La Plus grande histoire jamais contée (1965) : le test complet du Blu-ray

The Greatest Story Ever Told

Édition Mediabook Collector Blu-ray + DVD + Livret

Réalisé par George Stevens
Avec Max von Sydow, Michael Anderson Jr. et Carroll Baker

Édité par ESC Editions

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Le 12/12/2022
Critique

L’une des plus amples vies du Christ jamais portées à l’écran, réalisée par un cinéaste épris de perfection.

La Plus Grande Histoire jamais contée

La plus grande histoire jamais contée (The Greatest Story Ever Told, USA 1965) de Georges Stevens (1904-1975) est son avant-dernier film mais il couronne en réalité sa filmographie car il constitue, encore aujourd’hui, l’un des meilleurs réalisés depuis l’avènement du cinéma parlant vers 1930 sur le sujet. Stevens en était aussi co-producteur : les Artistes Associés (qui avaient racheté le projet à la Fox) lui avaient accordé la « final cut », le droit de montage final. Il est possible qu’il s’agisse du film le plus cher jamais produit à Hollywood dans l’histoire : on avait calculé que son budget en US$, (du début de la phase de production en 1959 jusqu’à sa sortie en exclusivité durant Pâque 1965) aurait atteint les 25 millions de US$, ce qui correspondait, en valeur corrigée vers 2015, à environ 185 millions de US$, encore davantage aujourd’hui (fin 2022) compte tenu de l’inflation.

On peut négliger les sources radiophoniques et romancées américaines de La Plus grande histoire jamais contée. Elles remontent aux années 1950 et avaient rencontré un succès populaire qui avait d’abord intéressé la Fox. Il faut, en revanche, tenir compte de l’apport momentané de Carl Sandburg, poète américain octogénaire cultivé et humaniste : Sandburg fut, en 1960, coordinateur général (non crédité) du script en association étroite avec Stevens avant que James Lee Barrett et ce dernier ne reprennent l’ensemble d’une manière attentive et souvent très soignée, épurée et dense. La préparation du film s’échelonna de 1959 à 1962 ; le tournage d’environ 9 mois s’acheva en août 1963 ; le premier montage (1830 km de pellicule avait été impressionnée) fut terminé en février 1965 et il durait 4H20min. Le distributeur Artistes Associés objecta que seules deux séances de projection seraient possibles : il exigea des coupes afin de le ramener à une durée compatible avec un nombre quotidien plus élevé de séances. La première version exploitée lors de la sortie aurait duré, selon certaines sources, 3H45 avant de subir quelques coupes la ramenant aux 3H20 de la version actuelle.

La Plus Grande Histoire jamais contée

C’est la poésie des dialogues de Sandburg qui avait déterminé l’acteur suédois Max von Sydow, auparavant réticent, à accepter le rôle principal : Stevens avait apprécié ses rôles tenus pour le cinéaste suédois Ingmar Bergman, le fait que Sydow avait alors précisément 33 ans (âge traditionnellement estimé du Christ l’année de sa crucifixion) et, last but not least, le fait qu’il était inconnu du grand public américain. Autour de lui fut réuni l’un des castings les plus prestigieux jamais organisés à Hollywood (Donald Pleasence composait un très inquiétant Satan ; Charlton Heston interprétait le prophète saint Jean-Baptiste ; John Wayne campait un centurion romain ; Claude Rains et José Ferrer incarnent respectivement Hérode et son fils Hérode Antipas ; Telly Savalas demeure un Ponce Pilate vigoureux mais non sans nuances ; David McCallum est peut-être l’un des Judas les plus étoffés jamais représentés à l’écran : je sais que cette dernière remarque intéressera mon ami Juan Asensio qui a écrit sur Judas l’Iscariote) mais le raccourcissement du montage initial réduisit la présence à l’écran de certains rôles (cas de celui joué par Martin Landau). George Stevens s’intéressait à la vérité historique (il étudia l’histoire de la peinture religieuse des origines antiques au vingtième siècle, notamment concernant les diverses expressions du visage représenté du Christ) et sociologique (notamment les étapes et les aspects du procès intenté à Jésus) des récits évangéliques. Mais il avait aussi, sur le plan plastique, une conception romantique : outre le choix des studios Culver City de la MGM pour certains plans nécessitant des effets particulièrement sophitiqués, celui des des extérieurs naturels (vastes espaces du Nevada, de l’Utah, de l’Arizona et de la Californie) reposa sur le fait que les repérages en Palestine réelle l’avait plastiquement déçu : il préféra des paysages géographiquement compatibles à l’ampleur souvent très impressionnante, en raison d’un travail considérable sur les profondeurs de champ et d’un montage sophistiqué. A cet égard, la séquence de la résurrection de Lazare demeure mémorable mais pas seulement sur le plan plastique : la direction d’acteur (notamment le comédien Michael Tolan incarnant Lazare), la manière dont ses rapports avec le Christ sont filmés avant et après, l’ensemble exprime la tension spirituelle relative à l’ambivalence dialectique de la « maladie mortelle » paradoxale de Lazare qui sera, plus tard, si bien analysée par Kierkegaard dans le Traité du désespoir (1849).

La Plus Grande Histoire jamais contée

Sur le plan de l’histoire du cinéma, il faut savoir que les cinéastes David Lean et Jean Negulesco dirigèrent (non crédités au générique) quelques séquences de La Plus grande histoire jamais contée - David Lean tourna notamment la réception des rois-mages au palais du roi Hérode tandis que Jean Negulesco aurait tourné celle de la nativité et quelques plans de Jérusalem - afin de tenir les délais du plan de travail. Délais qui furent considérablement dépassés en raison du perfectionnisme légendaire de Stevens qui filmait parfois sous une trentaine d’angles différents la même séquence, par exemple celle de la résurrection de Lazare. Il faut noter que la version longue de 4H20, constituant le premier montage validé par Stevens, existerait encore matériellement : le fils du cinéaste George Stevens aurait tenté de convaincre la MGM (qui détient actuellement les droits du catalogue United Artists) de la restaurer, mais en vain pour l’instant. Souhaitons qu’un jour ce beau projet soit mené à bien et qu’on puisse enfin la découvrir.

La Plus Grande Histoire jamais contée

Présentation - 3,0 / 5

Mediabook comportant 1 Blu-ray BD-50 région B + 1 DVD-9 + 1 livret illustré 32 pages, édité par ESC le 07 décembre 2022. Durée du film : 199 min. (sur Blu-ray) ou 191 min. (sur DVD). Image Full HD au format 2.76 en couleurs et compatible 16/9, 1920 x 1080p AVC. Son : VF d’époque en Dolby Audio DD 5.1 + VOSTF DTS-HD Master Audio 5.1. Suppléments : les vies de Jésus au cinéma, entretien avec Claude Aziza, historien (2022, 23’34”) + entretien avec Dominic Schubert, prêtre catholique (2022, 28’37”) + bande-annonce originale (3’33”, VO sans STF). Le visuel de la jaquette est strictement le même que celui de l’édition américaine Blu-ray MGM de 2011 mais j’aurais préféré le visuel de l’édition américaine Blu-ray MGM de 2015 car le symbole sacré de la croix s’y trouve représenté.

Livret 32 pages illustrées de Marc Toullec

Très bien informé aux sources anglo-saxonnes de première main (mentionnées en bibliographie, presque toutes sans leur date de parution, ce qui est contraire aux règles de l’édition) et bien illustré de quelques belles photos de plateau et de tournage mais aucun jeu complet de photos d’exploitation. Genèse, production, élaboration du scénario, tournage, réception critique et commerciale : toutes les étapes de la vie du film sont précisément reportées avec un grand luxe de détails. La présentation de la première page pourrait faire croire que les superproductions ont débuté vers 1955 à Hollywood, afin de rivaliser avec la télévision. C’est à la fois vrai (le cinéma offrait l’écran large couleurs ou N&B alors que la TV n’offrait alors qu’un petit écran encore uniquement N&B) et faux (dès que le cinéma muet fut une industrie, Hollywood engendra des superproductions, y compris voire même surtout historiques et religieuses, donc bien avant l’invention de la TV et même bien avant l’invention du cinéma parlant). Page 4, ligne 6 : « royalty » (part sur les bénéfices) est traduit par « royauté » (sic). Style parfois relâché ou familier sans oublier une répétition oubliée dans la traduction d’une citation (intéressante) de Stevens : « Procès dont la mécanique n’a pour d’autre (sic : on pouvait écrire l’un ou l’autre mais il fallait choisir et, surtout, relire avant d’imprimer) but que de maintenir l’ordre que le groupe s’impose à lui-même. » (page 11, lignes 13-14). Une précision erpétologique : les « monstres de Gila », mentionnés (haut de la page 20) à propos du tournage en Arizona, sont des lézards venimeux appartenant à la famille des Heloderma : cette appellation « monstre de Gila » constituant une simple dénomination populaire. Durant l’hiver exceptionnel de 1962-1963 qu’affronta l’équipe de tournage, je doute au demeurant qu’ils aient été très actifs. Page 27, ligne 8, coquille par omission : « Plutôt que de (la) renvoyer dans ses foyers… ». Page 28, ligne 4, une pure coquille : lire « William C. Mellor » et non pas « Mellar » (sic) au nom de famille du directeur photo, mort durant le tournage. Page 28, on nous assure que la version raccourcie par le montage commercialement exploité du film dure « 2H27min » alors que, sur ce Blu-ray en durée cinéma à 24 images / secondes, elle dure environ 3H19.

La Plus Grande Histoire jamais contée

Bonus - 2,5 / 5

Les vies de Jésus au cinéma, entretien avec Claude Aziza, historien (2022, 23’34”) : Aziza est curieusement défini comme un « historien de l’antiquité phantasmatique » mais ce dernier terme me semble très mal choisi puisque Jésus ne ressort ni du mythe ni du phantasme. Son existence est historiquement avérée : je renvoie le lecteur intéressé à mon article Jésus, une étude d’histoire christologique (paru en 2021 et archivé sur le blog de Juan Asensio, Stalker-dissection du cadavre de la littérature) qui est une recension critique du livre monumental d’Alain de Benoist, L’Homme qui n’avait pas de père - Le dossier Jésus (éditions Krisis, Paris 2021, 975 pages). Pour le reste, honnête présentation d’histoire du cinéma qui retrace brièvement la filmographie de Stevens puis examine le film de 1965 sur le plan historique.

Entretien avec Dominic Schubert, prêtre catholique (2022, 28’37”) : précis commentaire de certains aspects du film sur le plan théologique et parfois sur les plans historique, philologique et allégorique (le sens théologique du thème de l’eau dans l’Ancien et le Nouveau testament, par exemple). Le père Schubert est ainsi sensible à la beauté plastique du film (il cite avec raison la remarquable séquence de la tentation au sommet de la montagne) mais il note justement que les scénaristes ont, assez curieusement, modifié l’ordre des tentations par lesquelles Satan tente en vain d’éprouver son pouvoir sur le Christ.

Bande-annonce originale (3’33”, VO non sous-titrée) : en état argentique moyen, s’ouvrant par un florilège critique, mais au format large respecté : elle mentionne à la fois l’usage du format Ultra Panavision et du format Cinérama.

Ensemble honorable, couvrant l’histoire du cinéma et l’aspect théologique, qui constitue, si on y ajoute le livret, une très bonne édition spéciale.

La Plus Grande Histoire jamais contée

Image - 3,5 / 5

Format original Ultra Panavision 70mm respecté en 2.75 compatible 16/9 et Technicolor. Initialement, la production avait songé au format Super Panavision 2.20, puis tourné les premières prises en Cinerama 2.65 mais au bout de trois ou trente jours (selon les diverses sources qui ne concordent pas entre elles), on opta finalement pour l’Ultra Panavision 70mm, donc pour le format le plus large alors techniquement disponible. Outre les deux directeurs photos principaux crédités (William C. Mellor mort durant le tournage et remplacé par Loyal Griggs), Charles Lang photographia quelques séquences dirigées par le cinéaste David Lean, venu en renfort momentané. MGM estimait en 2011 que son master numérique Full HD édité aux USA présentait les meilleurs éléments argentiques disponibles de la version exploitée cinéma : l’état argentique demeure néanmoins très inégal (du moyen au très bon, selon les séquences) et l’étalonnage tant argentique que vidéo est lui aussi parfois inégal. C’est exactement celui utilisé pour cette édition ESC. La haute définition restitue la densité des profondeurs de champ et des paysages mais on pourrait faire encore mieux ; reste que le strict respect du format ajouté à la Full HD permet de disposer de la première véritable bonne édition numérique française même si elle demeure très perfectible.

La Plus Grande Histoire jamais contée

Son - 5,0 / 5

VF d’époque en Dolby Audio DD 5.1 + VOSTF DTS-HD Master Audio 5.1 : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. La VOSTF est plus dynamique que la VF d’époque. Le niveau de l’enregistrement y varie assez nettement d’une séquence à l’autre, cependant : conservez la télécommande à portée de main afin d’ajuster en temps réel. STF signés Anne Bruant, soignés et bien lisibles. La VF d’époque est excellente sur le plan dramaturgique et sur celui de la sélection des voix françaises rapportées aux personnages. Musique signée Alfred Newman. Certaines sources affirment que c’était une de ses partitions préférées ; d’autres ajoutent qu’il était mécontent de son altération par le remontage de la version courte exigée en 1965 par le distributeur. Elle comporte pourtant encore de beaux moments symphoniques. D’autres compositeurs ont travaillé avec Newman sur cette partition : Ken Darby, Hugo Friedhofer, Jack Hayes, Leo Shuken et Fred Steiner. Quelques fragments sont évidemment inspirés par certaines Messes du répertoire classique, par exemple la Missa solemnis (1824) de Beethoven.

Crédits images : © United Artists, George Stevens

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
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francis moury
Le 13 décembre 2022
L’une des plus amples vies du Christ jamais portées à l’écran, réalisée par un cinéaste épris de perfection.

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