Cain et Abel (1982) : le test complet du Blu-ray

Un mélodrame épicé d’action par l’un des porte-drapeaux de la Nouvelle Vague du cinéma philippin, née à la fin des années 70.

Madame Pina règne d’une main de fer sur la ferme familiale, gérée par son fils aîné Lorenz. Méprisé par sa mère depuis sa plus tendre enfance, ce dernier vit dans l’ombre de son frère cadet, Ellis, parti faire des études à Manille. Lorsque celui-ci débarque avec sa fiancée venue de la ville en réclamant de reprendre la direction de la ferme, le destin de la famille va basculer dans l’horreur d’une guerre fratricide…

Cain et Abel (Cain at Abel), sur un scénario original de Ricardo Lee, le plus célèbre scénariste philippin avec plus de 180 contributions au cinéma et à la télévision depuis 1979, fut réalisé en 1982 par un des artisans du renouveau du cinéma philippin, Lino Brocka (1939-1991), découvert en Europe en 1984 par la sélection pour la Palme d’or de Bayan ko.

Le cinéma philippin reste à découvrir : aucun des 70 films qu’a réalisés, de 1939 à 1982, l’un de ses précurseurs, Lamberto V. Avellana, n’a pas encore été édité sur disque optique en Europe et aux USA. Dans son sillage, émergeront Gerardo de León, dont seul un film, et pas le meilleur, est aujourd’hui disponible, Women in Cages, sorti en 1971. Eddie Romero, avec trois films disponibles en vidéo : Black Mama, White Mama (1972), Sudden Death (1977) et White Force (1988). Ishmael Bernal, plusieurs fois primé pour Himala, sélectionné pour l’Ours d’or en 1983, reste totalement absent de nos catalogues.

Des quelques70 films que nous a laissés Lino Brocka avant de mourir dans un accident de la route en 1991, à 52 ans, seul trois étaient jusque-là disponibles en France : Manille (Maynila: Sa mga kuko ng liwanag, 1975), Insiang (1976) et Bayan ko (Bayan ko: Kapit sa patalim, 1984), édité en 2021 sur Blu-ray UltraHD. Une autre génération a pris la relève avec, notamment, Brillante Mendoza, bien représenté dans nos bacs avec douze films, dont Serbis (2007), Lola (2009) ou Captive (2012).

Cain et Abel s’ouvre sur le combat de deux araignées, une métaphore annonçant l’intrigue principale du film, la lutte sans merci entre Lorenz et Ellis. Ce mélodrame mixé d’action est interprété par deux acteurs toujours actifs, parmi les plus célèbres aux Philippines, Christopher De Leon, avec plus de 200 rôles pour le cinéma et la télévision, et Phillip Salvador, avec 120 titres à son tableau.

Si l’histoire des deux frères est la composante majeure du scénario, Cain et Abel accorde une très large place aux femmes. À la matriarche, La Señora Pina, interprétée par Mona Misa qui tenait déjà le rôle d’une mère possessive dans Insiang (1976), un des chefs-d’oeuvre de Lino Brocka. Et à trois autres actrices : Baby Delgado, dans le rôle de Becky, l’épouse de Lorenz, à Cecille Castillo, dans celui de Rina, la mère d’un enfant naturel d’Ellis et à Carmi Martin, sa fiancée.

Cain et Abel s’inscrit résolument dans le registre du mélodrame populaire, mais avec une dimension sociale quand il évoque, incidemment, les relations entre propriétaires terriens et ouvriers agricoles, ou encore, le sort des femmes, en particulier celui de Rina la fille-mère, retenue dans un statut d’esclave.

Cain et Abel (111 minutes) et ses suppléments (42 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-50 logé dans un boîtier, glissé dans un fourreau.

Le menu fixe et musical propose le film dans sa langue originale, le tagalog, avec sous-titres optionnels, au format audio DTS-HD Master Audio 2.0 mono.

Est aussi disponible, une édition DVD avec le même contenu.

Cain et Abel : une reconnaissance (12’, Kani Films Ltd, 2022) par José B. Capino, auteur du livre Martial Law Melodrama: Lino Brocka’s Cinema Politics (University of California Press, 2020). Le réalisateur, connu depuis les années 70 pour ses mélodrames réalistes dans des milieux populaires, est aussi réputé aux Philippines pour ses films en milieu bourgeois, révélant tous une influence hollywoodienne et européenne. Cain et Abel vise à répondre aux attentes des Philippins, fans de d’action et de drame, et à celles du public international par son inventivité, ses qualités artistiques et sa dimension féministe et sociale, que le chroniqueur souligne dans son commentaire de plusieurs extraits de scènes. José B. Capino rappelle l’opposition affichée de Lino Brocka à la dictature du président Ferdinand Marcos, probablement évoqué par le personnage de la Señora Pina et la lutte sanglante entre ses soutiens et ses opposants par celle des deux frères ennemis.

Entretien avec Christopher De Leon (16’, Kani Films Ltd, 2022). L’interprète d’Ellis, issu d’une famille d’acteurs, fut lancé dans sa carrière en 1976 par Tinimbang ka ngunit kulang, de Lino Brocka qui lui a appris l’analyse d’un scénario, la discipline de l’acteur, l’importance du regard. Il a immédiatement accepté le rôle d’Ellis qui le sortait de l’emploi de personnage d’un triangle amoureux dans lequel il avait été cantonné. La restauration de Cain et Abel facilitera pour les jeunes générations la découverte de l’Âge d’or du cinéma philippin, dû à Lino Brocka, Eddie Romero, Gerardo de León, Ishmael Bernal, Fernando Poe Jr., Joseph Estrada…

Entretien avec Carmi Martin (13’, Kani Films Ltd, 2022). Après avoir été mannequin dès l’âge de 17 ans, elle est devenue, à partir de 1981, une des « jeunes protégées » de Lino Brocka. Elle résume sa carrière, rappelle des souvenirs de tournage, son déplacement à Cannes en 1984 pour la projection de Bayan ko…

Tous ces entretiens, en anglais, sont sous-titrés.

Bande-annonce de la restauration (1’).

L’image (1.85:1, 1080p, AVC), restaurée en 2K après numérisation 4K, assez bien débarrassée des marques de dégradation de la pellicule, est souvent affectée par des déformations dues au mauvais état du positif utilisé et par une hétérogénéité du grain, parfois trop lissé, en particulier dans les gros plans sur les visages, parfois trop épais dans certains plans larges. Les blancs sont lumineux et les noirs très denses, mais avec une tendance à se boucher. L’étalonnage est fluctuant, avec des contrastes faibles et des couleurs délavées dans certaines scènes en pleine lumière et, à l’inverse, des contrastes trop poussés avec des couleurs trop saturées dans les scènes de nuit, avec des visages virant au rouge foncé.

Le son DTS-HD Master Audio 2.0 mono, assez propre, lui aussi, souffre de distorsions et de saturations, surtout sensibles dans l’accompagnement musical.

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