici mais je renvoie le lecteur intéressé par la question (et par celle, plus générale, du rapport de l’oeuvre littéraire à son adaptation cinématographique) à ma critique archivée sur le blog Stalker-Dissection du cadavre de la littérature. Examiner Le Coup de l’escalier sous cet angle d’attaque demeure d’autant plus intéressant que c’est une des rares fois où un film m’ait semblé franchement supérieur au livre qu’il adaptait. Par-delà le thème manifeste du racisme (porté aux USA par une actualité sociologique constamment brûlante) et par-delà son classique argument policier, son thème latent s’avère être celui de la mort à l’oeuvre, de la lutte pulsionnelle et temporelle entre Eros et Thanatos. On doit ce déplacement thématique du scénario davantage à Gidding qu’à Polonsky : c’était, en effet, déjà le thème du remarquable scénario de Gidding écrit l’année précédente pour le film noir policier Je veux vivre ! (USA 1958) de Robert Wise, inspiré d’un fait réel et d’articles de journaux. Et ce sera encore celui de quatre scénarios écrits par Gidding pour Wise, échelonnés sur les quinze années suivantes, encore à partir d’un matériel littéraire pré-existant mais chaque fois adapté dans ce même sens fondamental, à savoir : Le Coup de l’escalier, La Maison du diable (The Haunting, USA 1963), Le Mystère Andromède (The Andromeda Strain, USA 1971), L’Odyssée du Hindenbourg (The Hindenburg, USA 1975).

Le Coup de l'escalier

Dans l’histoire de la connaissance française de Robert Wise et, tout aussi bien, de Le Coup de l’escalier, il faut retenir trois étapes : d’abord le grand entretien de Ruy Nogueira avec Wise couvrant sa filmographie depuis ses débuts à 1971 (Écran n°7, Paris, juillet 1972), ensuite la monographie de Danièle Grivèle et Roland Lacourbe (Robert Wise, éditions Edilig, Paris 1985), enfin les témoignages publiés dans le livre, au style familier mais à l’information solide, de Eddy Muller, Dark City le monde perdu du film noir (USA 1998 traduit en 2007 aux éditions Clairac, notamment pp. 232-235). On peut parfois discuter la pertinence de certaines déclarations de Wise : pour éviter qu’on lui reprochât de copier la fin de La Chaîne (The Defiant Ones, USA 1958) de Stanley Kramer, il expliquait qu’il avait préféré une fin originale, oubliant de préciser qu’elle ne l’est pas tant que ça puisqu’elle copie en partie la fin du L’Enfer est à lui (White Heat, USA 1949) de Raoul Walsh. D’autres s’avèrent, en revanche, très fiables et précises : l’idée expérimentale de filmer avec une pellicule infra-rouge apportait effectivement une atmosphère unique que Wise reprendra en utilisant la même technique pour certains plans de sa meilleure contribution au genre fantastique, à savoir La Maison du diable. Le tournage du Coup de l’escalier eut lieu de février à avril 1959 durant la saison froide : cette pellicule conféra à l’herbe givrée des plans d’extérieurs une inquiétante blancheur, sans parler de la tonalité presque cadavérique dont elle recouvrait parfois la peau des acteurs, par exemple lors de la première apparition de Robert Ryan.

Le Coup de l'escalier

Robert Wise avait déclaré à son directeur de la photographie : « Je veux une atmosphère de menace croissante et un final de catastrophe : il nous faudra ignorer les codes d’une visualisation conventionnelle » (cité in American cinematographer volume 40, n°8, août 1959, cf. livret français joint à l’édition Rimini pp. 18 et 26). Dont acte. Cette esthétique novatrice dont témoigne régulièrement Le Coup de l’escalier fut redoublée par une virtuosité d’écriture : on a beaucoup admiré les temps morts montrant chacun des personnages attendant le moment de l’attaque, chacun isolé des deux autres, chacun comme figé au sein de l’espace et du temps. C’est évidemment en raison de cette écriture et de ces prouesses techniques que Le Coup de l’escalier fut, en son temps, le film noir policier américain le plus admiré par le cinéaste Jean-Pierre Melville qui assurait l’avoir visionné une centaine de fois. Le Deuxième souffle (Fr. 1966) de Melville rendit un hommage direct à une séquence de ce Wise et L’Armée des ombres (Fr.-Ital. 1969) de Melville lui emprunta un célèbre effet sonore.

Le Coup de l'escalier

Présentation - 3,0 / 5

1 édition combo 1 Blu-ray région B + 1 DVD9 + 1 livret 28 pages illustrées sous étui digipack, par Rimini, le 20 septembre 2022. Image N&B au format 1.37 compatible 16/9 (film) et 1.85 compatible 16/9 (extraits du film dans les bonus). Son DTS-HD Master Audio 2.0 mono VOSTF + VF d’époque. Durée cinéma : 96 min. 30 sec. (restituée exactement sur Blu-ray). Suppléments : présentation par Olivier Père + analyse du temps chez Wise par Jacques Demange + bande-annonce originale. Possibilité de changer de piste son à la volée en cours de vision.

Livret 28 pages illustrées couleurs + N&B, par Christophe Chavdia :

les 8 premières pages résument le roman de McGivern, l’histoire de sa réception critique littéraire aux USA et elles fournissent une utile explication du double sens argotique du titre français. A partir de la page 9, on passe à la genèse du film en commençant par le parcours très précisément retracé de Harry Belafonte co-producteur et acteur, puis l’écriture du scénario. La co-production et les aspects techniques de la réalisation par Robert Wise sont examinées (on cite les objectifs de caméra que Wise et son directeur photo utilisèrent) à partir de la page 17. Les pages 20-28 sont consacrées à la réception critique et commerciale du film aux USA et en France (méprisé en mars 1960 par Les Cahiers du cinéma, admiré en avril 1960 par Ado Kyrou dans Positif) et à ses conséquences. Au total, livret bien informé, en dépit d’un style parfois familier ou franchement relâché (exemple p. 15 : « une femme fatale à la manque » où cette expression est d’ailleurs utilisée à très mauvais escient pour qualifier le personnage réaliste très bien joué par la sexy Gloria Grahame). Bibliographie fournissant les références complètes (auteur, titre, éditeur, date d’édition) des livres et articles consultés et cités dans le corps du texte : c’est ce qu’il faut faire et, lorsque c’est le cas, je prends plaisir à le signaler. Les illustrations sont composées d’une ou deux affiches couleurs, de quelques photos N&B de tournage, quelques photos de plateau, quelques photos détourées d’exploitation.

Le Coup de l'escalier

Bonus - 2,5 / 5

Analyse de Jacques Demange sur le temps selon Robert Wise (durée 10 min. environ) : quelques remarques brèves mais intéressantes sur un des aspects syntaxiques les plus célèbres du film : l’originalité des séquences d’attente dans la construction du scénario et dans la mise en scène. La distinction supplémentaire mentionnée entre vrai et faux film d’action, vrai et faux thriller - distinction que Demange ne reprend sagement pas à son compte mais qu’il utilise d’une manière argumentaire - me paraît au demeurant assez artificielle, rapportée à l’histoire du genre qui a souvent, durant sa période classique parlante 1930-1960, joué avec l’espace et le temps d’une manière régulièrement virtuose, y compris concernant le suspense lié à l’attente d’un événement. Illustré par des extraits du film en état argentique moyen mais au format large original.

Entretien avec Olivier Père (durée 30 min. environ) : présentation parfois lacunaire par rapport au livret (Père avoue très honnêtement ignorer la manière précise dont Wise fut amené à co-produire avec Harry Belafonte et à réaliser le film, manière qui est expliquée dans le livret) mais qui parfois lui apporte d’heureux compléments (la bonne comparaison entre Robert Wise et Richard Fleischer, les vies parallèles bien mises en perspective des acteurs Robert Ryan et Lee Marvin, la mention de la remarque de Wise sur la continuité entre le personnage joué par Ryan dans son film noir de 1948 et dans celui de 1959). Bonne remarque sur la raison profonde de son inégale réception critique à sa sortie : cette cruelle « dead end » (le panneau mentionnant cette information est filmé parmi les derniers plans, d’une manière quasiment sémiologique) l’était sans doute trop pour satisfaire le spectateur moyen. Était-elle « en avance » sur son temps relativement à l’histoire du genre, comme le pense Père ? Je ne le crois pas car d’autres films noirs policiers antérieurs avaient déjà, depuis assez longtemps, manifesté une cruauté très proche, sinon similaire : qu’on se souvienne par exemple de la fin si cruelle du Un si doux visage (Angel Face, USA 1952) d’Otto Preminger ! Aussi illustré par des extraits du film au format large original et quelques affiches et photos.

Bande-annonce originale (durée 3 min. 10 sec., VO sans STF) : remarquablement restaurée sur le plan argentique mais recadrée 1.37.

Avec le livret, l’ensemble constitue une bonne édition spéciale riche en informations alors que, par comparaison, l’édition américaine de 2018 est au bon format 1.85 mais totalement dépourvue de bonus. Sans le livret, ces bonus vidéo méritent seulement la moyenne. D’autant que ni l’auteur du livret ni les deux contributeurs aux bonus ne semblent se poser la question du format d’image du film alors qu’il nous est proposé dans ce Blu-ray tantôt dans un format, tantôt dans l’autre, selon les sections du menu.

Le Coup de l'escalier

Image - 2,5 / 5

Copie argentique très bien restaurée, reportée en Full HD 1080p N&B avec une excellente définition mais… au format 1.37 compatible 16/9. Ce format pose un intéressant problème d’histoire du cinéma. Le format large 1.85 est aujourd’hui considéré comme étant le format original. Ce master Blu-ray région B édité par Rimini en 2022 est une reprise de celui édité en 2016 par le British Film Institute (BFI) au format 1.37 alors que le master Blu-ray région A édité aux USA en 2018 par Olive Films est au format 1.85. Pourquoi cette hésitation entre les deux formats ? Parce que, pendant longtemps, on a cru que Le Coup de l’escalier était le dernier film de Wise tourné au format « académique » 1.37, comme on le nomme là-bas. On se basait sur des déclarations de 1959 concernant son désir de le tourner en format « standard » : ce terme fut mal interprété car il désignait alors un format large au moins 1.66 et de préférence 1.85 ; il ne désignait certainement plus l’ancien format « académique » 1.37, considéré comme obsolète. La restauration argentique effectuée par le BFI a servi de source au master américain d’Olive Films mais pas son cadrage : tout est dans cette nuance. Ce n’est donc pas ce master BFI 1.37 mais le master Olive Films 1.85 qu’il fallait présenter en 2022 aux cinéphiles français. Ou bien on aurait pu présenter les deux masters, celui de Olive au format 1.85 comme master principal et celui du BFI au format 1.37 en bonus : pourquoi pas ? D’une certaine manière, c’est le cas par la bande, si j’ose dire, puisque les extraits de Le Coup de l’escalier présentés dans les deux premiers bonus de cette édition Rimini sont au format large ! Le spectateur pourra donc comparer les compositions respectives des plans de certaines séquences en comparant la section film en 1.37 et ses extraits en 1.85 montrés dans les deux premiers bonus ! Une autre preuve que le cadrage 1.37 « open matte » n’est pas le cadrage original, est fournie par un plan à l’intérieur de l’ascenseur : l’oeil peut distinguer, de 3’59” à 4’18”, l’ombre de la perche du micro de prise de son qui oscille en haut du cadre, orientée d’abord au-dessus du liftier noir puis vers Slater. Jamais un professionnel émérite tel que Wise n’aurait laissé passer un tel défaut sur une copie d’exploitation mais en 1.85, ce défaut était tout naturellement gommé puisque le cadre est automatiquement diminué en hauteur, élargi sur les bords : preuve, s’il en fallait, que Wise et son directeur photo Joseph Brun composaient leurs plans en fonction des exigences géométriques du format 1.85.

Le Coup de l'escalier

Son - 4,0 / 5

DTS-HD Master Audio 2.0 mono VOSTF + VF d’époque : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. La VF d’époque est très soignée sur le plan du choix des voix et de la dramaturgie. Rapports musique-effets sonores-dialogues bien équilibrés et bien conservés dans les deux cas. Dans la VF, certains détails sont parfois atténués, d’autres carrément transformés : à la question de Slater voulant savoir pourquoi Burke s’encombre d’un chien berger allemand alors qu’il vit à New York, la VF répond « il me tient compagnie » alors que la VO disait « Je n’ai jamais eu de femme ». Les STF peuvent, eux aussi, s’avérer erronés à l’occasion : à la fin de leur première rencontre, Burke ne répond pas à Ingram, avant de fermer la porte de son petit appartement, que « 50 000 $ ne changeraient rien » comme écrit en bas de l’écran mais, tout au contraire, qu’ils pourraient tout changer ! Musique de Jazz, d’autant mieux intégrée à l’action que l’un des personnages est chanteur et musicien, interprété par un acteur qui fut réellement chanteur et musicien. Belafonte composa les chansons qu’on l’entend chanter dans le film. Le Jazz demeure cependant employé avec parcimonie, à bon escient : gage d’efficacité. Une anecdote célèbre d’histoire du cinéma : le cinéaste Jean-Pierre Melville demanda à sa monteuse de recopier le bruit très particulier de la porte de la banque du Coup de l’escalier sur la piste-son optique de L’Armée des ombres (Fr.-Ital.1969) où le bruit en question devint celui, obsédant, des grilles d’une prison de la Gestapo. Lorsque, des années plus tard, Melville rencontra Wise, on raconte qu’il lui fit écouter le résultat.

Crédits images : © HarBel Productions

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
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francis moury
Le 5 octobre 2022
Grand film noir policier signé par Wise, alliant originalité technique et scénario s’avérant supérieur au roman adapté.

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