Les Chevaliers teutoniques (1960) : le test complet du Blu-ray

Le premier film polonais à grand spectacle, l’oeuvre d’un cinéaste injustement méconnu, trop absent de nos catalogues. À découvrir !

Pologne, début du XVe siècle. À l’origine, ordre religieux destiné à protéger les pèlerins se rendant en Terre Sainte, les chevaliers teutoniques ont créé leur propre État tout-puissant, implantant leurs commanderies un peu partout en Europe. Le seigneur Jurand de Spychów croise un jour une troupe de chevaliers teutoniques emmenant des marchands injustement capturés. Il les met en déroute et l’unique rescapé, le commandeur Siegfried von Löwe, se venge en incendiant son village fortifié et en assassinant sa femme. La tension va monter avec l’émergence du royaume polonais, voulant se défaire de l’emprise des chevaliers. Jusqu’à la fameuse bataille de Tannenberg, qui sera fatale à l’Ordre.

Les Chevaliers teutoniques (Krzyżacy) sort en 1960. Né à Łódź en 1908 sous le nom de Mosze Lifszyc, Aleksander Ford réalise son premier court métrage en 1929, prémices d’une suite de fictions et documentaires sociaux. Il rejoint l’URSS en 1939, commande une équipe cinématographique de l’armée, dirige après la guerre Film Polski avant d’en être évincé, est nommé directeur artistique de l’école de cinéma de Łódź où il a Roman Polanski parmi ses élèves, avant de tomber en disgrâce et de devoir quitter en 1969 la Pologne antisémite de Gomulka et de finir par s’installer aux USA où ils se suicide en 1980.

Les Chevaliers teutoniques est une adaptation du roman publié en 1900 par Henryk Sienkiewicz (1848-1916), mondialement connu depuis la publication de Quo vadis? en 1896, prix Nobel de littérature en 1906. Premier film polonais à grand spectacle, il a attiré depuis sa sortie 33 millions de spectateurs dans le monde.

Les Chevaliers teutoniques bénéficie de grands moyens : un nombre impressionnant de figurants, des décors immenses, des costumes réussis et une solide sélection d’acteurs réputés dans leur pays, parmi lesquels, dans le rôle de Wladyslaw II, roi de Pologne, Emil Karewicz qui tint une centaine de rôles jusqu’à sa disparition en 2020, à l’âge de 97 ans.

Bien qu’il n’évite pas quelques clichés et qu’il n’exerce pas l’envoûtement d’un autre grand film sur les Chevaliers teutoniques, Alexandre Nevski de Sergueï M. Eisenstein et Dmitri Vasilyev, chef-d’oeuvre universel (réédité en haute définition en 2019), Les Chevaliers teutoniques reste un grand film, notamment pour son impressionnante reconstitution de la bataille de Tannenberg. Son édition, longtemps attendue, rend une légitime reconnaissance à Aleksander Ford.

Il n’était, en effet, jusqu’ici présent dans les catalogues vidéo français que par un documentaire sur le sanatorium de Medem qui accueillit des jeunes enfants juifs, Nous arrivons (Mir kumen on, 1938), sorti dans une édition single et dans le coffret Trésors du cinéma yiddish. Il a pourtant réalisé une vingtaine de longs métrages, parmi lesquels La Jeunesse de Chopin (Mlodosc Chopina), sélectionné à Venise en 1952 pour le Lion d’or, Les Cinq de la rue Barska (Piatka z ulicy Barskiej), salué à Cannes en 1954 par un Prix international, The Eighth Day of the Week (Ósmy dzien tygodnia), nommé en 1958 à Venise pour le Lion d’or, et The First Day of Freedom (Pierwszy dzien wolnosci), sélectionné en 1965 à Cannes pour la Palme d’or.

Les Chevaliers teutoniques vient enrichir la Collection Histoire et légendes d’Europe. Lancée par Artus Films en 2019, elle propose aujourd’hui trois autres titres, tous chroniqués par DVDFR, Guillaume Tell (Wilhelm Tell, Michel Dickoff & Karl Hartl, 1961), La Vengeance de Siegfried (Die Nibelungen: Siegfried, Harald Reinl, 1966) et Jeanne d’Arc (Das Mädchen Johanna, Gustav Ucicky, 1935).

Les Chevaliers teutoniques (172 minutes) tient sur un Blu-ray BD-50 et sur un DVD-9 logés dans les couvertures d’un Digibook.

Le menu fixe et musical propose le film dans sa version originale, en polonais, avec sous-titres optionnels, et dans un doublage en français, les deux au format audio Linear PCM 2.0 mono.

Le livre de 80 pages, intitulé L’Ordre teutonique, rédigé par Sylvain Gougenheim, historien médiéviste, auteur de plusieurs ouvrages, dont Les Chevaliers teutoniques (Tallandier, 2013), s’ouvre sur une biographie et une revue de l’oeuvre d’Aleksander Ford dans laquelle Krzyżacy tient « une place à part », pour son contenu, sa forme, les moyens investis dans la production : construction d’une petite ville (pouvant abriter 1 000 habitants), 10 000 figurants, 470 chevaux… Le chapitre Krzyżacy, un western polonais comprend un résumé du scénario, sa comparaison au roman et une notice sur Henryk Sienkiewicz, ses romans et leur adaptation au cinéma. Le livre se poursuit par un rappel historique détaillé de L’Ordre teutonique et la Pologne, des légendes qu’il a suscitées et les marques laissées en Pologne et en Allemagne par la bataille de Grunwald (ou Tannenberg) qui se solda par 13 000 morts.

Un utile et intéressant complément au film.

Diaporama d’affiches et de photos (2’) : sept reproductions d’affiches, onze photos recadrées et deux lobby cards (sur le Blu-ray et le DVD).

L’image (2.35:1, 1080p, AVC) a été soigneusement débarrassée de toute marque de dégradation de la pellicule par une restauration qui a lissé le grain au point de l’effacer, avec un gain en netteté dont le prix se paie par un rendu cireux des visages dans les plans rapprochés. Ce qui confirme que le transfert de l’argentique à la haute définition reste une opération très délicate, sur le fil du rasoir. L’image est lumineuse, agréablement contrastée, avec des noirs denses et de belles couleurs peu saturées de la palette Eastmancolor, bien étalonnées.

Le son mono d’origine, remixé au format non compressé Linear PCM, très propre lui aussi, sans souffle, avec une étonnante dynamique, garantit la clarté des dialogues et donne une bonne présence à l’ambiance et à l’accompagnement musical, à peine affecté par quelques saturations occasionnelles.

Ces remarques valent pour le doublage, au volume sonore trop élevé. Un moins bon équilibre est obtenu entre l’ambiance et des dialogues qui manquent de naturel. Il n’a pas été pris en compte pour l’attribution de la note.

Crédits images : © Zespól Filmowy « Studio »